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ressources pour l'excédant de la population prolétaire. Restent le commerce extérieur et les travaux publics. Quant au commerce, l'expérience prouve journellement

que les habitans du littoral sont seuls disposés à prendre part aux expéditions maritimes qui, d'ailleurs, sont interdites aux femmes, aux vieillards et aux enfans. Les travaux des routes, des canaux et des fortifications donneraient sans doute de l'occupation aux pauvres valides, si le système des entreprises et des concessions párticulières pouvait se concilier avec l'établissement de vastes ateliers de charité; mais, dans tous les cas, ce ne serait qu'un soulagement local et passager, sur lequel on ne saurait asseoir la base d'aucune amélioration générale et durable.

Il demeure donc démontré que le département du Nord ne possède en lui-même aucun autre moyen que la charité publique, la bienfaisance privée, ou la taxe des pauvres, pour garantir l'existence d'une population superflue, qui s'élève à 165,453 individus. Dans cette contrée, l'équilibre est visiblement rompu entre la population ouvrière et la demande de travail, entre le travail et la suffisance des salaires, entre la production et la consommation. Le travail n'est pas accompagné d'intelligence et de moralité ; ce qui s'oppose à une émigration avantageuse. La contrainte morale, ou l'abstinence du mariage, que recommande Malthus, est totalement méconnue. La classe ouvrière, en ce pays, est donc parvenue à l'une de ces situations extrêmes prévues par le célèbre professeur d'Edimbourg, et dans lesquelles les obstacles au principe de la population ne se composent plus que de vices et de malheur.

Des faits aussi remarquables et aussi alarmans ne pouvaient être inaperçus par l'administration publique. De sérieuses observations furent adressées, sur cet objet, au gouvernement, dans le courant de 1828, par le préfet, auquel était alors confié le département du Nord. On nous

pardonnera sans doute de placer ici l'extrait suivant des rapports de ce magistrat.

<«< Dès qu'il fut constaté, aux yeux de l'observateur attentif, qu'il existait, dans cette partie de la France, un excédant de population ouvrière (auquel l'agriculture et l'industrie n'offrent plus désormais aucun moyen assuré de travail et d'existence, et que l'on doit considérer comme l'un des maux énormes produits par un excès de civilisation matérielle et par les autres causes immédiates ou éloignées de l'indigence), il devenait urgent de rechercher les voies les plus sûres d'améliorer, pour le présent et pour l'avenir, sous les rapports de l'instruction, de la morale et de la situation physique, le sort de cette population infortunée. »

« Pour la génération présente, les mesures susceptibles d'être promptement adoptées (et malheureusement la plupart ne peuvent être que des palliatifs et non des mesures efficaces) se réduisent à celles-ci : »

« 10 Une meilleure administration des secours publics, à l'aide de laquelle on pourra étendre les soulagemens donnés à la vieillesse, aux infirmités et à l'enfance abandonnée. »

<«< 2o La formation de caisses d'épargnes et de prévoyance, et une disposition législative qui oblige tous les chefs de manufacture à les établir et les ouvriers à s'y soumettre lorsque le taux des salaires le permettra. »

<< 30 La répression de l'ivrognerie, par la privation des secours accordés par la charité publique, ou par l'élévation des droits perçus sur les boissons fortes débitées dans les cabarets; interdire la fabrication et la vente, dans les cabarets, de l'eau-de-vie de grains dite genièvre, ou du moins en surveiller sévèrement la confection. >>

«< 40 L'amélioration de l'hygiène publique par une organisation plus complète du service de santé des indigens; la suppression graduelle des caves et autres habitations

malsaines; l'agrandissement de quelques villes fortifiées, dont l'enceinte, comme à Lille, se trouve évidemment trop resserrée pour la population; l'obligation imposée aux chefs des manufactures de se conformer à des réglemens qui pourvoiraient à la salubrité des ateliers; enfin, la création de conseils de salubrité et l'établissement, dans le chef-lieu du département, d'une école secondaire de médecine et d'un cours complet d'accouchement. >>

«< 50 La propagation de l'instruction morale, religieuse et industrielle; la création, à cet effet, d'une école normale d'instituteurs dignes de confiance, et une surveillance attentive exercée sur le régime intérieur des manufactures. >>

<< 60 L'expulsion hors des frontières des indigens et mendians étrangers au royaume, et le renvoi dans leurs départemens et leurs communes de ceux qui ne sont pas légalement domiciliés. »

« 70 Des mesures répressives de la mendicité dans toutes les communes où l'on aura pu offrir un asile aux indigens infirmes et du travail aux valides. »

«< 8o La suppression de la loterie, celle des impôts qui pèsent directement sur la classe pauvre et ouvrière, et une meilleure organisation des monts-de-piété. >>

«< 90 Enfin, la création de colonies agricoles dans les landes de Bretagne et de Gascogne. »

:

<< Parmi les diverses mesures que l'on vient d'indiquer, celles qui sont purement du ressort de l'autorité départementale ont été prises immédiatement des comités de vaccine, des conseils de salubrité ont été établis dans tous les arrondissemens; des propositions ont été faites au conseil général pour la création d'une école de médecine, d'un cours pratique d'accouchement, pour la formation d'une école normale d'instituteurs, ainsi que pour la fondation, dans chaque sous-préfecture, d'une maison de travail et de refuge : des réglemens ont également été pu

bliés pour une meilleure organisation des secours publics, particulièrement à Lille, où les premiers essais ont été couronnés de succès (1). Quant aux mesures qui font partie des attributions du gouvernement ou des corps législatifs, on ne saurait trop insister pour qu'elles deviennent l'objet immédiat de la sollicitude des ministres. >>

« Ces améliorations une fois obtenues, la génération future, pour laquelle seule il est permis de concevoir des espérances de bonheur plus complètes, ne demandera plus qu'un seul bienfait au gouvernement. A la vérité, il est grand, puisqu'à lui seul il peut renfermer tous les autres; mais il n'est pas hors de la portée d'un pouvoir paternel : je veux parler d'une éducation religieuse solide et d'une instruction industrielle convenable. >>

<«< En effet, si par des réglemens sages et sévères, si par des institutions judicieusement combinées, on enlève aux indigens la faculté de se livrer à l'ivrognerie, de vivre dans le désordre, et de dissiper au cabaret ou à la loterie le fruit de leur travail; si on leur offre les moyens de placer avantageusement le produit de leurs économies ; si l'on parvient à placer dans les hospices ou dans les maisons de refuge tous les vieillards, les infirmes et les

er

(1) On trouvera, dans les instructions générales adressées par le préfet, les 30 juillet et 31 août 1828, đux maires et aux administrations charitables du département du Nord (F G), l'indication des efforts tentés par cet administrateur, pour obtenir les améliorations désirables. M. le baron de Gérando, en qualité de vice-président de la société des établissemens chariritables, fondée le 30 mars 1830, fit connaître à M. le vicomte de V..... que la première de ces instructions, à laquelle il donnait des éloges beaucoup trop flatteurs, sans doute, serait insérée, comme modèle, dans le 1 bulletin de la société. En 1829, une organisation des secours publics fut établie, à Lille, sur des bases qui ont ensuite été adoptées pour les douze arrondissemens de Paris. Nous avons appris que, depuis les événemens de Juillet, elles ont été à peu près abandonnées ou changées. Les pauvres, placés sous la protection plus directe de la charité religieuse, ont été rendus à la charité légale. Nous désirons que ce changement leur soit favorable ; mais il est difficile de l'espérer.

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orphelins; si les secours de la charité publique et de la bienfaisance particulière ne sont distribués qu'avec prévoyance et sagesse aux véritables nécessiteux; si un service de santé complétement organisé donne l'assurance que des soins attentifs seront donnés à la classe ouvrière, et la préserveront désormais de ces maladies et de ces accidens, le seul et triste héritage que se transmettent les familles des pauvres ; si le régime intérieur des manufactures est surveillé de manière à garantir la salubrité et la moralité des ouvriers; si l'établissement de colonies agricoles donne un débouché à une partie de l'excédant de la population; si, enfin, toutes ces mesures peuvent s'obtenir en faveur de la génération actuelle, il ne resterait plus, pour prévenir le retour du paupérisme, devenu endémique dans cette contrée, que de rendre la génération qui s'élève intelligente, libre, industrieuse, et surtout morale et religieuse. »

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<<< Ici, les obstacles seront peu nombreux en ce qui concerne l'administration publique : il est non seulement possible, mais facile d'établir, par les soins des municipalités et des commissaires de charité et de bienfaisance, nombre suffisant d'écoles gratuites et charitables où tous les enfans des deux sexes de la classe ouvrière puissent recevoir, avec une éducation religieuse complète, une instruction élémentaire suffisante et l'apprentissage d'un métier ou d'un art propre à lui assurer une existence convenable en tout pays. Il est possible de les y occuper avec fruit, à l'aide d'une surveillance attentive, jusqu'au moment où sans danger pour leurs forces physiques et pour le complément de leur instruction, ils pourront se livrer à un travail plus profitable dans les ateliers et fabriques des villes ou des campagnes. C'est dans ce but qu'il y aurait lieu d'imposer aux communes l'obligation de subvenir par des impositions extraordinaires, s'il en était besoin, à la formation d'écoles organisées à la fois pour l'éducation,

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