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CHAPITRE IV.

DE LA LÉGISLATION SUR LES MENDIANS EN FRANCE.

La pitié se retire alors qu'on l'importune.

(DELILLE.)

LA législation sur les mendians a été long-temps commune aux pauvres en général. Les abus et les désordres que favorisaient la mendicité et le vagabondage, ou auxquels ils servaient de prétexte, déterminèrent l'emploi de mesures répressives plus ou moins rigoureuses, suivant les temps et les circonstances.

Les peines infligées contre les mendians fainéans et vagabonds remontent à des époques déjà reculées; elles étaient sévères, cruelles, même dans le moyen-âge. Cette remarque suffit pour justifier le christianisme du reproche d'avoir encouragé la mendicité honteuse et dangereuse ; car il est probable que le clergé aurait arrêté formellement de telles rigueurs, s'il n'avait pas reconnu qu'il existait, dans l'action de mendier, pour se soustraire au travail, un délit dont la répression appartenait au pouvoir civil.

Les principes de l'église, à cet égard, ont été ceux des Hébreux: « Qu'il n'y ait point de mendians parmi nous,» dit l'Ecriture. Saint Paul défendait de nourrir les

mendians valides qui ne voulaient pas travailler : Quoniam si quis non vult operare, ne manducet (Epist. ad Thes, cap. 310). Cet apôtre, pour donner l'exemple, travaillait dans un atelier de mécanique lorsqu'il n'était pas occupé par les travaux de l'apostolat. La religion ne s'est donc occupée que des véritables pauvres, de ceux que leurs infirmités ou leur âge mettaient hors d'état de gagner leur vie par le travail : ceux-là durent être reçus dans les hospices ou être secourus par l'aumône. Quant aux pauvres valides qui préféraient vivre dans la paresse et le désordre, en trompant la charité publique, elle les considérait comme transgressant les lois divines et humaines, et usurpant les aumônes dues aux indigens véritables; elle devait donc les abandonner à la rigueur des lois.

Les anciens peuples, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, n'ont point été tourmentés, au même degré que les sociétes modernes, du fléau de la mendicité. Ce n'est pas que, chez eux, les richesses fussent plus également réparties; mais les esclaves composaient une grande partie de la population, et ils étaient nourris par leurs maîtres. Le peuple recevait souvent des distributions de blé, soit aux frais du trésor public, soit aux dépens des magistrats qui regardaient ces largesses comme un des attributs de leurs charges. Les gouvernemens ordonnaient d'immenses travaux uniquement pour occuper la classe indigente. Pline rapporte à cette vue politique la construction des pyramides d'Egypte : « Ne plebs esset otiosa. » En effet, les intendans de chaque province étaient chargés de fournir du travail à ceux qui n'en avaient pas. Le roi Amasis établit même des juges pour s'enquérir des moyens d'existence des habitans de chaque district: toute personne devait comparaître devant eux pour déclarer quelle profession elle exerçait. On ne permettait de mendier sous aucun prétexte, et des peines rigoureuses étaient infligées à ceux

qui vivaient dans la fainéantise. Ce fut ainsi que Solon et Minos, dans les lois qu'ils donnèrent aux républiques de la Grèce, où les mendians se rendaient quelquefois très redoutables, établirent, pour chaque citoyen, l'obligation de s'occuper d'une manière proportionnée à ses facultés. A Athènes, le tribunal de l'aréopage punissait l'oisiveté et la mendicité, et exerçait le droit d'examiner de quelle manière chaque citoyen employait son temps. A Rome, une des principales fonctions des censeurs était d'exercer une surveillance sévère sur les mendians et les vagabonds, et de vérifier, comme à Athènes, quel emploi les citoyens faisaient de leur temps (1). La loi civile chassait de la ville ou condamnait aux mines tout vagabond en état de travailler. Toutes les républiques anciennes étaient dirigées par ce principe : « que, pour l'exacte observation des lois et pour le maintien des mœurs, on ne pouvait trop encourager le travail et flétrir l'oisiveté. »

Chez les Hébreux, chez les Arabes, et en général dans l'Orient, l'hospitalité était une vertu pratique soigneusement observée. Les voyageurs et les étrangers étaient reçus chez les patriarches avec un empressement et une cordialité dont les livres saints nous ont retracé de touchans tableaux. Dans la Grèce, les mêmes mœurs se retrouvent, et Homère les a dépeintes plus d'une fois dans ses immortels ouvrages. On ne saurait confondre l'hospitalité, ainsi demandée et reçue dans les temps héroïques, avec la mendicité véritable. Ulysse et Télémaque, dans leurs aventures poétiques, Homère lui-même récitant ses vers sublimes, et plus tard l'illustre Bélisaire sollicitant une obole dans le casque qui avait ombragé sa tête victorieuse, réclamaient une noble hospitalité; mais des mendians véritables n'étaient soufferts qu'avec peine et mépris. On sait comment Irus, comment Ulysse déguisé en mendiant étaient traités

(1) Cavebant ne quis oliosus in urbe aberraret.

par les poursuivans de Pénélope. Lorsqu'Ulysse se présenta à Urimaque, ce prince, le voyant fort et possédant des formes athlétiques, lui offrit du travail qu'il promit de payer : « Si tu ne veux pas travailler, dit-il, je t'abandonne à ta mauvaise fortune. » Plaute (dans son Trinummus) dit: De mendico malè meretur qui ei dat quod edat aut quod bibat; nam et illud quod dat perdidit et illi producit vitam ad miserrimam (1). A Rome, un mendiant était donc un être dont il fallait se garder de prolonger l'existence. L'hospitalité, fortifiée par l'esprit du christianisme, continua à s'exercer avec empressement dans les premiers temps de l'église. Pendant toute la durée du moyen-âge, les nobles, les prêtres, les religieux, les troubadours voyageaient en demandant l'hospitalité, les serfs en sollicitant l'aumône. Chez les Bourguignons, l'hospitalité était obligatoire par les lois. La charité religieuse avait fondé des asiles pour les malades et les pauvres impotens; mais, les hôpitaux et les hospices n'étant point assez vastes, assez nombreux, ni assez richement dotés pour recevoir ceux que la misère aurait dû y faire admettre, les pauvres recouraient à la charité publique, et les maisons religieuses s'empressaient surtout de répandre sur eux d'abondantes aumônes.

Dans cet ordre de choses, aucune espèce de honte ne pouvait être attachée à la mendicité. Il en fut ainsi tant qu'elle ne donna lieu à aucun abus ni à des désordres. Mais successivement les guerres, les troubles civils, la corruption des mœurs, l'oubli des principes religieux entrainèrent un grand nombre d'individus dans la carrière du vagabondage et de la fainéantise. L'attrait d'une vie oisive et aventureuse dans les villes, était favorisé par l'usage universel de l'hospitalité et de l'aumône. On vit alors de faux pauvres se faire une profession de la mendi

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cité, y entraîner leurs familles, et des criminels se livrer à toutes sortes d'excès en se couvrant du masque de l'indigence infirme et délaissée. Les gouvernemens sentirent le besoin de réprimer ces désordres, et la législation répressive de la mendicité commença à passer dans le code des lois.

Les successeurs de Constantin voulurent que quiconque arrêterait un mendiant valide eût le droit de le mettre aux fers et de le garder comme esclave jusqu'à la fin de ses jours. Charlemagne défendit de faire l'aumône aux hommes valides.

Il paraît qu'en France, dès le douzième siècle, les mendians de profession étaient déjà devenus un objet d'inquiétude dans les principales villes du royaume ; c'était dans les groupes de ces vagabonds que les voleurs, les assassins et les agens d'infàmes débauches allaient se recruter. En 1388, les mendians de Paris furent accusés d'avoir empoisonné des puits, et telle était la prévention inspirée par leurs désordres habituels, que plusieurs furent exécutés par provision, sauf à prononcer plus tard sur leur culpabilité réelle.

Dans ce siècle, et encore long-temps après on voyait à Paris, dit l'historien Villaret, plusieurs enceintes remplies de cabanes, servant de retraites à des misérables dont la seule occupation était de mendier pendant le jour et de voler pendant la nuit ; ils vivaient là dans le plus honteux abrutissement, sans autres lois que celles qu'ils s'étaient faites pour le partage du butin. On ne pouvait approcher de leurs repaires sans danger d'être maltraités. Quand ils sortaient, c'était pour exciter la compassion par des infirmités feintes, et comme ces infirmités disparaissaient aussitôt qu'ils étaient rentrés chez eux, les lieux où ils se retiraient furent appelés cours des miracles, nom qui s'est conservé jusqu'à nos jours (1).

(1) Sous les Valois, les pauvres formaient à Paris près du 5o de la population, et il s'y trouvait 40,000 mendians. (Dulaure, tome 6, page 298.)

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