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tagent l'univers social. D'un pareil tableau, d'où s'élancent les leçons du passé, peuvent sans doute découler d'utiles et graves leçons pour l'avenir.

Le parallèle de la richesse de la France et de celle de l'Angleterre ayant été tracé, en 1794, par l'habile et judicieux traducteur d'Adam Smith, il était sans doute convenable de faire précéder, par un extrait de cet écrit remarquable, les considérations, prises dans un autre ordre d'idées, que nous avons à exposer dans le rapprochement des causes et des effets du paupérisme dans les deux royaumes.

<< La France, dit M. le comte Germain Garnier, possède un territoire quadruple en surface qui, par sa situation, son climat et la nature de son sol, est évidemment supérieur à celui de l'Angleterre. La population, en France, est triple de celle de l'Angleterre, en portant celle-ci à dix millions (l'Irlande qui, jusqu'à présent, loin d'ajouter à la richesse de l'Angleterre, n'a été pour elle qu'une source de dépense, n'est pas comprise dans ce calcul (1). »

<«< Ainsi, la richesse foncière de la France serait toujours à celle de l'Angleterre dans la proportion de quatre à un, c'est-à-dire qu'en supposant l'une et l'autre de ces nations dans le cas de développer la totalité d'efforts et de puissance dont elle est susceptible, la France atteindrait nécessairement, dans cette hypothèse, une masse de richesses quatre fois plus grande; mais, eu égard à la douceur du climat et à la variété des productions, la France serait appelée à un degré de puissance et de richesse six fois plus élevé que l'Angleterre.

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de

« L'opulence de l'Angleterre est néanmoins fort supérieure à celle de la France. Cette opulence se compose tous les capitaux fixés dans ses terres, dans ses manufactures, dans sa navigation et dans ses établissemens productifs, tant intérieurs qu'extérieurs. Cette masse de

(1) Aujourd'hui l'Angleterre (l'Irlande comprise) possède 23.400,000 habitans.

richesses productives est immense; mais il est difficile de l'évaluer. >>

<< Les capitaux fixés dans l'exploitation des terres en Angleterre, suivant Arthur Young, excèdent tellement les capitaux fixés dans l'agriculture française, que celle-ci, pour atteindre au même niveau, aurait besoin d'un supplément de capital de dix milliards quatre cent millions. »

« Ceux fixés dans les manufactures, dans la navigation et dans les autres établissemens productifs, tant audedans qu'au-dehors, doivent former un excédant encore plus considérable..

« Cet immense excédant doit donner annuellement un produit proportionné, et peut expliquer comment l'Angleterre, avec moins de territoire et de population, supporte une masse de contributions qui ne parait pas inférieure à celle de la France, et qui semble même offrir une somme numérique plus considérable. ».

« Le revenu net des terres est évalué à 20 millions de livres sterling (environ 500 millions de francs), par conséquent le produit brut à 80 millions de livres sterling ou 2 milliards de francs, ci:

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« On a pour résultat un capital productif de 2 milliards sterling ou 45 milliards de francs. Cette accumulation prodigieuse n'est l'ouvrage que de deux siècles. 120 millions sterling répartis sur 2 millions de familles donnent, pour chacune d'elles, 1,500 fr. dé revenu. »

« Ainsi, en ayant égard au nombre effrayant de pauvres

qui existent en Angleterre, et à l'état d'indigence de presque toute la population éloignée des villes commerçantes et des grandes routes, on sentira aisément que ce qui manque à tant de familles pour avoir leur part de ces 1,300 fr. de revenu, dans cette répartition, est bien plus que suffisant pour fournir ces revenus immenses rassem– blés dans les mains de quelques familles et qui, malgré leur petit nombre, semblables au diamant qui rehausse une parure, répandent sur toute la nation un éclat qui éblouit le reste de l'Europe. »>

« Les ouvriers de la campagne forment un tiers de la population totale. Les artisans ne forment qu'une très faible portion du peuple. Smith établit que la classe la plus nombreuse des artisans dans un grand pays n'est pas, au reste de la population comme 1: 50 et même à 100. Un sixième de la population totale comprend la classe des agens productifs du commerce et de l'industrie (1). »

<< La population française comprend 30 millions d'habitans et 6 millions de familles. Or, toutes les familles subsistent, et ne peuvent pas consommer, même pour la plus pauvre, une valeur moindre de 300 fr. par an, pour l'entretien des cinq membres dont elle est composée, ce qui donne lieu à une consommation totale de 3 milliards; à quoi ajoutant, pour la portion du produit annuel consommée directement par le gouvernement ou par les familles qui consomment au-delà de 300 fr. par an, un 10e ou 40 pour 100 du total, le résultat donnera pour tout le produit annuel des terres et du travail, 5 milliards 300 millions. Il ne peut être au-dessous. »

<«< Arthur Young évalue le produit brut de la France à

() Depuis l'époque où Adam Smith écrivait, l'accroissement de la population industrielle en Angleterre a été prodigieux. M. de Sismondi établit le rapport actuel de la population à la population agricole, :: 3 : 2. et M. le baron Charles Dupin, 18 : 10.

3 milliards 165 millions (1). Ainsi, le produit annuel de l'Angleterre est à celui de la France comme 2 5. Mais comme il a une population trois fois plus petite à satisfaire, il existe un immense superflu dont le gouvernement a directement la disposition au moyen des taxes qu'il juge à propos d'imposer. »

« Quel sera naturellement le cours de la richesse chez les deux nations, vu la condition où elles se trouvent respectivement? C'est la question par laquelle ce parallèle doit se terminer. >>

« On la résoudra en examinant quelle est la nature des opérations de l'industrie anglaise, quelle est la cause des énormes profits qu'elle fait dans son commerce avec les autres peuples et quels sont les effets nécessaires de ces opérations sur la puissance et les moyens respectifs des nations commerçantes. »

« L'industrie anglaise, forcée, par les bornes étroites du territoire national, à économiser les bras qu'elle salarie, a tourné tous ses efforts vers les moyens qui rendent le travail plus productif. Une division du travail très habilement distribuée, et un grand nombre de machines ingénieuses, ont donné au travail de cette nation une supériorité marquée sur celui des autres peuples, en sorte que, dans les échanges qu'elle fait avec l'étranger, il est ordinaire que le produit d'une journée de son travail se trouve être l'équivalent de deux ou trois journées d'un autre. Dans ces opérations, on sent combien elle gagne sur la valeur qu'elle reçoit en échange, sans que le peuple, avec lequel elle traite, éprouve pour cela aucune perte, parce que ce qu'il reçoit de l'Angleterre vaut réellement pour lui le nombre de journées de travail qu'il lui en aurait coûté pour l'exécuter chez lui. Mais pour que l'Angleterre obtienne ce grand bénéfice, il faut qu'elle échange du produit ma

(1) Le revenu actuel de la France est évalué à 8 milliards.

nufacturier contre du produit brut. Or, ce dernier genre de produit ne peut se multiplier qu'à l'aide d'une population nombreuse: donc, les opérations que fait l'Angleterre avec les autres peuples, tendent à encourager chez ceux-ci la multiplication des hommes et des subsistances, tandis qu'elles produisent un effet tout contraire dans son intérieur, et ne visent qu'à manufacturer le plus de produits bruts possible avec le moins de bras possible. Cette direction de l'industrie humaine nuit à la population sous un double rapport: en dégradant les facultés intellectuelles de l'ouvrier qui se trouve réduit au mouvement uniforme et continu d'une machine, et en diminuant de plus en plus le nombre des ouvriers entretenus par l'industrie nationale. De ces deux effets nuisibles, le premier a éte remarqué par tout le monde. »

<< Par la nature même de l'industrie anglaise et la marche forcée que lui imposent d'invincibles circonstances, les capitaux productifs doivent donc se porter naturellement au commerce étranger, le moins avantageux de tous pour la nation, et au commerce de produits manufacturés contre des produits bruts, celui de tous les commerces étrangers le plus nuisible à la population et à la puissance réelle du peuple qui s'y livre, puisqu'en dernière analyse, ce n'est qu'une lutte dans laquelle celui-ci s'efforce à obtenir le plus grand produit avec le moins possible d'hommes et de terre. Par l'extension que ce genre d'opérations procure à la population et à la culture des autres peuples, un tel commerce doit naturellement aller toujours en croissant. Aussi, chaque année l'Angleterre importe-t-elle une plus grande quantité de produits bruts qu'elle n'en renvoie ma nufacturés; ce qui grossit ainsi annuellement la somme numérique de ses importations et de ses exportations, à l'indicible satisfaction de ses spéculateurs politiques. >>

«En résultat, l'Angleterre travaille donc continuellement à multiplier, chez ses rivaux, les hommes et les

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