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mation des ordres de religieux mendians consacrés à la prière, et devant vivre uniquement des dons de la charité publique. Vers le temps des croisades, les pélerinages et le système féodal avaient réuni les idées d'hospitalité et de mendicité au point de confondre l'abus avec l'usage. Nous reviendrons sur ces notions historiques, en examinant la législation concernant les mendians. Mais dans ce temps-là même, la religion n'ignorait pas que les vices, répandus dans la société humaine, conduisent à l'abandon du travail, et que l'oisiveté engendre tous les vices. De tous les temps elle avait prescrit le travail à tous les hommes, comme la suprême loi de l'univers : elle avait flétri celui qui préfère demander son pain plutôt que de pourvoir lui-même aux besoins de son existence. Mais, à ses yeux, le malheur demeure toujours sacré. Elle aime mieux que la charité soit trompée dans ses largesses que retardée ou rendue illusoire par des recherches lentes ou des distinctions difficiles à établir. Elle recommande donc tous les pauvres aux riches de la terre. C'est en soulageant les uns par des secours matériels, les autres par le travail, l'instruction et la morale, qu'elle désire voir accomplir le précepte: « Qu'il n'y ait ni indigent ni mendiant parmi vous. >>

En effet, pour avoir le droit d'interdire et de punir la mendicité, il faut avoir réussi à faire disparaître l'indigence.

Ici encore se trouvent en présence les deux systèmes philosophiques; et, par eux, on peut expliquer la différence que présentent les divers états de l'Europe sous le rapport de l'indigence et de la mendicité.

Dans les pays où les doctrines de la civilisation matérielle régissent en majorité l'ordre social, soit par leur influence sur les lois, soit par leur action sur les mœurs publiques, il existe beaucoup de pauvres, et l'on voit, comparativement, peu de mendians. La vue de ces pauvres importuns ferait tache à la prospérité apparente, et

leur voix plaintive attristerait les plaisirs des riches. Il faut les écarter, les emprisonner même, s'il en est besoin. L'aumône est regardée comme un encouragement à l'oisiveté et au vagabondage; l'aumône doit être proscrite et les mendians balayés comme les immondices des rues.

Dans les états où les antiques croyances ont conservé plus d'énergie, il y a moins de pauvres, mais, aussi, proportionnellement plus de mendians, ou, plutôt, les mendians sont à peu près les uniques pauvres.. Là, la misère ne se manifeste guère que par la mendicité.

C'est par les mêmes motifs que l'on voit plus de mendians dans les campagnes que dans les villes. Ces dernières ont d'ailleurs une police plus sévère et des établissemens charitables ou de répression qui n'existent pas dans les communes rurales.

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La différence des climats, qui, dans les pays chauds, contribue à diminuer les besoins, exerce une influence réelle sur l'extension de la mendicité. La chaleur porte au repos, et le repos devient à la fois un besoin et un usage parmi les habitans des régions méridionales, parce que travail y est plus pénible, et qu'un léger salaire suffit à l'existence. Or, c'est en général dans les contrées du midi que les corps religieux ont conservé les richesses destinées aux pauvres ; c'est là que le précepte de l'aumône est le plus généralement observé; c'est là, enfin, que le pauvre peut vivre avec le produit des plus légers secours. De la réunion de ces circonstances il doit nécessairement résulter, d'une part, que la misère y sera moins générale, de l'autre, que la mendicité y sera plus répandue que dans les pays où existent des conditions absolument opposées.

C'est d'après ces premiers aperçus que l'on peut juger de la situation des diverses parties de l'Europe, sous le rapport de la mendicité.

Nous avons déjà fait remarquer que nous manquions absolument de renseignemens précis pour constater le nom

bre d'indigens existant dans cette portion de l'univers. La même absence de documens officiels subsiste au sujet des mendians. Les indications consignées à cet égard dans quelques ouvrages de statistique et d'économie politique sont trop vagues pour servir d'appréciation à cet égard.

Pour nous rendre compte avec quelque certitude du nombre de mendians qui pouvaient exister en Europe, et de leur rapport soit avec la population indigente, soit avec la population générale, nous avons donc été forcés de nous livrer à des calculs analogues à ceux qui nous ont servi à évaluer le nombre des indigens. A l'aide de diverses notions administratives, de rapprochemens multipliés et de diverses combinaisons statistiques, nous sommes arrivés aux résultats présentés dans la carte ci-contre et dans le tableau récapitulatif qui va suivre :

10 Dans la Grande-Bretagne, la taxe des pauvres, charité légale, devrait servir à faire disparaître la misère extérieure et à interdire la mendicité. Toutefois, s'il faut en croire divers auteurs, la ville de Londres seule renferme 16,000 mendians, et les principales villes de l'Angleterre, de l'Ecosse, et surtout de l'Irlande, en offrent dans une proportion analogue. On ne saurait donc guère évaluer à moins de 200,000 le nombre des mendians de ce royaume; c'est environ le 1/19 de la population indigente (3,900,000 individus), et le 117e de la population géné rale (25,400,000 habitans ) (1).

(1) « Les secours distribués aux pauvres, en Angleterre, ne compriment pas la mendicité d'une manière absolue. Elle se fait moins remarquer que dans les autres contrées; mais elle existe partout et pour tous les âges. Sur les grandes routes, dans les campagnes comme dans les rues de Londres, on rencontre des gens, souvent très valides, qui cherchent à exciter la pitié par le spectacle de leur misère ou de leurs infirmités, ou par leur chant monotone et criard, ou par le soin de balayer les intervalles qui séparent les trottoirs, et qui, tous, exploitent l'importunité, comme le genre d'industrie le plus facile et celui qui leur rapporte le plus. »

«En Angleterre, une somme très considérable (plus de 200,000,000 fr.)

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