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en faveur de L. Ceionius Commodus Verus, gendre de ce C. Avidius Nigrinus qui avait conspiré contre lui. Était-ce une réparation accordée à la famille d'un homme qu'il avait aimé et une protestation contre la hâte du sénat à le faire mourir? Dans tous les cas, Hadrien,

EPONJAT

par cette résolution, se montrait audessus des rancunes d'une âme vulgaire. Un don de 500 millions de sesterces aux soldats et de 100 millions au peuple garantit leur assentiment.

Verus, d'une vieille famille d'Étrurie, avait, dit son biographe, une beauté royale, et cette beauté servit de prétexte aux mauvaises langues de Rome pour expliquer son adoption. L'homme qui, après Verus, assura l'empire à Antonin et à Marc Aurèle, ne peut avoir été décidé par les ignobles motifs que l'on donne. D'ailleurs Verus avait de l'éloquence, des talents, quoiqu'il menât la vie élégante et voluptueuse des riches patriciens. Il avait déjà trouvé le mot de Louis XIV sur le rôle respectif des reines et des maitresses du roi, et il répondait à sa femme qui lui reprochait quelque infidélité: «Le nom d'épouse est un titre pour la dignité, non un droit pour

L. Elius Verus Cæsar, fils adoptif d'Hadrien. le plaisir.» Envoyé, après son adoption, dans la Pannonie, il s'y com

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(Statue du musée du Louvre.)

porta bien. En l'éloignant de Rome, Hadrien avait voulu le mettre à l'abri des complots qui allaient s'y former, et il lui avait donné le

On a beaucoup discuté sur a date qu'il faut assigner à l'adoption de L. Verus. Si l'on en était réduit au témoignage de Spartien (Hadr., 25; El. Ver., 5), on devrait la placer avant sa prêture, c'est-à-dire avant l'an 150. Mais les monuments s'y opposent; sur tous ceux qui sont dates de son premier consulat (156), il est appelé L. Ceionius Commodus (Orelli, ne 1681, 4554, 6086), et c'est seulement sur ceux qui sont datés du second (157) qu'il est appelé L. Elius Cæsar (Orelli, n° 828, 856, 6527). C'est donc en 156, et, suivant Borghesi (OEuvres,

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commandement des légions pannoniennes pour avoir en main, par son fils d'adoption, l'armée la plus voisine de l'Italie.

Le choix, en effet, qu'Hadrien venait de faire, et la santé chancelante de l'empereur, sa présence à Rome ou aux portes de la ville, dans son palais de Tibur, par conséquent la facilité de frapper un coup, avaient encouragé l'aristocratie romaine à reprendre ses vieilles et chères habitudes1: elle conspira, et les complots firent des victimes. Ces tragédies sont pour nous fort obscures. Il est certain que des têtes tombèrent et que le sénat s'irrita ;

mais il ne l'est point que le plus modéré des empereurs ait renoncé sans cause à sa modération. Ces changements à vue dans le caractère et la conduite d'hommes mùris par l'âge et l'expérience ne se font que dans les écoles des rhéteurs. Le prince qui, durant vingt années, n'avait frappé personne, qui, offensé par de certaines gens, au lieu de les punir, se contentait d'écrire en leur province qu'il leur retirait son amitié, ne devint pas soudain un bourreau; il dut rester ce que nous savons qu'il était un justicier.

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Dion ne lui impute que deux condamnations au commencement L. Julius Ursus Servianus, beau-frère d'Hadrien. (Visconti, Iconog. rom., I, pl. 139) de son règne, celle des quatre con

sulaires mis à mort par le sénat à l'insu du prince; à la fin, celle de Servianus et de son petit-fils Fuscus, qui avaient désapprouvé,

t. VIII, p. 457), entre le 19 juin et le 29 août, qu'il fut adopté, déclaré César et envoyé dans les deux Pannonies avec les pouvoirs proconsulaires (voy. C. I. L., t. III, n° 4566). On ne peut expliquer le passage de la lettre écrite à Servianus, en 134, et dans laquelle Hadrien l'appelle son fils, filium meum Verum (voy. plus haut, p. 95), qu'en supposant que ce prince le nommait ainsi par anticipation, étant dès lors décidé à l'adopter et ayant déjà fait connaître son intention à sa famille, quoiqu'il ne voulût accomplir cette adoption qu'après son retour à Rome, devant le peuple et les pontifes, suivant les formules solennelles de l'adrogatio.

1 Ils conspirèrent même sous Antonin, le prince selon le cœur du sénat; voy. ci-dessous. 2 Dion, LXIX, 23. «S'il était absolument forcé de punir un citoyen ayant des enfants, il modérait le châtiment en proportion du nombre des enfants. » (Id., ibid.)

dit-il, l'élection de Verus. Servianus, beau-frère du prince, lui avait joué d'assez mauvais tours. Quand, à la mort de Nerva, Hadrien courut annoncer à Trajan qu'il était empereur, Servianus avait employé tous les moyens de le retarder, pour empêcher qu'il n'arrivât avant le courrier que lui-mème expédiait. Une autre fois il avait réussi à indisposer Trajan, en révélant à l'oncle des dettes du neveu. Hadrien n'avait pourtant pas gardé souvenir de ces mauvais procédés, et en maintes occasions il avait honoré Servianus par des marques publiques de déférence; Spartien prétend même qu'il l'avait déclaré digne de l'empire'. A quatre-vingt-dix ans Servianus était trop âgé pour y prétendre, sans être assez sage pour éviter les apparences d'une ambition dangereuse. Il se bornait sans doute à désirer que l'empereur adoptât son petit-fils. Mais Fuscus, âgé de dix-huit ans en 157, n'en ayant par conséquent que quatorze ou quinze quand s'agitait la question de la succession à l'empire, ne pouvait être choisi par un prince qui voyait déjà les signes avant-coureurs de sa fin. La faveur croissante de Verus indisposa Servianus, qu'un troisième consulat en 154 ne put calmer. Fuscus, encore moins réservé, se laissait troubler par de prétendus prodiges qui lui promettaient la souveraine puissance. Il faut qu'autour d'eux se soit formé un parti capable de créer à Verus des embarras et dans l'empire des désordres, pour que le prince sensé que nous connaissons ait fait tuer ce jeune fou et n'ait pas attendu la fin naturelle d'un vieillard arrivé à l'extrême limite de la vie. Ces deux exécutions n'en font pas moins tache dans la vie d'Hadrien.

Spartien mentionne d'autres personnages tombés à cette occasion dans la disgrâce du prince, deux individus qu'il força de se donner la mort, même des soldats et des affranchis« qu'il persécuta ». Mais étaient-ce des accès de colère aveugle ou l'exécution de justes sentences? Faute de renseignements, l'on ne peut répondre à cette double question. Seulement, cet au teur écrit que l'adoption d'Antonin déconcerta beaucoup de prétendants; que Catilius Severus, préfet de la Ville, qui cherchait à se frayer le chemin du trône, fut privé de sa dignité; et, en voyant punir jusqu'à des affranchis et des soldats, il

• Spartion, Hadr., 23.

* Servianum quasi adjectatorem imperii, quod servis regiis cænam misisset,quod in sedili regic purta lectum posito sedisset, quod erectus ad stationes militum senex nonogenarius processisset...... Fuseum, quod imperium præsagis et ostentis agitatus speraret (Spartien, ibid., 23; cf. Dion LXIX, 17).

*..... Libertos denique et nonnullos milites insecutus est (Spartien, ibid., 15).

faut bien dire que nous trouvons réunis les éléments habituels d'une conspiration véritable'.

On parle aussi de la mésintelligence qui existait entre Hadrien et l'impératrice. Ces détails de ménage ne regardent pas l'histoire politique; cependant, comme Dion rapporte des mots cruels de Sabine et qu'on est allé jusqu'à supposer que son époux l'empoisonna, il faut bien faire remarquer ici encore une invraisemblance. En 120, du fond de la Bretagne, Hadrien lui marque son affection ou son estime en destituant un des secrétaires impériaux, Suétone, un préfet du prétoire, Septicius Clarus, et beaucoup d'autres personnages qui avaient manqué d'égards envers l'impératrice. Rien ne nous assure qu'il ne l'ait pas emmenée dans tous ses voyages; nous savons du moins qu'elle fut certainement du dernier, le grand voyage d'Orient, ce qui n'annonce pas une union où la vie en commun aurait été insupportable. Le public ne croyait pas à ces querelles de famille on frappait des monnaies à la double effigie du prince et de l'impératrice; on gravait des inscriptions où, sous leurs noms réunis, on écrivait : « Aux bienfaiteurs de la cité. » L'apothéose

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Antonin 3.

En mettant à part les seules victimes mentionnées par Dion, c'est-à-dire les conspirateurs de 119, dont Hadrien regretta l'exécution, et ceux de 137, qui avaient pour chefs un vieillard et un enfant que le prince aurait dû épargner, on ne trouve nommés par Spartien, pour justifier l'imputation de cruauté, que Plætorius Nepos et Attianus, pour qui l'expression hostium loco habuit (Spart., 15) ne semble signifier qu'une rupture d'amitié (cf. id., 23; voy. sur Plætorius Nepos, Borghesi, OEuvres, t. III, p. 122 et suiv.); Septicius Clarus, qu'il destitua pour mauvais procédés envers l'impératrice; Titianus, quem, ut conscium tyrannidis, et argui passus est et proscribi, ce qui veut dire condamné à la confiscation des biens; Umidius Quadratus et Catilius Severus, quos graviter insecutus est, ce qui ne prouve pas qu'ils aient été frappés d'aucune peine. D'ailleurs Spartien oublie que, dans un autre chapitre (24), il accuse Severus de conspiration. Quant à Polyænus et Marcellus, quos ad mortem voluntariam coegit (15), nous ne les connaissons pas. On a vu plus haut ce qui concerne Apollodore et les so phistes, et on va voir ce qui regarde Sabine.

Non sine fabula veneni defuncta (Spartien, 23). Si l'impératrice était morosa et aspera (id., 11), il avait la loi pour s'en débarrasser par un divorce; un crime n'était pas nécessaire. 3 Pierre gravée (nicolo de 62 millim. sur 44) du cabinet de France, n° 2093. Les lettres A V, gravées sur cette belle intaille, ont été ajoutées par un moderne.

Locupletatoribus municipii (Gabies). (Orelli, n° 816.)

qu'Hadrien lui décerna n'était qu'une cérémonie officielle; mais nous avons de lui des lettres intimes qui montrent un intérieur où régnaient les bons sentiments et non pas les orages. Un jour il écrit à sa mère : « Salut, très-chère et excellente mère, tout ce que tu demandes aux dieux pour moi, je le demande pour toi. Par Hercule, je me réjouis que mes actes te paraissent dignes d'éloge. C'est aujourd'hui mon jour de naissance; il faut que nous soupions ensemble. Viens donc, bien parée, avec mes sœurs. Sabine, qui est à notre villa, a envoyé sa part pour

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Hadrien et Sabine

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face et revers d'une monnaie de bronze.

notre repas de famille. » Une autre lettre, fort amicale, écrite à Servianus, son beau-frère, en l'année 134, quand il venait de lui donner un troisième consulat, se termine ainsi : « .... Je t'envoie des coupes à couleurs changeantes, que le prêtre du temple m'a données; je les ai réservées tout particulièrement pour toi et pour ma sœur, et je désire que vous vous en serviez dans vos réunions aux jours de fête. Prends garde cependant que notre Africanus (sans doute quelque enfant de la famille) n'en use avec trop de complaisance'. » La mort de Sabine, en 137, est donc encore un crime dont il faut décharger la mémoire d'Hadrien. Cette justice n'aurait pas fait le compte des salons de Rome, où avaient couru des médisances même contre Plotine; où il en courra bien d'autres contre les deux Faustine, et il est tout naturel qu'ils aient poursuivi Hadrien dans sa vie privée, avec autant de vérité sans doute qu'ils l'attaquaient dans sa vie publique.

Verus ne vécut que peu de temps après son adoption. « Je me suis appuyé sur un mur croulant, » dit Hadrien, et il chercha un autre successeur. Dion raconte qu'il convoqua au palais les plus considérés des sénateurs, et leur parla ainsi : « Mes amis, la nature ne m'a pas accordé de fils, mais vous m'avez permis par une loi d'en adopter un, sachant bien que souvent la nature donne au père un enfant estropié ou imbécile, tandis que, cherchant avec soin, on peut en trouver un qui soit aussi bien constitué de corps que d'esprit. C'est ainsi que

1 Dosithée, § 15, Corp. juris antejust., éd. Böcking. t. I, p. 212.

2 Vopiscus, Saturn., 8. Sabine, sans doute en ce moment auprès du prince, n'est pas nommée dans cette lettre, mais les paroles d'Hadrien sont une nouvelle preuve de l'intimité qui régnait alors dans la famille impériale.

Il mourut le 1" janvier 138. (Orelli, n° 827.)

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