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plus libre sous le sceptre d'Elisabeth que sous celui de Marie? La vérité est que le protestantisme n'a rien changé aux institutions. Là où il a trouvé une monarchie représentative ou des républiques aristocratiques, comme en Angleterre et en Suisse, il les a adoptées : là où il a rencontré des gouvernemens militaires, comme dans le nord de l'Europe, il s'en est accommodé, et les a rendus même plus absolus (1). »

« Si les colonies anglaises ont formé la république plébéienne des Etats-Unis, elles n'ont point dù leur émancipation au protestantisme. Ce ne sont point des guerres religieuses qui les ont délivrées: elles se sont révoltées contre l'oppression de la mère-patrie, protestante comme elles. Le Maryland, état catholique et très peuplé, fit cause commune avec les autres états, et aujourd'hui la plupart des états de l'ouest sont catholiques. Les progrès

(1) Pourquoi, depuis l'établissement du christianisme, tous les peuples qui ont repoussé la direction tendre, sage et éclairée du catholicisme, sontils tombés sous le joug d'une tyrannie théocratique, d'autant plus brute qu'elle est toujours dans la main du pouvoir politique? »

« Quand l'église grecque repousse l'église romaine, les empereurs d'orient deviennent des despotes théocrates ombrageux. L'islamisme se forma. La théocratie moscovite étendit son bras d'airain sur ceux de ses enfans qui avaient échappé à la domination des kalifes, des sophis et des sultans. »

« Le protestantisme sépara de l'église catholique les peuples du nord de l'Europe; leurs souverains, ceux de Prusse, de Suède, d'Angleterre sont devenus rois pontifes. »

« Excepté l'Amérique qui se catholise avec rapidité, les pays catholiques sont les sculs pays du monde où ne pèse pas le despotisme théocratique, despotique, avilissant, aveugle, parce qu'il est dans la main de la force brute et administré avec le sabre. »

« A mesure que l'on repousse l'église catholique, il est question de former une église nationale, légale, c'est-à-dire une théocratie. Pourquoi les peuples qui repoussent la morale de l'église catholique tombent-ils sous la tyrannie théocratique? Ne serait-ce pas qu'une règle morale est tellement dans l'essence de la société, que l'église en est tellement l'organe, que, sitôt que vous l'en privez, la société tombe nécessairement dans une sorte de coagulation formentante? Il vaut la peine d'y penser. » (L'Union catholique.)

de cette communion, dans ce pays de liberté, passent toute croyance, parce qu'elle s'est rajeunie dans son élément naturel populaire, tandis que les autres communions y meurent dans une indifférence profonde. »

« Enfin, auprès de cette grande république des colonies anglaises protestantes, viennent s'élever les grandes colonies espagnoles catholiques. Certes, celles-ci, pour arriver à l'indépendance, ont eu bien d'autres obstacles à surmonter que les colonies anglaises américaines, avant d'avoir rompu le faible lien qui les attachait au sein maternel.>>

« Une seule république s'est formée en Europe à l'aide du protestantisme, la république de Hollande. Mais il faut remarquer que la Hollande appartenait à une de ces communes industrielles des Pays-Bas, qui, pendant plus de quatre siècles, luttèrent pour secouer le joug de leurs princes, et s'administrèrent en forme de républiques municipales, toutes zélées catholiques qu'elles étaient. Philippe II et les princes de la maison d'Autriche ne purent étouffer dans la Belgique cet esprit d'indépendance, et ce sont les prêtres catholiques qui viennent aujourd'hui même de le rendre à l'état républicain. »

« Il faut conclure, de l'étroite investigation des faits, que le protestantisme n'a point affranchi les peuples. Il a apporté aux hommes la liberté philosophique, non la liberté politique. Or la première liberté n'a conquis nulle part la seconde, si ce n'est en France, vraie patrie de la catholicité. Comment arrive-t-il que l'Allemagne, très philosophique de sa nature, et déjà armée du protestantisme, n'ait pas fait un pas vers la liberté politique dans le dix-huitième siècle, tandis que la France, très peu philosophique par tempérament et sous le joug du catholicisme, a gagné, dans le même siècle, toutes ses libertés ?...... >>

« L'homme de théorie méprise souverainement la pratique. De la hauteur de la doctrine, jugeant les hommes

et les peuples, méditant sur les lois générales de la société, portant la hardiesse de ses recherches jusque dans les mystères de la nature divine, il se sent et se croit indépendant, parce qu'il n'a que le corps d'enchaîné. Penser tout et ne faire rien, c'est à la fois le caractère et la vertu du génie philosophique. Ce génie désire le bonheur du genre humain; le spectacle de la liberté le charme, mais peu lui importe de le voir des fenêtres d'une prison. Comme Socrate, le protestantisme a été un accoucheur d'esprit ; malheureusement les intelligences qu'il a mises au jour n'ont été jusqu'ici que de belles statues (1). »

Ce faisceau de faits, réunis avec tant d'éloquence et de bonheur par notre grand écrivain, prouve surabondamment que la réformation, sous le rapport de l'émancipation des peuples, n'a rien produit que puisse revendiquer l'humanité. Si elle a hâté l'essor de la pensée, ce n'a été qu'en la lançant dans les régions si périlleuses du doute, de la licence, de l'incrédulité et du sensualisme. Il est probable, suivant la remarque de M. de Châteaubriand, que les progrès naturels des lumières et de la civilisation auraient, à un égal degré, développé la raison humaine. Ces progrès

(1) M. de Châteaubriand fait remarquer que la plupart de ces réflexions ne s'appliquent qu'au passé. « Aujourd'hui, dit-il, les protestans ont gagné en imagination, en poésie, en éloquence, en raison, en liberté, en vraie piété. Les antipathies entre les diverses communions n'existent plus. Les enfans du Christ, de quelque lignée qu'ils proviennent, se sont resserrés au pied du calvaire, souche commune de la famille. Les désordres et l'ambition de la cour romaine ont cessé. Il n'est plus resté au Vatican que la vertu des premiers évêques, la protection des arts et la majesté des souvenirs. Tout tend à recomposer l'unité catholique. Avec quelques concessions de part et d'autre, l'accord sera bientôt fait. Je répéterai ce que j'ai déjà dit dans cet ouvrage pour jeter un nouvel éclat, le christianisme n'attend qu'un génie supérieur, venu à son heure et à sa place. La religion chrétienne entre dans une ère nouvelle; comme les institutions et les mœurs, elle subit la troisieme transformation; elle cesse d'être politique; elle devient philosophique, sans cesser d'être divine. Son cercle flexible s'étend avec les lumières et la liberté, tandis que la croix marque à jamais son centre immobile. » (Etudes historiques.)

eussent été plus lents, mais aussi ils eussent été plus assurés et plus féconds en bonheur et en vertus. L'esprit philosophique n'eût point été séparé des principes religieux. Les troubles qui ont ensanglanté l'Europe et retardé la marche de la civilisation chrétienne eussent été évités, et la société humaine n'en serait pas à rechercher aujourd'hui les moyens de s'asseoir sur de nouvelles bases.

Pour juger les conséquences que la réforme religieuse devait produire sur l'état moral de l'Angleterre, il suffit de se reporter aux circonstances où elle fut introduite dans ce royaume. Henri VIII, despote sanguinaire et voluptueux, embrassa la religion nouvelle pour satis faire impunément ses passions honteuses, comme Luther, moine barbare, ambitieux et libertin avait lui-même secoué le joug du catholicisme pour se livrer à de scandaleux désordres. Ce furent leurs véritables mobiles; les abus de la cour de Rome n'étaient que le prétexte dont il fallait bien les couvrir. A cette époque, les mœurs publiques étaient extrêmement corrompues. La soif des richesses, le besoin de jouissances sensuelles étaient répandues dans les hautes classes de la société. « Le protestantisme s'introduisit en Angleterre par les nobles, les prêtres et les magistrats, par les savans et les gens de lettres, et il descendit lentement dans les classes inférieures (1) »

L'adoption de la réforme favorisait au plus haut degré la cupidité et les mœurs dissolues qui régnaient exclusivement dans tous les rangs de la cour de Henri VIII. Si elle n'ajoutait rien aux richesses et aux prérogatives de l'aristocratie anglaise, elle lui donnait du moins une entière liberté de conduite et de pensée. D'un autre côté, les grands biens du clergé catholique (2) étaient pour les ecclé

(1) M. de Châteaubriand (Etudes historiques.)

(2) Henri VIII détruisit, en Angleterre, 605 abbayes, go colléges et 100 hôpitaux, ainsi que tous les couvens et monastères d'Irlande. (Pablo Preber).

siastiques corrompus un appât non moins puissant que l'affranchissement de l'antique discipline. On comprend donc facilement que la réformation fut avidement embrassée par la noblesse et par les membres d'un clergé si éloigné alors des principes du christianisme primitif. Dans cette révolution sociale rien ne se fit pour le peuple ni par le peuple (1). La religion se transforma en théocratie poli

(1) « La communion réformée n'a jamais été aussi populaire que le culte catholique. De race princière et patricienne, elle ne sympathise pas avec la foule. Equitable et moral, le protestantisme est exact dans ses devoirs; mais sa bonté tient plus de la raison que de la tendresse. Il vêtit celui qui est nu, mais il ne le réchauffe pas dans son sein; il ouvre des asiles à la misère, mais il ne vit pas et ne pleure pas avec elle dans les réduits les plus abjects; il soulage l'infortune, mais il n'y compâtit pas. Le moine et le curé sont les compagnons du pauvre. Comme lui, ils ont pour leur compagnon les entrailles de Jésus-Christ; les haillons, la paille, les plaies, les cachots, ne leur inspirent ni dégoûts ni répugnance : la charité en a parfumé l'indigence et le malheur. Le prêtre catholique est le successeur des douze apôtres qui prêchèrent Jésus-Christ ressuscité. Il bénit le corps du mendiant expiré, comme la dépouille sacrée d'un être aimé de Dieu et ressuscité à l'éternelle vie. Le pasteur protestant abandonne le nécessiteux sur son lit de mort: pour lui, les tombeaux ne sont point une religion, car il ne croit pas à ces lieux expiatoires où les prières d'un ami vont délivrer une âme souffrante. Dans ce monde, il ne se précipite point au milieu du feu, de la peste. Il garde pour sa famille ces soins affectueux que le prêtre de Rome prodigue à la grande famille humaine. »>

« Si la réformation, à son origine, eût obtenu un plein succès, elle aurait établi, du moins pendant quelque temps, une espèce de barbarie. Traitant de superstition la pompe des autels, d'idolâtrie, les chefs-d'œuvre de l'architecture et de la peinture, elle tendait à faire disparaître la haute éloquence et la grande pensée, à détériorer le goût par la répudiation des modèles, à introduire quelque chose de sec, de froid, de pointilleux dans l'esprit, à substituer une société guindée et toute matérielle à une société aisée et toute intellectuelle, à mettre les machines et le mouvement d'une roue en place des mains et d'une opération mentale. Ces vérités se confirment par l'observation d'un fait. >>

« Dans les diverses branches de la religion réformée, cette communion s'est plus ou moins rapprochée du beau, selon qu'elle s'est plus ou moins rapprochée de la religion catholique. »

les

« En Angleterre, où la hiérarchie ecclésiastique s'est maintenue, lettres ont eu leur siècle classique. Le luthérantisme conserve des étin

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