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animés ou inanimés, raisonnables ou irraisonnables. On dit les lois du mouvement, de la gravitation, de l'optique, de la mécanique, comme on dit les lois naturelles, les lois civiles, les lois politiques, commerciales, etc.

Dans ce sens, comme l'observe Montesquieu (1), tous les êtres ont leurs lois; le monde matériel a ses lois, les bêtes ont leurs lois, l'homme a ses lois.

La science de toutes ces lois différentes appartient à la philosophie, qui embrasse dans son immensité toutes les connaissances que l'homme peut acquérir par l'usage de la raison.

Plus circonscrite dans son objet, la jurisprudence ne s'occupe que des lois morales particulières à l'homme.

Sous ce point de vue, la loi est la règle des actes humains, c'est-à-dire des actions qui ont pour principe le libre exercice de l'intelligence et de la volonté.

3. Montesquieu a dit que les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses.

On a observé, avec raison, que cette définition était plus obscure que la chose à définir, et qu'elle manquait d'exactitude. Le mot rapport, dans le sens propre et naturel, signifie l'action de rapporter un corps près d'un autre. Par le moyen de ce rapprochement, nous en saisissons plus facile

(1) Esprit des lois, liv. 1, chap. x.

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ment et plus distinctement les différences et les similitudes; en un mot, tous les points de comparaison. Ce sont ces points de comparaison qu'on appelle des rapports, des relations.

Il y a des rapports entre tous les êtres; entre les êtres animés et inanimés, entre les végétaux et les animaux, entre l'homme et la brute, entre l'homme et Dieu, entre les hommes considérés comme individus, comme membres d'une famille, comme membre d'un Etat.

La connaissance des rapports qui existent entre les hommes, et qui dérivent de leur nature, sert, à l'aide de l'observation, de la réflexion et du raisonnement, à découvrir les règles de conduite qui conviennent à leur bonheur.

Mais on ne peut pas dire que les rapports sont des lois; autrement il y aurait des lois contradictoires, car il y a des rapports absolument opposés, des rapports de différence, aussi bien que de similitude, de bonté, de méchanceté, de vices et de vertus, etc.

On peut encore moins dire, avec un auteur moderne (1), qui a cru rectifier la doctrine de Montesquieu, que « les lois sont les résultats néces>>> saires des rapports que les choses ont entre elles >> et avec nous, et l'obligation de nous conformer » à ces mêmes rapports. >>>

Les résultats que font naître les rapports qui existent entre les richesses et l'homme, entre le

(1) M. Perreau.

riche et le pauvre, l'homme fort ou puissant, et l'homme faible et sans crédit, l'intelligent et l'imbécile, sont que le riche se corrompt et abuse de sa richesse pour corrompre le pauvre; l'homme fort et puissant, de sa force ou de sa puissance pour opprimer l'homme faible et sans crédit; l'homme intelligent, de son esprit pour tromper, etc.

Loin que ces résultats soient des lois, les lois sont faites pour en prévenir les fâcheux effets : les lois ne sont donc ni des rapports ni les résultats des rapports; ce sont des règles d'action prescrites par un supérieur légitime.

4. On appelle la loi une règle d'action, par une métaphore empruntée de la mécanique.

La règle, dans le sens propre, est un instrument au moyen duquel on tire, d'un point à un autre, la ligne la plus courte, qu'on appelle la ligne droite.

La règle sert de comparaison dans les arts, pour juger si une ligne est droite, comme la loi sert, en jurisprudence, pour juger si une action est juste ou injuste.

Elle est juste, elle est droite, si elle est conforme à la règle, qui est la loi. Elle est injuste, si elle s'en écarte; elle n'est pas droite. Il en est de même de notre volonté ou de notre intention.

5. La justice est la conformité de nos actions et de notre volonté à la loi.

6. La justice est intérieure ou extérieure.

La première est la conformité de notre volonté;

loi.

La seconde, la conformité de nos actions à la

La réunion de la justice intérieure et extérieure forme la justice parfaite.

7. C'est la justice extérieure qui est l'objet de la jurisprudence; la justice intérieure est l'objet de la morale.

:

Les anciens docteurs ont, d'après Aristote, divisé la justice en distributive et commutative. Cette division avait passé dans les misérables abrégés ou compendium qu'on mettait entre les mains des élèves, avant la restauration des écoles de droit, quoique Grotius, Heineccius, etc., eussent dépuis long-tems démontré l'inutilité et l'inexactitude de cette division (1).

(1) Voy. Heinecc., Recit. in elem. jur. civ., § 23, et Prælectiones in Grotium, lib. 1, cap. 1, §8; Barbeyrac, sur le même § 8, not, 6, 7 et 9.

Grotius, ibid., donne une autre division de la justice, en explétive et attributive; il la fonde sur la distinction des droits et des devoirs en parfaits et imparfaits. Cette division de la justice nous paraît sans utilité, et aussi difficile à bien comprendre qu'il est difficile de distinguer les droits et les devoirs parfaits ou imparfaits.

La division de la justice en intérieure ou extérieure nous paraît la seule claire, la seule exacte, la seule utile.

Cependant, comme il serait honteux de ne pas entendre une division qui a passé dans presque tous nos livres, nous allons tâcher de l'expliquer. C'est Aristote qui, d'après les idées de Platon, a le premier, dans ses écrits sur la morale (Magnorum moralium, lib. 1, cap. 34; et ad Nicomachum, lib. 5, cap. 2, 3 et 4), exposé d'une manière méthodique la division de la justice en distributive et commutative. Les docteurs s'en sont emparés, et l'ont expliquée d'une manière obscure, qui n'est pas en tout conforme à la doctrine du philosophe de Stagire. Tâchons de suivre et d'exposer ses idées avec clarté.

Il ne concevait la justice, ainsi que tous les anciens philosophes, que

8. Un supérieur peut seul donner des règles de conduite obligatoires à un être intelligent et libre. Pour compléter la définition de la loi, il faut donc dire qu'elle est une règle de conduite prescrite par un supérieur légitime.

Le premier supérieur de l'homme est Dieu. C'est

sous l'idée d'égalité. La justice et l'égalité étaient, suivant eux, une seule et même chose : Justum æquale est, injustum inæquale. La justice consiste dans l'égalité; l'homme juste est celui qui veut l'égalité. (Magn.mor., lib. 1, cap. 34, et ubiquè passim).

Or, l'égalité est une idée relative, qui suppose nécessairement la comparaison de plusieurs personnes, de plusieurs choses. Telle per sonne, telle chose est égale, à qui? Elles sont égales ou inégales, en quoi? Voilà donc trois termes ou trois points de comparaison.

Il y a justice, lorsque l'égalité est conservée en tout. Il y a donc aussi justice, lorsque la proportion est conservée dans la comparaison des personnes et des choses; car la proportion est égalité. Celui qui a beaucoup, doit donner beaucoup; celui qui a peu, doit donner peu; celui qui travaille beaucoup, doit recevoir beaucoup; celui qui travaille peu, doit recevoir peu. Le plus ou le moins de salaire doit être proportionné au plus ou moins de travail. Si le travail de l'un est comme un, le travail de l'autre comme deux, le salaire de celui-ci doit être doable du salaire de celui-là.

Supposons qu'il y ait à partager ou à distribuer entre Achille et Ajax un butin de douze, pris sur l'ennemi. Si les deux personnes étaient égales, le partage devrait aussi être arithmétiquement égal: Achille aurait six, Ajax six; et si l'on suivait cette égalité arithmétique, Thersite lui-même aurait une part égale à celle d'Achille; ce qui serait souverainement injuste et révoltant.

Pour éviter cette injustice, comparons la valeur des personnes, afin de leur donner des parts proportionnellement égales à leur valeur. La valeur d'Achille et celle d'Ajax ne sont point égales; celle d'Achille est supérieure. Supposons qu'elle soit double: Achille vaut douze, Ajax

six.

La part d'Achille devra être huit, celle d'Ajax quatre. Il n'y aura pas égalité arithmétique, mais égalité proportionnelle; car huit est à quatre comme douze est à six. C'est cette comparaison des mérites, rationum, dit Aristote, que les mathématiciens appellent géométrique.

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