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sans direction et sans excitation, tant que l'esprit d'association et des mœurs nouvelles n'auront pas remplacé, suffisamment et par degrés, l'habitude de suivre l'impulsion de l'autorité. Ce royaume a donc besoin de la charité légale, soit qu'elle s'applique à des secours immédiats, soit qu'elle procure ces secours par le travail et par une meilleure direction de l'industrie, soit qu'elle arrive à l'amélioration des classes inférieures par la réforme de quelques parties de la législation, soit enfin qu'elle s'exerce par la propagation des lumières et des principes moraux et religieux.

Cette situation a ses avantages, comme elle a ses inconvéniens. Le bien qui s'opère attache les peuples au gouvernement, parce que c'est vers lui que se reporte la reconnaissance. Le mal, il est vrai, lui est également attribué. Mais, sous un régime représentatif, cette responsabilité se trouve partagée, et par conséquent affaiblie.

Pendant une longue suite de siècles, la charité s'est trouvée à un moindre degré du domaine de l'autorité suprême. Les pauvres étaient confiés à la religion, dont l'influence était alors puissante. Depuis quarante ans, cet empire est à peu près détruit et la charge des pauvres a dû passer en quelque sorte au pouvoir politique. Autrefois, le droit de l'indigence au secours de la religion n'était pas contesté et ne pouvait pas l'être. A quelques époques, on parut admettre le droit à l'assistance obligée. Ce fut sans doute lorsque l'action de la charité religieuse, se trouvant affaiblie ou le nombre des pauvres accru par des circonstances extraordinaires, il fallut avoir recours à des moyens de force et d'autorité. Aujourd'hui, le droit des pauvres à l'assistance obligée n'est pas reconnu en France, mais on commence à l'invoquer de nouveau.

Nous examinerons, dans un chapitre spécial, si les pauvres d'un pays quelconque, en conservant leur droit à lá charité particulière (droit sacré aux yeux de la religion et

de la morale), peuvent l'étendre à la charité collective de la nation, c'est-à-dire si la société tout entière doit être forcée de se charger du soin des pauvres. L'Angleterre a répondu affirmativement à cette question en établissant et en conservant sa taxe des pauvres. Pour nous, nous n'hésitons pas à adopter un autre système, et il sera fondé sur les principes de la charité même, seul guide qui nous paraisse infaillible dans une matière d'un ordre à la fois politique et religieux. Auparavant, nous allons retracer la marche qu'a suivie en France et en Europe la législation relative aux pauvres, aux enfans-trouvés et aux mendians, depuis l'établissement du christianisme jusqu'à nos jours. Nous ferons connaître ce qui existe; nous rechercherons ensuite ce que l'on pourrait faire pour l'améliorer.

En général, on doit remarquer que c'est dans les pays les plus avancés en population, en industrie, et dans les voies de la civilisation moderne, que les lois sur les pauvres et les mendians sont les plus complètes et les plus sévères. Ailleurs, on n'a encore éprouvé que le besoin de leur procurer des asiles et des secours.

CHAPITRE II.

DE LA LÉGISLATION RELATIVE AUX PAUVRES EN FRANCE.

Le principe de la charité religieuse doit dominer toute législation relative aux pau

vres.

AINSI que nous l'avons déjà exposé, les évêques, dans les premiers temps de l'église, étaient chargés, en France et dans les états catholiques, du soin immédiat des pauvres de leur diocèse. Ils pourvoyaient à leurs besoins au moyen des quêtes et des aumônes.

Lorsque le clergé eut des rentes assurées, on en assigna le quart aux pauvres.

La piété des princes et des fidèles fonda pour les indigens un grand nombre d'asiles, d'hospices et d'hôpitaux. Ces établissemens furent gouvernés d'abord, même au temporel, par des prêtres et des diacres sous l'inspection de l'évêque. Successivement ils reçurent des dotations, dont l'administration demeura confiée à des clercs; mais, dans le relâchement de la discipline, ceux-ci les convertirent en bénéfices. Ce fut pour remédier à cet inconvénient que le concile de Vienne transféra l'administration des hôpitaux à des laïques qui devaient prêter serment et rendre compte entre les mains de l'ordinaire (l'évêque). Le concile de Trente confirma ce décret.

Pendant long-temps les hôpitaux, les hospices et les

aumônes formèrent les seules institutions établies en faveur des

pauvres.

Charlemagne avait reconnu que le travail, qui s'accorde si parfaitement avec la morale et la politique, pouvait devenir un puissant auxiliaire de la charité. Cette pensée fut négligée par ses successeurs. Plusieurs siècles devaient s'écouler avant qu'elle ne fût reproduite.

François Ier, par lettres-patentes du 6 novembre 1544, institua à Paris un bureau général des pauvres, composé de treize bourgeois nommés par le prévôt des marchands, et de quatre conseillers au parlement de Paris. Ce bureau avait le droit de lever chaque année, sur les princes, les seigneurs, les ecclésiastiques, les communautés, et sur tous les propriétaires, une taxe d'aumône pour les pauvres, et il avait juridiction pour contraindre les cotisés. Cette disposition, qui fut d'abord bornée au ressort du parlement de Paris, prouve qu'à cette époque il existait à Paris un grand nombre de pauvres qui, ne pouvant être tous admis dans les hôpitaux et hospices destinés aux vieillards, aux enfans, aux malades et aux infirmes, se trouvaient obligés de recourir à la charité publique. La justice et la charité parurent exiger que chaque personne riche fût appelée, suivant ses moyens, à venir à leur secours. La taxe prélevée en leur faveur était, en général, distribuée en pains et autres alimens par le ministère des ecclésiastiques.

Le principe que l'entretien des pauvres était une charge locale, fut rappelé par diverses ordonnances du seizième siècle, notamment celle de 1566 et 1586. Cette dernière, due au chancelier de l'Hôpital, dispose que les habitans de toutes les villes du royaume seront tenus de nourrir et entretenir leurs pauvres, « sans que ceux-ci puissent vaguer ou se transporter d'un lieu à un autre, comme ils ont fait ci-devant et font encore à présent, mais qu'ils soient contenus dans leurs fins et limites, soit par con

tribution ou autrement, et par le meilleur ordre qu'il sera avisé, conformément à l'ordonnance de Moulins. » (Celle-ci appelait les maires et échevins à régler le concours des habitans pour l'entretien des pauvres.)

celle

Le cœur de Henri IV devait ressentir plus vivement qu'aucun autre les malheurs qui accablèrent ses peuples par suite des guerres civiles. Il créa à deux reprises, en 1399 et 1606, une chambre de charité chrétienne qui fut reproduite, en 1612, par Louis XIII, sous le nom de chambre de la réformation générale des hôpitaux ; ci supprima les maladreries, désigna les hôpitaux inutiles et ceux à conserver, avec les moyens de les améliorer. Les biens des maladreries furent dévolus aux hospices; mais ils leur furent enlevés plus tard et donnés, par le ministre Louvois, aux ordres de Saint-Lazare et du MontCarmel.

Ces mesures, inspirées peut-être par l'exemple de ce qui se passait en Angleterre, à cette époque contemporaine de la réforme, ne reçurent pas une exécution complète et rigoureuse, et tombèrent bientôt en désuétude.

Sous le règne de Louis XIV, la capitale était devenue le rendez-vous d'un grand nombre d'indigens, mais surtout de mendians et de vagabonds. On voit, dans le sommaire historique qui précède l'édit de 1656, par lequel l'hôpital général de Paris fut institué, qu'à cette époque se trouvait dans cette ville plus de quarante mille pauvres, parmi lesquels un grand nombre de voleurs et d'assassins menaçaient de la manière la plus alarmante la sûreté des habitans. Des ordonnances sévères contre la mendicité furent rendues à cette occasion.

Les années désastreuses, telles que 1699, 1700, 1709, multiplièrent à l'infini le nombre des pauvres, et surtout celui des mendians et des vagabonds; en 1709, on avait si peu de ressources pour soulager la misère publique, qu'on fut obligé de doubler l'impôt sur les boues et les lan

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