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genres de misères est sans cesse offerte aux regards.

Là, sur une population de 25,581 indigens, il s'en trouvait, en 1828, 3,687 qui habitaient des caves souterraines, étroites, basses, privées d'air et de lumière, où règne la malpropreté la plus dégoûtante et où reposent, sur le même grabat, le père, la mère, les enfans et quelquefois les frères et sœurs adultes.

1,318 garçons et 1,025 filles seulement fréquentent les écoles gratuites.

7,667 ouvriers sont réunis en 115 sociétés dites de secours mutuels en cas de maladie ou d'accidens. Ils prélèvent à cet effet 10 centimes par semaine sur leurs salaires. les secours à distribuer peuvent s'élever jusqu'à 3 francs par semaine pendant trois mois; et à 1 fr. 50 cent. par semaine pour les autres trois mois suivans. Le but de ces institutions est sans contredit digne d'éloges. Malheureusement elles sont dénaturées par des usages déplorables. Chaque mois les associés s'assemblent pour régler les comptes; mais le rendez-vous se donne au cabaret. Il est également d'obligation de s'y réunir à chaque fête patronale et à la fin de l'année, le restant en caisse, s'il en existe, est dépensé en fêtes et en débauches. On recommence alors, pour l'année suivante, la formation d'une nouvelle caisse dont les produits auront une semblable destination.

On comprend aisément que dans un état de choses. aussi fâcheux les mœurs doivent être excessivement corrompues. Aussi des désordres inouis sont chaque jour révélés. Les mariages sont précoces et les unions illégitimes très nombreuses. Une grande partie de la population se livre à la contrebande. La mendicité s'exerce publiquement par des bandes nombreuses qui alarment les propriétaires isolés. Nulle répression n'existe contre ce fléau., Il est, en effet, impossible de ne pas le tolérer là où l'on ne saurait donner du travail et un salaire suffisant aux in

digens valides, ni des secours et un asile aux pauvres hors d'état de travailler.

Il est juste, néanmoins, de reconnaître que si la portion indigente de la population flamande a des vices. qui contribuent à la plonger et à la perpétuer dans ce hideux état d'abjection et de misère, la douceur, ou, si l'on veut, le défaut d'énergie de caractère des indigens, les préserve, en général, d'excès nuisibles à la société. Ils vivent dans le dénuement le plus complet (1), et cependant ils se rendent rarement coupables d'attentats graves contre les personnes et les propriétés; ils souffrent sans révolte et presque sans murmure, et seraient, ainsi, bien plus un objet de pitié qu'un sujet d'alarmes et de défiance, si l'on pouvait oublier avec quel succès des agitateurs auraient la facilité de s'en servir, au besoin, comme d'instrumens aveugles de sédition et d'anarchie, dans les crises politiques.

L'indigence, qui afflige particulièrement cette contrée, a été attribuée à diverses causes générales ou locales. Parmi ces causes on doit distinguer celles qui ont fait naitre la misère de celles qui la perpétuent.

Au rang des premières, une opinion assez unanime, mais qui nous paraît peu réfléchie, a placé, depuis longtemps, l'oisiveté et la paresse excitées et entretenues par les abondantes aumônes distribuées jadis aux portes des couvens et des riches abbayes si multipliées autrefois dans l'ancienne Flandre française.

On pense aussi que la certitude qu'avaient, à la même époque, les pauvres de cette contrée d'être admis facilement dans les hospices nombreux et richement dotés,

(1) La plupart des ouvriers sont enfermés près de quatorze à quinze heures dans des ateliers où l'air est à peine renouvelé; le plus grand nombre ne reçoit qu'un salaire insuffisant à ses besoins, et cependant beaucoup de bras sont privés de travail.

favorisait la mendicité et détournait du travail et de la prévoyance.

Dans un pays frontière et maritime, tel que la Flandre, on peut indiquer comme causes plus réelles de l'accroissement primitif de la population indigente, d'abord le refuge et l'abri qu'une contrée ainsi située offre à des étrangers attirés, soit par l'espoir d'un meilleur avenir, et par un esprit aventureux, soit par la facilité de se soustraire à des poursuites; en second lieu, les grands travaux que la défense du royaume a nécessités dans cette province depuis sa conquête par Louis-le-Grand (1), ont nécessairement appelé en Flandre un très grand nombre de familles, qui, après la cessation des travaux, sont demeurées dans le pays et ont augmenté la population prolétaire. Enfin, la province de Flandre est celle de la France où les perfectionnemens de l'agriculture et de l'industrie ont été les premiers introduits. Dès le treizième siècle et dans les deux siècles suivans, elle avait atteint, sous ce rapport, un haut degré de prospérité, qu'interrompit momentanément la révocation de l'édit de Nantes. La fertilité du territoire, la facilité des communications, le développement des manufactures, tout se réunissait pour favoriser extraordinairement le principe de la population, en même temps que les vicissitudes du commerce, des guerres fréquentes et les habitudes de désordre qu'elles communiquaient aux classes inférieures, tendaient à multiplier l'indigence manifestée sous la forme de men-dicité et secourue alors par les aumônes.

On ne saurait disconvenir que des secours prodigués sans discernement n'aient pour résultat de faire naître et d'encourager la mendicité. Mais il serait peu rationnel de

(1) Le département du Nord renferme treize places fortes dont la construction ou la restauration date du règne de Louis XIV, et fut confiée au maréchal de Vauban: Lille, Valenciennes, Cambrai, Douai, Dunkerque, Maubeuge, Avesnes, Bergues, Gravelines, Le Quesnoy, Bouchain, Landrecies et Condé.

́leur attribuer exclusivement la propagation de la misère réelle qui n'est guère que l'effet de l'impuissance ou du défaut de travail, suites, elles-mêmes, d'une surabondance de population ouvrière. Il est évident que le régime qui concentrait la propriété dans les établissemens ecclésiastiques de main-morte, tels que les couvens et abbayes, ou dans la noblesse par les substitutions, n'était nullement propre à développer le principe de la population. Il faut donc chercher ailleurs des causes plus actives et plus efficaces.

Si l'on admettait que les aumônes du clergé et l'asile offert par les hôpitaux fussent une des causes premières de l'indigence des classes ouvrières dans cette province, comment pourrait-on se rendre compte de l'accroissement que la classe indigente a éprouvé depuis 1789? La suppression des ordres religieux, la confiscation et la vente de leurs biens, la suppression des dîmes et des droits féodaux, et enfin la spoliation des revenus des établissemens charitables datent déjà de près de 40 ans, et, depuis ce temps, une et, même, deux générations nouvelles se sont élevées, qui n'ont pu conserver que bien confusément le souvenir et la tradition des anciennes aumônes distribuées par le clergé et les hospices. La population prolétaire, ainsi renouvelée, a trouvé dans la vente et le morcèlement des biens ecclésiastiques et des émigrés un vaste champ de travail. Successivement la découverte de la vaccine et les progrès de l'hygiène publique ont rendu la population moins sujette aux infirmités qui amènent l'impuissance de travailler. Enfin les nouvelles manufactures établies en si grand nombre depuis la révolution, offraient de l'ouvrage à une immensité de bras; et cependant, lorsque la population, malgré des guerres longues et sanglantes, s'est accrue de 154,701 individus, le nombre des indigens s'est augmenté de 45,453. Tandis que la culture des terres, favorisée par l'exploitation morcelée des biens de main

morte et par une plus grande division de la propriété, a profité de tous les procédés économiques que la science a introduits dans l'agriculture, au point que la Flandre produit aujourd'hui tout ce qu'il est possible d'obtenir et d'espérer du sol le plus fertile, beaucoup de journaliers sont occupés seulement une partie de l'année, et leur salaire ne suffit plus aux besoins de leurs familles. Lorsque la Flandre, enfin, a vu de vastes manufactures se créer sur tous les points de son territoire, un nombre infini d'ouvriers demeurent sans emploi.

Ce n'est donc pas aux aumônes prodiguées jadis par la charité religieuse qu'il faut attribuer l'accroissement excessif de l'indigence dans le département du Nord. Il n'est guère permis de supposer que la masse de pauvres qui recevait ces secours, eût continué de former une sorte de peuple à part, constamment livré à l'abrutissement et à l'ignorance, et enclin à se multiplier comme les mendians, les sauvages ou les peuples naissans.

Il est bien plus raisonnable de reconnaitre que dès 1789 il existait, dans cette contrée, un excédant de population ouvrière, lequel, depuis la révolution, a dû s'augmenter par la réunion des diverses causes qui ont secondé le principe général de la population et donné une extension indéfinie à l'industrie manufacturière. Il ne faut pas perdre de vue que dans le département du Nord se trouvent, depuis long-temps, des filatures et fabriques de coton dont les produits égalent, aujourd'hui, ceux du reste du royaume, et nous avons fait remarquer les effets de cette branche d'industrie sur la marche du paupérisme. C'est aussi dans ce pays les doctrines de l'économie politique anglaise ont reçu leur principale application en France par l'introduction des machines et du monopole de l'industrie. Il a joui, le premier, des prétendus avantages de la civilisation matérielle moderne on ne peut être surpris qu'il recueille le premier, aujourd'hui, les fruits amers de ce

que

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