de vaine gloire au milieu des honneurs et des louanges humaines. La fin de la pureté est de trouver son plaisir dans le mépris de tous les plaisirs. La fin de la longanimité est de vivre dans une grande égalité d'esprit en tout temps et en toutes rencontres sans se troubler, sans s'inquiéter et sans se démentir jamais. TROISIÈME POINT. Cette perfection est grande, mais elle n'est pas sans exemple. Il n'y a point de passion si difficile à surmonter, que les saints n'aient pleinement vaincue, et sur laquelle ils n'aient acquis un glorieux empire. L'amour de la gloire est le premier vice qui nous attaque et le dernier dont nous remportons la victoire (1). Esther l'avait tellement vaincu, qu'elle ose dire à Dieu dans l'ardeur de sa prière : Vous savez, Seigneur, que depuis que je suis entrée dans la cour, je ne me suis plue ni réjouie qu'en vous seul, ô le Dieu d'Abraham (2)! La crainte des tourments, de la mort, ou de quelque grand malheur qui nous menace, est si difficile à surmonter, que saint Jean Climaque (g. 4, col. 8) assure que d'être intrépide au milieu des tumultes et des dangers, c'est une chose qui surpasse tous les miracles, au sentiment d'un des pères du désert, de qui il l'avait appris. Et néanmoins plusieurs saints, avec le secours de la grâce, se sont mis au-dessus de cette passion violente avec une force d'esprit que rien ne pouvait ébranler. Saint Hilarion couchait la (1) Primum in peccato, in conflictu ultimum. Cass., I coll. 12, C. I. (2) Tu scis quod nunquam sit lætata ancilla tua ex quo huc translata sum usque in præsentem diem, nisi in te Deus Abraham. Esther., 14, 18. nuit dans les tombeaux et dormait d'un sommeil tranquille parmi les ossements des morts. Saint Marcius (S. Greg., l. 3 Dial., c. 16) demeura trois ans tout seul dans une caverne avec un serpent, priant et reposant auprès de lui sans aucune appréhension. L'abbé Ammon, au rapport de Ruffin, voyant venir à soi un dragon d'une grandeur énorme, qui désolait toute la contrée et qui était tout prêt de se jeter sur lui avec des sifflements effroyables, n'en fut non plus ému que du bruit d'une feuille d'arbre, mais l'attendant avec un visage assuré, il lui dit ces paroles avec lesquelles il le fit crever: Que JésusChrist le Fils de Dieu te tue (1). Et l'abbé Théodore, qui avait demandé à Dieu qu'il lui ôtât la crainte, étant interrogé si le bruit de quelque ruine imprévue ne lui ferait point de peur, répondit: Quand le ciel tomberait et viendrait se joindre à la terre, Théodore n'en tremblerait point (2). La tristesse est un mal opiniâtre qui s'attache aisément au cœur de l'homme et qui n'en sort qu'avec peine. Saint Bernard dit que c'est un obstacle à tout bien (3), et saint Ambroise, que c'est un clou qui nous attache à la terre. Néanmoins saint Antoine avait toujours un visage riant, et cette joie du ciel qui paraissait sur son visage le faisait distinguer des autres. Enfin, il n'est rien de plus difficile que de se défaire de l'amour-propre, qui est la source de toutes les passions et la cause de tous les vices, comme dit saint Thomas. Par conséquent rien de plus malaisé que d'acquérir cette grande égalité d'esprit, qui ne (1) Perimat te Christus filius Dei. (2) Si cœlum terræ adhæreat, Theodorus non timebit. (3) Omnis boni impedimentum. se trouble de rien et qui est toujours le même. Cependant plusieurs grands serviteurs de Dieu y sont parvenus. On dit de saint Ignace, qu'il avait totalement banni de son cœur l'amour de soi-même et de tout ce qui n'est point Dieu, auquel il avait fait un transport de toutes ses affections, pour ne vivre plus que de son pur amour (1); de saint François Xavier, qu'il avait dompté toutes ses passions, et qu'il les tenait toutes en son pouvoir; d'où vient qu'il jouissait d'une paix continuelle et d'une merveilleuse égalité (2); du père Balthazar Alvarez, qu'il avait acquis un empire si absolu sur toutes les affections de son cœur, qu'il ne paraissait jamais ému ni troublé, et que ses passions qui l'empêchaient auparavant, ne lui nuisaient plus, mais au contraire servaient sans peine à l'esprit. Sévère Sulpice donne cette louange à saint Martin, qu'on ne le voyait jamais en colère, jamais triste, jamais évaporé, mais qu'il était toujours égal, portant sur le visage les marques d'une joie toute céleste, comme s'il eût été affranchi de toutes les faiblesses humaines (3). On lit dans la vie de saint Bernard, que la nature dans sa personne n'était jamais de mauvaise intelligence avec la grâce, qu'il avait reçu du ciel une bonne âme et un appétit sensitif, exempt de rébellion, qui se plaisait aux exercices spirituels et qui servait par inclination à (1) Hanc in Deum caritatem adeò puram in se aluit retinuitque, ut etiam sui ipsius amorem prorsùs à se amandaverit. Relatio pro Canonisat. S. Ignat. (2) Amorem rerum omnium quæ Deus non sunt à seipso prorsùs abjecit atque in eumdem transtulit Deum. Ibidem. (3) Nemo unquam Martinum vidit iratum, nemo mærentem nemo ridentem; unus idemque semper cœlestem quodam modo lætitiam vultu præferens extra naturam hominis videbatur. Sever. Sulp., dial. 1. l'esprit dans les choses de Dieu (1). Saint Bonaventure (2) dit que saint François était parvenu à une si grande pureté, que la chair était de concert avec l'esprit, et l'esprit avec Dieu par une admirable harmonie; et que l'esprit aspirant à la sainteté dans toute son étendue, non-seulement la chair ne lui résistait point, mais qu'elle semblait le prévenir et s'y porter toute la première (3). Le bienheureux Raymond, dans la vie de sainte Catherine de Sienne, dit que cette sainte était exempte de toutes les passions auxquelles les personnes vertueuses sont ordinairement sujettes, et qu'elle ne se relâchait pas un seul moment de la serveur du divin amour; d'où vient que ni le vent de la vaine gloire, ni aucun autre mouvement déréglé de la concupiscence ne pouvait trouver lieu dans son âme. PRATIQUES ET ASPIRATIONS. N'avez-vous pas sujet d'entrer dans une sainte confusion, vous voyant si éloigné de la perfection de ces grands saints, et de former un généreux dessein de vous rendre tellement maître de vos passions, que vous ne perdiez jamais la paix de l'âme ni l'égalité de l'esprit ? 1. Faites donc état, avant toutes choses, que l'empire que vous prétendez acquérir sur les mouvements déréglés de votre âme, dépend plus de Dieu que de vous, et qu'il le lui faut demander avec de (1) Natura in eo non dissentiebat å gratia. Sortitus erat animam bonam, sensualitatem non superbè rebellem, sed congaudentem spiritualibus studiis et in eis quæ ad Deum sunt, spontè subditam spiritui et servientem. (2) In vit. S. Francisci, c. 5, n. 8 et 14, n. 1. (3) Cum ille niteretur ad omnem sanctitatem pertingere, ipsa non solum non repugnaret, sed præcurrere niteretur. fréquentes et ferventes prières. Dites-lui donc souvent: Régnez, Seigneur, au milieu de vos ennemis (1). Donnez à vos serviteurs cette paix, ce calme des passions que le monde ne peut donner (2). 2. N'attendez pas néanmoins que Dieu vous accorde cette grâce, sans que vous y coopériez vousmême. Il pourrait vous faire ce don gratuitement, comme il l'a fait à quelques-uns; mais c'est un privilége auquel vous ne devez pas prétendre. Son procédé ordinaire est de donner à ses serviteurs cet heureux empire en l'une de ces deux manières, ou comme une récompense de quelque action héroïque et d'une grande et généreuse victoire de soi-même, en quelque occasion importante et difficile, ou comme le fruit d'une longue et continuelle mortification en toutes choses. C'est à quoi vous devez vous résoudre, vous figurant que Dieu vous donne lui-même cette grande loi du pur amour. Vainquez-vous vous-même, faites-vous violence (3). Donnez du sang, et vous aurez l'esprit de vie et la vie de l'esprit (4). 3. Usez dans ce combat du don de science et de force: de science, pour connaître quelle passion prédomine en vous; et de force, pour l'attaquer: de science, pour choisir les moyens les plus propres; et de force, pour les exécuter: de science, pour n'aller point à l'excès et ne rien précipiter; de force, pour ne point vous relâcher ni quitter le combat que vous n'ayez remporté la victoire: enfin de science, pour éviter les dangers et les occasions de tomber; de force, pour vous "(r) Dominare in medio inimicorum tuorum. (2) Da servis tuis illam quam mundus dare non potest pacem. (3) Vince teipsum. (4) Da sanguinem, et habebis.spiritum. |