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CHAPITRE V.

DE LA LÉGISLATION SUR LES MENDIANS EN ANGLETERRE, DANS QUELQUES ÉTATS DE L'EUROPE, ET AUX ÉTATS

UNIS.

Ici on ne reçoit pas l'aumône. (Inscription placée par le comte de Rumford sur la porte de la maison d'industrie militaire créée pour les mendians valides, à Munich. }

Les lois anglaises sur les mendians sont, en général, liées à celles concernant les pauvres, et ont été modifiées, avec ces dernières, à différentes époques.

Henri VIII, après avoir détruit les établissemens religieux et hospitaliers du royaume, autorisa les shérifs et les marguilliers à faire lever des aumônes volontaires pour secourir les pauvres qui se trouvaient dépouillés de leurs asiles et de leurs dotations; il fut effrayé bientôt de la mendicité qui surgissait de toutes parts. Pour la faire disparaître, il ordonna des mesures que la religion et l'humanité ne permettraient pas, même contre les malfaiteurs. On punissait les mendians qui persévéraient dans leur état en leur faisant couper une oreille. En cas de récidive, on les mettait à mort comme des criminels.

Le jeune Edouard VI commença son règne par un acte empreint de la même barbarie; le pauvre qui restait oisif pendant trois jours était marqué de la lettre sur la poi

trine avec un fer rouge; il était réduit à l'esclavage pendant deux ans, et son maître (qui était ordinairement son dénonciateur) avait le droit de lui faire porter un collier de fer et de le nourrir seulement au pain et à l'eau. Les mendians pouvaient même être mis à mort comme félons.

Elisabeth, après avoir tenté en vain, trois fois de suite, de faire soulager les pauvres par des aumônes volontaires, rendit l'acte obligatoire, encore en vigueur aujourd'hui (Poor' rate), et par lequel la mendicité se trouvait sévèrement proscrite. La plupart des peines portées contre les mendians par ses prédécesseurs furent conservées

D'après des statuts postérieurs, et notamment par le statut 17 de Georges II, chap. 5, les mendians sont assimilés aux mauvais sujets et vagabonds, comme tels, passibles de la fustigation et d'une détention de six mois à deux ans ; en cas d'évasion, ils peuvent être condamnés à la déportation pour sept ans. Celui qui leur donne asile encourt l'amende de quarante shellings et doit payer les dépenses qui en résultent pour la paroisse.

Cette législation est en vigueur aujourd'hui en Angleterre, mais n'est pas rigoureusement observée.

En Autriche, et, en général dans toute l'Allemagne et le nord de l'Europe, la mendicité est tolérée, sauf dans les principales villes où des mesures locales ont pourvu à procurer du travail et un asile aux mendians. Hambourg donna, la première, cet utile exemple. A Munich, en 1784, le comte de Rumford avait fait établir un dépôt de mendicité qui obtint les succès les plus prompts et les plus complets, et mérita d'être cité comme un modèle de bonne administration et de philantropie éclairée (1).

(1) MESURES QUI ONT EXTIRPÉ LA MENDICITÉ A HAMBOURG ET A MUNICH.

Hambourg.

Pour réprimer la mendicité à Hambourg, on a suivi le mème système

L'état de servage des paysans et ouvriers en Russie et en Pologne, rend inutile une législation spéciale contre la mendicité.

qu'à Munich. Comme le inal était moins grand, on fut dispensé des mesures de rigueur et des arrestations dont la seule menace fut suffisante.

Cette ville possédait, dès 1622, une maison de travail située près de l'Elsters destinée à recevoir les pauvres, les mendians et ceux qui avaient commis des délits. Elle publia ses institutions en 1622, et les fit réimprimer en 1776. Mais ces institutions, quoique remarquables, vu l'époque de leur origine, devenaient insuffisantes pour la répression du paupérisme, eti le tableau ci-après prouve combien le choix des nouveaux moyens adoptés l'emportait sur les anciens.

Relevé comparatif de l'établissement fondé en 1788, à Hambourg, pour l'extinction de la mendicité, pour les dix premières années de son

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A l'époque où Hambourg venait d'adopter de nouvelles mesures pour la répression de la mendicité, d'après l'insuffisance des anciennes, la Bavière était infestée de mendians et de vagabonds, à un point tel qu'on croit devoir, pour en donner une juste idée, transcrire ici les expressions mêmes du mémoire en ce qui concerne la ville de Munich.

«Non seulement les mendians infestaient les rues de la ville et les pas sages publics, mais ils entraient encore dans les maisons, où ils ne se faisaient aucun scrupule de dérober tout ce qui leur tombait sous la main; les églises même en étaient pleines. Ils recouraient à des artifices diaboli ques, aux délits les plus révoltans; pour rendre plus profitable leur infame métier, ils volaient jusqu'aux jeunes enfans, et après les avoir aveuglés ou estropiés de la manière la plus barbare, ils les exposaient aux regards du public pour exciter la compassion. Quelques-uns de ces hommes', 'dénaturés, mettaient nus, et faisaient presque périr de faim leurs propres enfans, pour qu'ils allassent apitoyer les passáns, et ces pauvres et inno

La Belgique et la Hollande ont conservé la législation et les institutions répressives de la mendicité, que nous leur avions transmises pendant leur réunion à la France. Mais depuis 1818 on y a introduit de grandes améliora

centes créatures étaient cruellement maltraitécs si elles ne rapportaient pas à la maison la somme qui leur avait été fixée. »

<< Mais le mal ne s'arrêta pas là. Les mendians persécutèrent tellement les passans de leurs demandes, qu'on ne trouva de meilleur moyen de s'en débarrasser qu'en leur donnant. Ils se crurent alors en droit de continuer leurs déprédations. Leur nombre s'accrut tellement que la mendicité finit par être un métier; et l'habitude en devint si générale qu'il cessa d'être infamant, et avait, pour ainsi dire, déjà commencé à faire partie intégrante de l'organisation sociale. »

<< Les mendians s'étaient partagés la ville par quartiers, et l'on héritait, à la mort d'un parent ou d'un ami, du droit d'exploiter celui qu'il avait exploité pendant sa vie. Ce droit s'acquérait aussi par alliance. »

On peut se faire une idée de la quantité des mendians qui existaient alors en Bavière, en remarquant que, dans les quatre années qui suivirent l'exécution du plan de répression dont nous allons parler, on arrêta 10,000 vagabonds, et que, dans son origine, on fit main-basse, en une seule semaine, sur 2,600 mendians à Munich, qui ne comptait, avec ses faubourgs, que 70,000 âmes.

Enfin, la charité publique était fatiguée, épuisée; dans un tel état de choses, le comte de Rumford, ministre alors en crédit auprès du roi, résolut de faire tout d'un coup un grand effort, sauf à régulariser ensuite les moyens de le soutenir. A cet effet, il pria les personnes les plus distinguées par leur rang et leur réputation, de se mettre à la tête de l'établissement par lequel on devait donner du travail aux pauvres capables de travailler, et pourvoir aux besoins des infirmes et des invalides.

On composa un comité des présidens du conseil de guerre, du conseil de régence des princes, du conseil ccclésiastique, et de la chambre des finances; chacun d'eux s'adjoignit un conseiller de son choix : nul n'était salarié.

Le comité tint ses séances dans un local ad hoc, eut des officiers subalternes et une garde de police payée par le trésor. Ce fut un des premiers banquiers de la ville qui fut le caissier de ce comité, et chaque mois on publia les comptes imprimés des recettes et dépenses.

Les fonds furent fournis par une allocation sur la cassette du roi et par les souscriptions des particuliers et des membres du comité.

On crut que l'habitude d'une vie plus aisée, avec du travail, les ferait plus aisément rentrer en eux-mêmes, et les ramènerait à de bons sentimens. On leur donna done de bonne nourriture, de bons vêtemens, et on

tions en donnant aux dépôts de mendicité une destination de travail agricole. Nous nous proposons de revenir ailleurs sur cet objet qui mérite d'être exposé avec quelque étendue. Dans le midi de l'Europe, en Italie, en Espagne

s'attacha à leur faire observer une grande propreté comme étant un moyen plus puissant qu'on ne l'imagine sur le moral.

On leur fournit des outils et des matières premières, on les instruisit, on leur paya leur besogne à la tâche, et on y ajouta une gratification particulière qu'on paya chaque samedi au soir à ceux qui la méritaient.

On défendit les mauvais traitemens et les moindres injures en paroles repréhensibles.

On établit, dans le local affecté aux pauvres, des filatures de chanvre, de lin, de coton et de laine; des métiers à différens genres d'étoffes ; unc teinturerie et un moulin à foulon.

On poussa même la recherche jusqu'à embellir l'intérieur de l'édifice, et l'on plaça au-dessus de la porte d'entrée ces mots écrits en lettres d'or : Ici on ne reçoit pas l'aumône.

Mais il est curieux et important de connaître comment le comte de Rumford s'y prit pour exécuter son plan de répression de la mendicité.

Il profita du premier jour de l'an 1790, où les rues étaient encombrées de pauvres, pour effectuer leur arrestation; sur sa demande, les officiers supérieurs militaires et les principaux magistrats consentirent à lui prêter main-forte. Cette réunion de pouvoirs civils et militaires devait ôter aux arrestations tout caractère de violence.

Le comte donna lui-même le premier exemple en arrêtant de sa propre main un mendiant qui lui demandait l'aumône. Tous les pauvres arrêtés furent expédiés à l'hôtel-de-ville, où on enregistra leurs noms; on les renvoya ensuite chez eux, avec invitation de se rendre le lendemain à la maison d'industrie militaire, où ils trouveraient de bonne soupe chaque jour, des chambres bien chauffées et du travail. On leur annonça aussi qu'une commission était chargée d'examiner la situation particulière de chacun d'eux, et qu'on accordait des secours pécuniaires et hebdomadaires à ceux qui en mériteraient.

Des patrouilles désarmées achevèrent les arrestations; on multiplia les souscriptions, les troncs dans les églises; on abolit toute espèce de collectes, toute aumône isolée, et toute espèce de mendicité, sous quelque prétexte que ce fût. Un des revenus de l'établisssement consista en secours en nature de la part des bouchers et des boulangers, qui s'affranchirent ainsi avec empressement des exigences fatigantes, et même inquiétantes, des mendians.

On distribua à chaque pauvre le travail dont il était capable; les jeunes garçons, les vieillards et les valétudinaires cardaient la laine, et les jeunes

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