360. Enfin, saint Ignace, qui a conversé avec les apôtres, nous a laissé plusieurs lettres où il nous représente Jésus-Christ comme une seule personne qui est Dieu et homme en même temps. « C'est, dit-il, un médecin charnel et spirituel, fait et non fait, homme «< et Dieu; qui, dans la mort même, a été la véritable vie, qui est « né de Marie et de Dieu (1). » Ce qui évidemment ne peut s'expliquer que par le mystère de l'Incarnation. 361. Ainsi donc, en remontant de saint Augustin à saint Ignace d'Antioche, comme en descendant de saint Ignace d'Antioche à saint Augustin, on voit que les Pères et les docteurs antérieurs à Nestorius et à Eutychès s'accordent à reconnaître dans le Verbe fait chair un seul Christ et non deux Christs, une seule personne et non deux personnes, un seul et même Seigneur, Fils de Dieu et Fils de l'homme, consubstantiel à Dieu le Père selon la divinité, et consubstantiel à la Vierge Marie selon l'humanité. Ils enseignent tous, d'une manière plus ou moins expresse, suivant les circonstances, et autant que la loi du secret leur permettait d'expliquer les mystères (2), qu'il n'y a qu'une seule personne en Jésus-Christ, la personne du Verbe, et deux natures, la nature divine et la nature humaine, l'une et l'autre distinctes, entières, sans confusion, sans mélange et sans altération. L'Église a donc constamment, même dans les quatre premiers siècles, tenu à ce mystère d'amour, comme venant de Jésus-Christ, de Dieu. Nous avons d'ailleurs une nouvelle preuve de la croyance de l'Église dans les décisions des anciens conciles, même des conciles œcuméniques. § III. Preuves du mystère de l'Incarnation par les décisions des conciles. 362. Nestorius, étant monté sur le siége de Constantinople en 428, attaqua le mystère de l'Incarnation, en soutenant qu'il y avait en Jésus-Christ deux personnes, la personne du Verbe et la personne de l'homme; que le Fils de Dieu ne s'était point fait homme, qu'il s'était seulement uni au Christ d'une manière particulière, il est vrai, mais purement morale; de sorte que la sainte Vierge n'avait donné naissance qu'à un homme, et ne pouvait par consé mus, et Filium dicimus illum et esse intelligimus.... et ex Virgine hominem esse factum. Dialogue avec Tryphon, no c. — (1) Medicus unus est, et carnalis et spiritualis, factus et non factus, in homine existens Deus, in morte vita vera, ex Maria et Deo. Lettre aux Éphésiens, no v. (2) Voyez, ci-dessus, le n° 269. et quent être appelée mère de Dieu. Cette doctrine, qui avait scandalisé les fidèles, fut réfutée par saint Cyrille, patriarche d'Alexandrie, et condamnée d'abord par le pape saint Célestin, puis par le concile général d'Ephèse de l'an 431. Ce concile déposa Nestorius, et approuva les anathèmes de saint Cyrille contre les erreurs de cet hérésiarque. 363. Or, voici ces anathèmes : I. « Si quelqu'un ne confesse pas que l'Emmanuel est vrai Dieu, ⚫ et par conséquent la sainte Vierge mère de Dieu, puisqu'elle a « << engendré selon la chair le Verbe de Dieu fait chair, qu'il soit anathème. II. « Si quelqu'un ne confesse pas que le Verbe de Dieu le Père <«< est uni à la chair selon l'hypostase, et qu'avec sa chair il est un « seul Christ, et que ce même Christ est Dieu et homme tout ensemble, qu'il soit anathème. " III. « Si quelqu'un, après l'union, divise les hypostases du seul « Christ, les joignant seulement par une connexion de dignité, « d'autorité ou de puissance, et non par une union réelle, qu'il « soit anathème. IV. « Si quelqu'un attribue à deux personnes, ou à deux hypos<< tases, les choses que les apôtres et les évangélistes rapportent « comme ayant été dites de Jésus-Christ par les saints ou par lui« même, et applique les unes à l'homme considéré séparément du « Verbe de Dieu, et les autres, comme dignes de la majesté divine, « au seul Verbe qui procède de Dieu le Père, qu'il soit ana« thème. и V. « Si quelqu'un ose dire que Jésus-Christ est un homme « déifère, au lieu de dire qu'il est vrai Dieu, comme Fils unique et « par nature, en tant que le Verbe a été fait chair et a participé " comme nous à la chair et au sang, qu'il soit anathème. VI. « Si quelqu'un dit que le Verbe de Dieu le Père est le Dieu «< ou le Seigneur du Christ, et ne confesse pas que, le Verbe étant <«< incarné selon les Écritures, un seul et même Christ est tout << ensemble Dieu et homme, qu'il soit anathème. VII. « Si quelqu'un dit que Jésus-Christ, en tant qu'homme, a « été mu par le Verbe de Dieu, et revêtu de la gloire du Fils unique " comme étant un autre que lui, qu'il soit anathème. VIII. « Si quelqu'un ose dire que l'homme uni au Verbe doit « être adoré, glorifié et nommé Dieu avec lui, comme étant l'un « en l'autre, ainsi que Nestorius le donne à entendre, en ajoutant la particule avec; au lieu d'honorer l'Emmanuel par une seule ado ration, et de lui rendre une seule glorification, en tant que le Verbe a été fait chair, qu'il soit anathème. IX. « Si quelqu'un dit que Notre-Seigneur Jésus-Christ a été glorifié par le Saint-Esprit, comme ayant reçu de lui une puis«sance étrangère pour agir contre les esprits immondes et opérer « des miracles sur les hommes, et ne confesse pas que l'esprit par lequel il les opérait lui était propre, qu'il soit anathème. X. « Les divines Écritures nous apprennent que Jésus-Christ a « été fait le pontife et l'apôtre de notre foi, et qu'il s'est offert « « pour nous à Dieu le Père en odeur de suavité. Donc, si quelqu'un dit que notre pontife et notre apôtre n'est pas le Verbe de « Dieu lui-même, depuis qu'il s'est fait chair et homme comme « nous, mais un homme né d'une femme, comme si c'était un « autre que lui; ou si quelqu'un dit qu'il a offert le sacrifice pour lui-même, au lieu de dire qu'il ne l'a offert que pour nous, « n'ayant pas besoin de sacrifice, lui qui ne connaissait point le péché, qu'il soit anathème. XI. « Si quelqu'un ne confesse pas que la chair du Seigneur <«< est vivifiante et propre au Verbe même qui procède de Dieu le « Père, mais l'attribue à un autre qui lui soit conjoint selon la dignité, et en qui la divinité habite seulement, au lieu de dire qu'elle est vivifiante parce qu'elle est propre au Verbe, qui peut « vivifier toutes choses, qu'il soit anathème. XII. « Si quelqu'un ne confesse pas que le Verbe de Dieu a « souffert selon la chair, qu'il a été crucifié selon la chair, et qu'il « est le premier-né d'entre les morts, en tant qu'il est vie et vivi« fiant comme Dieu, qu'il soit anathème (1)..... » 364. Ces douze anathèmes, qui répondent à autant de propositions hérétiques avancées par Nestorius, expriment bien clairement, de l'aveu de tous, le dogme catholique touchant le mystère de l'Incarnation, c'est-à-dire, l'unité de la personne du Verbe avec la nature divine et la nature humaine dans Notre-Seigneur JésusChrist. 365. Cependant, quelque temps après le concile d'Éphèse, le moine Eutychès, à la différence de Nestorius qui divisait la personne de Jésus-Christ, entreprit de confondre les deux natures. Mais sa doctrine, qui n'était pas moins nouvelle que celle des nestoriens, fut aussitôt condamnée par le concile œcuménique de Chalcédoine en (1) Voyez le texte de ces anathèmes dans les actes du concile d'Éphèse, re partie, chapitre XXVI. Labbe, tom. 1, col. 408. a " 451, dont voici le décret : « Conformément à l'enseignement des « saints Pères, nous déclarons d'une voix unanime que l'on doit « confesser un seul et même Jésus-Christ, Notre-Seigneur; le même « parfait dans la divinité et parfait dans l'humanité; vrai Dieu et « vrai homme, étant, comme homme, composé d'une âme raison«nable et d'un corps; consubstantiel au Père selon la divinité, « consubstantiel à nous selon l'humanité; en tout semblable à nous, « hormis le péché; engendré du Père avant les siècles selon la di⚫ vinité; le même, né dans ces derniers temps, selon l'humanité, de la Vierge Marie, mère de Dieu, pour nous et pour notre salut; « un seul et même Christ, Fils unique, Seigneur en deux natures, • sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation, « sans que l'union ôte la différence des natures, l'une et l'autre « conservant sa propriété, et concourant en une seule personne et « subsistance; en sorte qu'il n'est point partagé ou divisé en deux personnes, mais que c'est un seul et même Fils unique, Dieu le « Verbe, Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme les prophètes et « Notre-Seigneur lui-même nous l'ont enseigné, comme le sym« bole des Pères nous l'a transmis (1). » A la lecture de cette définition de foi, tous les évêques s'écrièrent : C'est la foi des Pères, c'est la foi des apôtres; nous la suivons tous, et nous pensons tous comme eux : Hæc fides Patrum, hæc fides apostolorum; huic omnes consentimus, ita sapimus (2). " " 366. En effet, indépendamment des témoignages que nous avons rapportés dans le paragraphe précédent, nous lisons dans le symbole de Nicée et celui de Constantinople, qui ont été rédigés, le premier en 325, et le second en 381, qu'il n'y a « qu'un (1) Sequentes sanctos Patres, unum eumdemque confiteri Filium et Dominum nostrum Jesum Christum consonanter omnes docemus, eumdem perfectum in deitate, et eumdem perfectum in humanitate, Deum verum et hominem verum eumdem ex anima rationali et corpore, consubstantialem Patri secundum deitatem, consubstantialem nobis eumdem secundum humanitatem, per omnia nobis similem absque peccato: ante sæcula quidem de Patre genitum secundum deitatem, in novissimis autem diebus eumdem propter nos et propter nostram salutem ex Maria Virgine Dei genitrice secundum humanitatem, unum eumdemque Christum, Filium, Dominum, unigenitum, in duabus naturis inconfuse, immutabiliter, indivise, inseparabiliter agnoscendum; nusquam sublata differentia naturarum propter unionem, magisque salva proprietate utriusque naturæ, et in unam personam atque subsistentiam concurrente: non in duas personas partitum aut divisum, sed unum eumdemque Filium et unigenitum Deum Verbum, Dominum Jesum Christum, sicut ante prophetæ de eo, et ipse nos Jesus Christus erudivit, et patrum nobis symbolum tradidit. Act. vi. Labbe, tom. iv, col. 568. — (2) Ibidem. « a « seul Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, né du Père avant << tous les siècles, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de « vrai Dieu; engendré et non fait, consubstantiel au Père; par qui << toutes choses ont été faites; qui est descendu du ciel pour nous « et pour notre salut; qui s'est incarné dans le sein de la Vierge Marie, et qui s'est fait homme; qui a été crucifié pour nous, << souffert sous Ponce Pilate, et a été enseveli (1). » Voilà donc un seul et même Seigneur, un seul et même Christ, qui est tout à la fois Fils unique de Dieu et Fils de l'homme, vrai Dieu et vrai homme, né de Dieu le Père de toute éternité, et né, dans le temps, de la Vierge Marie, dans le sein de laquelle il s'est incarné par l'opération du Saint-Esprit, et s'est fait homme. On trouve ici clairement exprimée l'unité de personne avec la nature divine et la nature humaine. « C'est cette unité de personne, ajoute le pape «< saint Léon dans sa lettre à Flavien, qui fait dire que le Fils de « l'homme, né de la Vierge Marie, est descendu du ciel, et que le « Fils de Dieu a été crucifié et enseveli, comme il est dit dans le symbole; quoiqu'il ne l'ait été que dans la nature humaine, et « non quant à la divinité, selon laquelle il est éternel et con<< substantiel au Père (2). 367. Nous pourrions citer encore le concile d'Alexandrie de l'an 362 (3), et celui d'Antioche de l'an 264 (4). Qu'il nous suffise, en terminant cet article, de faire une observation. Il est constant, de l'aveu de tous, qu'au cinquième et même au quatrième siècle, toutes les Églises, celles de l'Orient comme celles de l'Occident, professaient le dogme de l'Incarnation, tel que le professent aujourd'hui tous les catholiques : les quatre premiers conciles œcuméniques en font foi. Or, cet accord, ce concert entre les différentes Églises dispersées dans l'univers, prouve jusqu'à l'évidence que le dogme qui en est l'objet remonte jusqu'aux apôtres, jusqu'à JésusChrist même. Plus ce mystère est grand, plus il est incompréhensible, plus aussi l'on conçoit l'impossibilité pour l'homme de l'avoir (1) Voyez le symbole de Nicée, Labbe, tom. 11, col. 27, et celui de Constantinople, ibidem, col. 952. (2) Propter hanc unitatem personæ in utraque natura intelligendam, et Filius hominis legitur descendisse de cœlo, cum Filius Dei carnem de ea Virgine, de qua est natus, assumpserit. Et rursus: Filius Dei crucifixus dicitur ac sepultus, cum hoc non in divinitate ipsa, qua unigenitus consempiternus et consubstantialis est Patri, sed in naturæ humanæ sit infir mitate perpessus. Unde unigenitum Filium Dei crucifixum et sepultum, omnes etiam in symbolo confitemur. Labbe, tom. IV, col. 352. - (3) Labbe, tom. 11, col. 816. — (4) Ibidem, tom. 1, col. 846 et 847. |