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ainsi dans leur silence, c'est comme s'ils fuyaient quand le loup approche. C'est à ces pasteurs que Dieu adresse ces paroles par l'organe d'un prophète (Is., LVI, 10) Ce sont des chiens muets qui ne sauraient aboyer. Il s'en plaint encore par ces paroles d'un autre prophète (EZECH., XIII, 5): Vous ne vous êtes point présentés sur la brèche, et vous n'avez point élevé de rempart devant la maison d'Israël, afin de tenir ferme dans le combat au jour du Seigneur. Monter sur la brèche, c'est parler librement contre les puissances du siècle pour la défense du troupeau; et tenir ferme dans le combat au jour du Seigneur, c'est résister aux efforts des méchants, en soutenant avec ardeur les intérêts de la justice. En effet, ne peut-on pas dire qu'un pasteur abandonne son poste, quand il garde le silence et qu'il craint de faire entendre des paroles sages et utiles? Mais celui qui a le courage d'exposer sa vie pour la défense de son troupeau, s'oppose comme une muraille aux ennemis de la maison d'Israël. C'est de ces pasteurs lâches, qui abandonnent leur peuple, que le Seigneur a dit encore (THREN., II, 9): Ces prophètes n'ont eu que des visions folles et mensongères; ils ne t'ont pas ouvert les yeux sur tes iniquités pour te porter au repentir. Les docteurs de la loi sont souvent appelés prophètes dans l'Ecriture sainte, parce qu'en enseignant combien sont fragiles les biens de ce monde, ils découvrent la solidité des biens futurs. Dieu dit qu'ils ont eu des visions mensongères, parce que, n'osant blâmer la conduite du pécheur, ils l'entretiennent dans ses vices par une fausse sécurité qui le trompe, et ils n'osent lui ouvrir les yeux sur ses iniquités, en gardant le silence tandis qu'ils devraient l'exciter à la pénitence. Les réprimandes du pasteur sont semblables à une clef qui ouvre ; car de justes reproches font reconnaître des fautes que celui qui les a commises ignore souvent lui-même. C'est pourquoi Paul a dit (Tit., I, 9): Qu'il soit fortement attaché aux maximes qui sont conformes à la foi et à la doctrine de Jésus-Christ, afin qu'il soit en état d'enseigner la saine doctrine et de convaincre ceux qui la contredisent. » C'est aussi ce qui a fait dire au prophète Malachie (II, 7): Les lèvres du prêtre seront les dépositaires de la science, et on recherchera de sa bouche la connaissance de la loi, parce qu'il est l'ange du Seigneur des armées. Et le prophète Isaïe donnait cet avertissement de la part de Dieu à tous les pasteurs (LVIII, 1): Crie, crie sans cesse, que ta voix relentisse comme la trompette. En effet, quiconque se charge du sacerdoce, prend les fonctions de béraut; il marche pour ainsi dire devant le juge terrible qui

doit le suivre, et il annonce son arrivée. Si donc un prêtre ne fait point annoncer la parole divine, héraut muet, comment pourra-t-il s'acquitter de ses fonctions? Le Saint-Esprit descendit en forme de langues sur les premiers pasteurs de l'Eglise, pour montrer que ceux qu'il remplit de ses dons doivent s'empresser de les communiquer. Dieu ordonna à Moïse d'attacher des sonnettes à la robe dont le prêtre devait être revêtu lorsqu'il entrait dans le tabernacle, pour lui rappeler qu'il devait annoncer la vérité et ne point provoquer par son silence la colère du souverain juge, qui a les yeux fixés sur lui; car il est écrit (Exod., XXVIII, 35): Et on entendra le bruit qu'il fera avec ses sonnettes, soit lorsqu'il entrera dans le lieu saint en la présence du Seigneur, soit lorsqu'il en sortira, et à cette condition, il ne mourra point. Un prêtre qui sort et qui entre sans qu'on l'entende, c'est-à-dire qui poursuit son chemin sans prêcher la vérité, sera puni de mort, parce que son silence allume la colère du juge invisible. »

3. S. AUGUSTIN, Epist. CIX (al. 211), ad Monachas : « Si vous remarquez dans quelqu'une d'entre vous de ces regards effrontés, avertissez-la sans délai, pour empêcher le mal d'empirer, et l'étouffer dès sa naissance. Que si, quoique avertie, elle retombe, soit sur-le-champ, soit dans quelque autre occasion, celle qui s'en aperçoit doit en faire le rapport, afin qu'on puisse y apporter remède. Mais il faut pour cela qu'elle fasse préalablement remarquer ce qui se passe à une ou deux de ses sœurs, pour que, se trouvant convaincue par la bouche de deux ou trois témoins, la coupable puisse être punie comme elle le mérite. Et ne pensez pas qu'on puisse vous accuser de malignité, lorsque vous ferez de ces sortes de rapports: vous seriez coupables au contraire, si, pouvant guérir vos sœurs en les déférant, vous les laissiez périr faute de rompre le silence à leur sujet. Si une de vos sœurs avait sur son corps une plaie qu'elle voudrait tenir cachée, de peur qu'on n'y portât le scalpel, ne serait-ce pas une cruauté à vous de n'en rien dire, et n'y aurait-il pas au contraire de la charité à la faire connaître? A combien plus forte raison ne devez-vous pas découvrir les plaies de leurs âmes, qu'il est incomparablement plus dangereux de laisser s'envenimer que celles du corps?...

>> Ce que je viens de dire de cette espèce de fautes, doit s'observer exactement pour toutes les autres, et il faut garder le même ordre pour les découvrir et les arrêter dès leur naissance, c'est-àdire, déférer, convaincre et punir les coupables, ce qui doit se

faire avec beaucoup de haine pour le mal lui-même, mais toujours avec beaucoup de charité pour les personnes (1). »

mes

4. Le même, Lib. L, Homiliarum, Hom. 7: « Si vous voulez bien y faire attention, vous verrez, mes frères, que non-seulement les évêques, mais encore tous les prêtres et tous les ministres de l'Eglise, occupent des postes fort critiques pour leur salut. Car c'est à eux que l'Esprit-Saint adresse cette injonction Criez sans cesse, faites retentir votre voix comme une trompette; annoncez au peuple les crimes qu'il a commis, et à la maison de Jacob ses prévarications (Is., LVIII, 1). Et cette autre encore: Si vous ne reprochez pas au pécheur son iniquité, je vous redemanderai son sang (EZECH., III, 18). C'est d'eux aussi que l'Apôtre disait aux fidèles : Obéissez à vos conducteurs, et soyez soumis à leur autorité; car ce sont eux qui veillent pour le bien de vos âmes, comme devant en rendre compte (Hébr., XIII, 7). Si chacun de vous, frères, peut à peine soutenir le compte qu'il aura à rendre de sa propre conduite au jour du jugement, que sera-ce des prêtres, à qui le souverain juge redemandera les âmes de tous ceux qu'ils auront eus à gouverner? A la vue donc du péril où nous sommes, priez pour nous, afin que par notre attention à procurer l'aliment spirituel au troupeau qui nous est confié, nous méritions pour le dernier jour un témoignage favorable. Observez avec attention ce que j'ai la volonté de vous dire, si je puis, avec le concours de vos prières, trouver mon appui dans celui dont la pensée seule m'inspire de la crainte. Entre autres instructions qui s'adressent aux évêques, l'Apôtre dit qu'ils doivent être capables d'exhorter selon la saine doctrine, et de convaincre ceux qui s'y opposent (Tit., I, 9). C'est là un grand honneur, mais en même temps un grand fardeau. J'espérerai toutefois de la miséricorde de Dieu que, touché des prières que vous lui ferez pour nous, il nous délivrera du piége des chasseurs, et de la parole âpre et piquante (Ps. XC, 3). Car il n'y a rien qui ralentisse plus le zèle des ministres de Dieu à reprendre les contradicteurs, que la crainte d'en être repris soi-même, ou d'essuyer leur critique. En redoutant outre mesure les détractions, les railleries, les insultes des hommes superbes, en appréhendant de leur part quelque atteinte à notre bonheur d'ici-bas et à nos biens temporels, il peut arriver que nous prêchions avec moins de force qu'il ne faut les vérités éternelles. Et c'est ainsi que la peur de nous voir dépouillés par le crédit

(1) Cf. Lettres de saint Augustin, t. VI, p. 46-48.

des méchants de quelque avantage de la vie présente, peut nous faire négliger le soin d'appliquer des remèdes convenables à leurs maux spirituels. Il est donc à craindre que nous n'ayons à rendre au jour du jugement un compte sévère, tant pour nous que pour ceux à qui nous n'aurons pas osé parler durement par un effet de notre affection pour les biens terrestres. »

5. S. PROSPER (1), Lib. I de vitâ contemplativá, c. 20 : « Quant à ce que dit l'Apôtre, que nous devons servir de modèles aux fidèles, qu'en sera-t-il, si celui qui est chargé d'encourager les bons et de reprendre les méchants, en même temps qu'il présente aux bons des exemples à imiter dans la régularité de sa vie, n'ose pas élever la voix pour réprimer les méchants? Car si le prêtre est particulièrement obligé de bien vivre, c'est, si je ne me trompe, pour qu'il n'anéantisse pas l'effet de ses paroles. par une conduite toute opposée en faisant le contraire de ce qu'il recommande publiquement, ou en osant prêcher une doctrine différente de celle qu'il pratique. S'il agit autrement, il n'aura aucun succès auprès de ceux qui connaîtront sa manière de vivre, parce qu'il est préposé à l'Eglise de Dieu non-seulement pour servir d'exemple aux autres par une vie régulière, mais encore pour représenter avec courage aux pécheurs leur triste état, leur montrer le châtiment qui leur est réservé s'ils s'endurcissent, la gloire qui les attend s'ils se convertissent; ne désespérer du salut d'aucun, n'en rebuter aucun, pleurer sur ceux qui refusent de s'amender, à l'exemple de l'Apôtre qui disait : Je crains d'être obligé d'en pleurer plusieurs, qui étant déjà tombés en plusieurs déréglements, n'en ont point fait pénitence (II Cor., XII, 21); comme il disait encore : Qui est faible, sans que je m'affaiblisse avec lui? Qui est scandalisé sans que je sois embrasé de zèle (II Cor., XI, 29)? Persuadé donc que, s'il a de la partialité pour les riches et les puissants, de la complaisance enfin pour ceux qui vivent dans le désordre, il les perdra et se perdra lui-même avec eux, il ne doit négliger, ni de mener une vie sainte pour le bon exemple, ni d'instruire les fidèles pour l'acquit de la charge qui lui est confiée, dans la certitude où il est qu'il ne lui servira de rien de mener lui-même une vie irréprochable, s'il n'en a pas moins à répondre de la perte des âmes, tandis qu'un autre qui ne serait point obligé d'enseigner à ses semblables la voie du salut, n'aurait du moins en se perdant à être puni que

(1) Ou plutôt Julien Pomère, auteur de l'ouvrage cité ici.

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pour le mal qu'il aurait fait lui-même. Mais celui à qui la prédication de l'Evangile a été confiée, aurait beau vivre saintement; s'il rougit ou s'il craint de reprendre ceux qui mènent une vie criminelle, il périra avec ceux que son silence aura laissés se perdre. Et de quoi lui servira-t-il de n'avoir pas de péchés personnels à expier, s'il doit porter la peine des péchés des autres? Ou je me trompe fort, ou c'est là ce que le Seigneur a voulu dire par ces paroles adressées figurément au prophète Ezéchiel : Fils de l'homme, je vous ai établi comme sentinelle sur toute la maison d'Israël (EZECH., III, 17; XXXV, 2-7). Et nous ne devons pas regarder comme une expression indifférente, qu'il appelle le prêtre du nom de sentinelle; car de même qu'une sentinelle doit se placer dans un lieu élevé pour que sa vue puisse embrasser plus d'objets, de même le prêtre doit se proposer ce qu'il y a de plus sublime, et s'élever au-dessus de tous les autres par sa sainteté et par sa science, pour pouvoir instruire avec fruit ceux qu'il a sous sa conduite. Voyons maintenant ce que Dieu va dire au Prophète : Vous écouterez la parole de ma bouche, et vous leur annoncerez ce que vous aurez appris de moi (EZECH., III, 17). Car le prêtre ne doit dire que ce qu'il a appris dans les livres saints, que ce que Dieu peut lui avoir inspiré, et non ce qu'il aurait découvert par des moyens purement naturels. Vous leur annoncerez de ma part, lui dit-il. De ma part, et non de la vôtre; ce sont mes paroles que vous répéterez. Vous n'aurez point à vous glorifier de ce que vous aurez dit comme du produit de votre propre génie; c'est de ma part que vous l'aurez annoncé. Mais écoutons ce qu'il va annoncer. Si, lorsque je dirai à l'impie, Vous serez puni de mort, vous ne lui annoncez pas ce que je vous aurai dit, et si vous ne lui parlez pas afin qu'il se détourne de la voie de son iniquité et qu'il vive, l'impie mourra dans son impiété, mais je vous redemanderai son sang (EZECH., III, 18). Quoi de plus explicite, de plus clair que ces paroles? Si vous ne parlez pas à l'impie pour qu'il se garde de son impiété, et qu'ainsi il vienne à périr, je vous redemanderai son sang; c'est-à-dire, si vous ne lui représentez pas ses péchés, si vous ne l'en reprenez pas, afin qu'il se convertisse de son impiété et qu'il vive, je livrerai aux flammes éternelles, et vous-même qui ne l'aurez pas repris, et lui que vous aurez autorisé à pécher par votre silence. Quel est le cœur de bronze ou de rocher qui ne s'effraierait à cette pensée? Quel est l'esprit si incrédule que cette pensée ne rendrait croyant? >>

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