Page images
PDF
EPUB

« Il faut renoncer à trouver, dans l'hypothèse d'une augmentation d'impôts, la cause d'une détresse qui a déjoué momentanément les calculs prévoyans et réparateurs de l'administration. Demandez-en compte, avant tout, aux grandes découvertes qui se sont pressées dans l'histoire du genre humain, depuis un demi- siècle, et dont le double effet est d'augmenter la production industrielle et de simplifier les agens de la production, de multiplier les produits et d'augmenter tous les genres de concurrence. Il y a dans ces quatre points de vue plus de motifs qu'il n'en faudrait pour expliquer une crise plus grave que celle que nous venons de traverser. »

a Rappelons-nous tant de provocations menaçantes dirigées contre la propriété, soit à l'aide de théories folles qui ont aussi leurs missionnaires, soit au moyen de quelques actes de violence destinés en quelque sorte à servir d'essais. >>

Il est remarquable que le ministre ait dû tenir, à son tour à la Chambre des Pairs de France, le même langage que lord Wellington avait fait entendre peu de temps auparavant à la Chambre des Lords d'Angleterre, justifiant ainsi pleinement l'un et l'autre le mot célèbre de l'un des ministre de la restauration (1). « La France produit trop. >> Cri prophétique qui souleva alors si violemment l'opposition radicale, comme en Angleterre elle s'était élevée contre les paroles de lord Liwerpool, parce que dans l'un et l'autre pays, le radicalisme entrevoyait sans doute, à la suite de la crise commerciale, la crise politique objet de

tous ses vœux.

Dans la séance du 18 décembre 1831, un député (M. Pagės), répondant au président du conseil, s'exprimait en ces

termes :

<< Il ne s'agit plus de savoir comment seront formulées

(1) M. le comte Corbière, ministre de l'intérieur. Cet homme d'état appliquait ces paroles à l'excès de la production industrielle.

quelques libertés nécessaires. Pour la société, une question de vie ou de mort, qui domine tous nos débats, ce n'est plus l'ordre politique, c'est l'ordre social remis en problème. Des villes s'insurgent pour secouer le fardeau des impôts; des villes sont poussées à l'insurrection par la famine: ici le travail manque, là le salaire n'est plus en rapport avec le travail, ce n'est plus l'opinion qui groupe l'émeute, c'est la misère qui pousse à la révolte. »>

« Les prolétaires de la Grande-Bretagne s'accroissent chaque jour, et malgré la taxe des pauvres, la sécurité du gouvernement est souvent remise en question par des émeutes. Quand un manufacturier a mal ou trop produit, il cesse de produire, parce que sa marchandise est sans débit et ses capitaux épuisés. Quand le capitaliste ne peut compter, je ne dis pas sur la paix, parce que la paix est un vain mot, mais sur un ordre de choses, il refuse de livrer ses capitaux à la merci des événemens. Alors l'ouvrier sans pain reflue sur la place publique. Il ne voit devant lui que l'oisiveté et la misère. La moralité du travail est remise en problème, parce que la morale qui ne conduit pas au bien-être, n'est pas moins une vertu, mais cesse d'être une vertu politique. »

<< Le peuple voit partout la main de l'autorité. C'est après elle qu'il murmure, et la misère passe vite du mécontentement à la misère, parce que la misère n'a pas le temps d'attendre. Le 26 juillet, les fabricans, alarmés par les ordonnances de Charles X, jetèrent leurs ouvriers sur le pavé, et le 29 le trône fut brisé. Le 21 novembre, les fabricans refusèrent aux ouvriers de Lyon un tarif et du travail, et le 25 l'autorité fut méconnue dans la seconde ville de France. >>

A Bordeaux, un journaliste homme de talent (M. Fonfrède), écrivait à la même époque :

« Le commerce de notre ville, comme celui de toute la France, sent, par l'effet d'une intime conviction, qu'aucune

grande action industrielle n'est possible quand la confiance est à chaque instant ébranlée; que le commerce ne peut vivre sans stabilité, sans force dans les pouvoirs sociaux. La confiance et l'activité commerciale une fois anéanties, le sort des classes pauvres, des classes ouvrières, est devenu nécessairement affreux, les salaires sont inévitablement réduits ou supprimés. »

Voyez ce qui se passe à Bordeaux depuis un an. Aussitôt que la politique intérieure nous laisse un moment de tranquillité, chacun croit toucher enfin au terme de ses maux et se dispose avec ardeur au travail. Mais tout à coup une nouvelle crise survient : à l'instant le commerce s'éteint, les achats cessent, les ordres sont contremandés, T'espoir du travail s'évanouit et la misère plane de nouveau, pâle et dévorante, sur toutes les classes industrieuses de notre cité désolée. »

Ce serait une tâche à la fois trop longue et trop pénible d'avoir à enregistrer toutes les émeutes populaires, tous les attentats à la propriété, toutes les violences contre les personnes dont Paris et presque toutes les contrées du royaume ont été le théâtre depuis la révolution de 1850, et qui, presque tous, ont eu pour cause ou la misère populaire, ou la haine des masses immorales et ignorantes contre tout ce qui rappelait à ses yeux la supériorité du rang et de la fortune, la religion et les barrières destinées à préserver l'ordre social. Nous laissons à d'autres écrivains le soin de former un pareil tableau, d'où cependant aurait ressorti la preuve incontestable que les causes de la misère et des révolutions soudaines sont étroitement liées entre elles, ou plutôt qu'elles n'ont qu'une même origine, l'application de l'égoïsme matérialiste à l'industrie et à la civilisation. Mais, du moins, nous rapporterons quelques faits qui pourront faire apprécier les maux infinis que les commotions sociales répandent toujours sur ces mêmes classes ouvrières qui servent d'instrumens pour les effectuer.

quelques libertés nécessaires. Pour la société, une question de vie ou de mort, qui domine tous nos débats, ce n'est plus l'ordre politique, c'est l'ordre social remis en problème. Des villes s'insurgent pour secouer le fardeau des impôts; des villes sont poussées à l'insurrection par la famine: ici le travail manque, là le salaire n'est plus en rapport avec le travail, ce n'est plus l'opinion qui groupe l'émeute, c'est la misère qui pousse à la révolte. »

<< Les prolétaires de la Grande-Bretagne s'accroissent chaque jour, et malgré la taxe des pauvres, la sécurité du gouvernement est souvent remise en question par des émeutes. Quand un manufacturier a mal ou trop produit, il cesse de produire, parce que sa marchandise est sans débit et ses capitaux épuisés. Quand le capitaliste ne peut compter, je ne dis pas sur la paix, parce que la paix est un vain mot, mais sur un ordre de choses, il refuse de livrer ses capitaux à la merci des événemens. Alors l'ouvrier sans pain reflue sur la place publique. Il ne voit devant lui que l'oisiveté et la misère. La moralité du travail est remise en problème, parce que la morale qui ne conduit pas au bien-être, n'est pas moins une vertu, mais cesse d'être une vertu politique. »

<< Le peuple voit partout la main de l'autorité. C'est après elle qu'il murmure, et la misère passe vite du mécontentement à la misère, parce que la misère n'a pas le temps d'attendre. Le 26 juillet, les fabricans, alarmés par les ordonnances de Charles X, jetèrent leurs ouvriers sur le pavé, et le 29 le trône fut brisé. Le 21 novembre, les fabricans refusèrent aux ouvriers de Lyon un tarif et du travail, et le 25 l'autorité fut méconnue dans la seconde ville de France. >>

A Bordeaux, un journaliste homme de talent (M. Fonfrède), écrivait à la même époque :

« Le commerce de notre ville, comme celui de toute la France, sent, par l'effet d'une intime conviction, qu'aucune

grande action industrielle n'est possible quand la confiance est à chaque instant ébranlée; que le commerce ne peut vivre sans stabilité, sans force dans les pouvoirs sociaux. La confiance et l'activité commerciale une fois anéanties, le sort des classes pauvres, des classes ouvrières, est devenu nécessairement affreux, les salaires sont inévitablement réduits ou supprimés. »

« Voyez ce qui se passe à Bordeaux depuis un an. Aussitôt que la politique intérieure nous laisse un moment de tranquillité, chacun croit toucher enfin au terme de ses maux et se dispose avec ardeur au travail. Mais tout à coup une nouvelle crise survient : à l'instant le commerce s'éteint, les achats cessent, les ordres sont contremandés, l'espoir du travail s'évanouit et la misère plane de nouveau, pâle et dévorante, sur toutes les classes industrieuses de notre cité désolée. »

Ce serait une tâche à la fois trop longue et trop pénible d'avoir à enregistrer toutes les émeutes populaires, tous les attentats à la propriété, toutes les violences contre les personnes dont Paris et presque toutes les contrées du royaume ont été le théâtre depuis la révolution de 1830, et qui, presque tous, ont eu pour cause ou la misère populaire, ou la haine des masses immorales et ignorantes contre tout ce qui rappelait à ses yeux la supériorité du rang et de la fortune, la religion et les barrières destinées à préserver l'ordre social. Nous laissons à d'autres écrivains le soin de former un pareil tableau, d'où cependant aurait ressorti la preuve incontestable que les causes de la misère et des révolutions soudaines sont étroitement liées entre elles, ou plutôt qu'elles n'ont qu'une même origine, l'application de l'égoïsme matérialiste à l'industrie et à la civilisation. Mais, du moins, nous rapporterons quelques faits qui pourront faire apprécier les maux infinis que les commotions sociales répandent toujours sur ces mêmes classes ouvrières qui servent d'instrumens pour les effectuer.

« PreviousContinue »