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CHAPITRE XVII.

De la Grèce et du nombre de ses habitants.

CET effet, qui tient à des causes physiques

dans de certains pays d'Orient, la nature du gouvernement le produisit dans la Grèce. Les Grecs étoient une grande nation composée de villes qui avoient chacune leur gouvernement et leurs lois. Elles n'étoient pas plus conquérantes que celles de Suisse, de Hollande et d'Allemagne, ne le sont aujourd'hui. Dans chaque république, le législateur avoit eu pour objet le bonheur des citoyens au dedans, et une puissance au dehors qui ne fût pas inférieure à celle des villes voisines a Avec un petit territoire et une grande félicité il étoit facile que le nombre des citoyens augmentât et leur devînt à charge; aussi firent-ils sans cesse des colonies b 15 ils se vendirent pour la guerre, comme les Suisses font aujourd'hui: rien ne fut négligé de ce qui pouvoit empêcher la trop grande multiplication des enfants.

Il y avoit chez eux des républiques dont la constitution étoit singulière. Des peuples soumis étoient obligés de fournir la subsistance aux citoyens les Lacédémoniens étoient nourris par les Ilotes, les Crétois par les Périéciens, les Thessaliens

a Par la valeur, la discipline et l'exercice militaire. b Les Gaulois, qui étoient dans le même cas, firent de même.

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par les Pénestes. Il ne devoit y avoir qu'un certain nombre d'hommes libres, pour que les esclaves fussent en état de leur fournir la subsistance. Nous disons aujourd'hui qu'il faut borner le nombre des troupes réglées: or, Lacédémone étoit une armée entretenue par des paysans: il falloit donc borner cette armée; sans cela les hommes libres, qui avoient tous les avantages de la société, se seroient multipliés sans nombre, et les laboureurs auroient été accablés.

Les politiques grecs s'attachèrent donc particulièrement à régler le nombre des citoyens. Platon a le fixe à cinq mille quarante; et il veut que l'on arrête ou que l'on encourage la propagation selon le besoin, par les honneurs, par la honte, et par les avertissements des vieillards; il veut même que l'on règle le nombre des mariages, de manière que le peuple se répare sans que la république soit surchargée.

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Si la loi du pays, dit Aristote ", défend d'exposer les enfants, il faudra borner le nombre de ceux que chacun doit engendrer. Si l'on a des enfants. au-delà du nombre défini par la loi, il conseille de faire avorter la femme avant que le foetus ait vie.

Le moyen infâme qu'employoient les Crétois pour prévenir le trop grand nombre d'enfants est

a Dans ses. lois, liv. V.
b République, liv. V..
Polit. liv. VII, ch. XVI.
4 Ibid.

rapporté par Aristote; et j'ai senti la pudeur effrayée quand j'ai voulu le rapporter.

Il y a des lieux, dit encore Aristote a, où la loi fait citoyens les étrangers, ou les bâtards, ou ceux qui sont seulement nés d'une mère citoyenne; mais dès qu'ils ont assez de peuple, ils ne le font plus. Les sauvages du Canada font brûler leurs prisonniers; mais, lorsqu'ils ont des cabanes vuides à leur donner, ils les reconnoissent de leur nation.

Le chevalier Petty a supposé, dans ses calculs, qu'un homme en Angleterre vaut ce qu'on le vendroit à Alger b. Cela ne peut être bon que pour l'Angleterre il y a des pays où un homme ne vaut : rien; il y en a où il vaut moins que rien.

CHAPITRE XVIII.

De l'état des peuples avant les Romains.

L'ITALIE, la Sicile, l'Asie mineure, l'Espagne,

la Gaule, la Germanie, étoient, à-peu-près comme la Grèce, pleines de petits peuples, et regorgeoient d'habitants: on n'y avoit pas besoin de lois pour en augmenter le nombre.

a Polit. liv. III, ch. III.
b Soixante liv. sterlings.

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CHAPITRE XI X.

Dépopulation de l'univers.

TOUTES ces petites républiques furent englou

ties dans une grande, et l'on vit insensiblement l'univers se dépeupler : il n'y a qu'à voir ce qu'étoient l'Italie et la Grèce avant et après les victoires des Romains.

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On me demandera, dit Tite-Live a, où les Volsques ont pu trouver assez de soldats pour faire la guerre après avoir été si souvent vaincus. Il falloit qu'il y eût un peuple infini dans ces ,, contrées, qui ne seroient aujourd'hui qu'un dé,, sert, sans quelques soldats et quelques esclaves romains.

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Les oracles ont cessé, dit Plutarque, parce ,, que les lieux où ils parloient sont détruits; à peine trouveroit-on aujourd'hui dans la Grèce ,, trois mille hommes de guerre.

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l'Épire

Je ne décrirai point, dit Strabon, et les lieux circonvoisins, parce que ces pays ,, sont entièrement déserts. Cette dépopulation, qui a commencé depuis long-temps, continue tous les jours, de sorte que les soldats romains ,, ont leur camp dans les maisons abandonnées.

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a Liv. VI.

b Œuvres morales, des oracles qui ont cessé.

c Liv. VII, p. 496.

Il trouve la cause de ceci dans Polybe, qui dit que Paul Émile, après sa victoire, détruisit soixante et dix villes de l'Épire, et en emmena cent cinquante mille esclaves.

CHAPITRE X X.

Que les Romains furent dans la nécessité de faire des lois pour là propagation de l'espèce.

Les Romains, en détruisant tous les peuples,

se détruisoient eux-mêmes sans cesse dans l'action, l'effort et la violence, ils s'usoient comme une arme dont on se sert toujours.

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Je ne parlerai point ici de l'attention qu'ils eurent à se donner des citoyens à mesure qu'ils en perdoient, des associations qu'ils firent, des droits de cité qu'ils donnèrent, et de cette pépinière immense de citoyens qu'ils trouvèrent dans leurs esclaves. Je dirai ce qu'ils firent, non pas pour réparer la perte des citoyens, mais celle des hommes; et comme ce fut le peuple du monde qui sut le mieux accorder ses lois avec ses projets, il n'est point indifférent d'examiner ce qu'il fit à cet égard.

a J'ai traité ceci dans les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains, etc.

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