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relever promptement lorsque vous êtes tombé, sans

vous décourager.

IIIe ENTRETIEN

DU QUATRIÈME JOUR.

FAIRE TOUTES SES ACTIONS EN LA PRÉSENCE DE

DIEU.

PREMIER POINT.

CELUI qui agit par le mouvement du pur amour doit faire toutes ses actions en la présence de Dieu. Plusieurs raisons nous obligent à pratiquer ce saint exercice avec amour et avec joie.

1. Le fils se plaît en la présence de son père, et l'ami en la présence de son ami, parce qu'il l'aime; car, comme dit un excellent maître de la vie spirituelle, c'est une espèce d'amitié, qui n'a point d'exemple dans la nature, d'aimer un ami et de n'aimer pas sa présence (1). Si donc l'exercice de la présence de Dieu ne vous est pas agréable, si vous le pratiquez rarement, si vous vous y portez avec peine et avec froideur, c'est signe que vous avez peu d'amour.

2. Dieu n'a point de plus doux emploi que de contempler les justes, qui l'aiment et qui le craignent (2). Vous diriez qu'il ne fait point d'état de tout le reste, et que tout son soin est de veiller à leur salut et de se tenir au haut de l'échelle de Jacob pour voir ces

(1) Inaudita est ista dilectio quæ amicum amat, et ejus præsentiam non amat.

(2) Oculi Domini super justos, oculi Domini super me

tuentes eum.

anges de la terre, soit qu'ils montent ou qu'ils descendent. Pourquoi ? Pour relever ceux qui tombent, et animer au travail par ses regards ceux qui s'efforcent de monter (1). Pourquoi donc ne sera-ce pas aussi notre plus douce et plus sérieuse occupation de penser souvent à Dieu, d'y penser amoureusement, d'y penser continuellement, si la faiblesse humaine le pouvait permettre? Pourquoi ne dirons-nous pas avec saint Augustin: Mon Dieu, je veux toujours penser à vous, parce que vous pensez toujours à moi; et comme vous tenez toujours vos yeux arrêtés sur moi sans les détourner jamais, aussi je ne vous veux jamais perdre de vue (2).

3. C'est là l'étude de tous les saints, comme dit un de nos généraux (3), de vivre continuellement en la présence de Dieu, de s'abîmer dans son sein, de se cacher sous les rayons de son visage et d'y faire leur séjour perpétuel, comme dit l'Ecriture (4). Voilà la demeure des ouvriers évangéliques, voilà le lieu de leurs délices, où ils passent heureusement leur vie, loin du trouble des hommes, même au milieu du tracas et de l'embarras des hommes; et quand ils en sortent, soit par leur faute, soit par la nécessité des affaires, ils croient être dans un exil et ne se donnent point de repos qu'ils ne soient rentrés en Dieu.

4. Voilà, dit ce même père, notre héritage, voilà le patrimoine que nos pères nous ont laissé, et que nous devons fidèlement transmettre à ceux qui

(1) Ut lapsis manum porrigat, et ascendentes suo ad laborem provocet aspectu. S. Hieronym.

(2) Non auferam à te oculos meos, quia et tu non aufers à me oculos tuos.

(3) P. Vincent. Caraffa., ep. 1.

:

(4) Habitabunt recti cum vultu tuo. Ps. 139.

2

viendront après nous; patrimoine céleste, riche héritage d'une sainte conversation et d'une très-étroite familiarité avec les bienheureux et avec Dieu même (1). Il l'appelle notre héritage, parce que nous le tenons de notre père saint Ignace, qui désirait que les nôtres s'accoutumassent à regarder Dieu en toutes choses, et se rendissent familier l'exercice de sa présence, non-seulement dans l'oraison, mais encore dans toutes leurs actions, en les rapportant toutes en particulier à sa plus grande gloire (2). II l'appelle un héritage céleste, parce qu'il nous est commun avec les anges, qui descendent du ciel pour procurer le salut des âmes sans perdre Dieu de vue, en quoi notre saint fondateur veut que nous les imitions et que nous exprimions dans notre conduite une image de la vie céleste, suivant ces excellentes paroles de saint Nile: Occupez-vous de la pensée de Dieu continuellement, et votre âme deviendra un ciel avec les anges (3).

5. Ce divin exercice est nécessaire à tous ceux qui veulent acquérir la pureté de cœur. Celui qui veut purifier son cœur, qu'il l'échauffe sans cesse par le souvenir de Jésus-Christ; que ce soit là son

(1) Hæc nostra hæreditas, hoc patrimonium à majoribus acceptum, et fideliter posteris transmittendum, patrimonium cœleste, hæreditas sanctæ cum beatis ipsoque cum Deo consuetudinis et arctissimæ familiaritatis. P. Vincent. Caraffa, gener., societ. Jesu, ep. 1.

(2) Hoc familiare nostris optabat esse, ut Deum in rebus omnibus præsentem cernerent, et mentes suas non in oratione tantum ad cœlestia attollerent, sed universas res atque actiones singulas in Deum referrent. P. Ribadeneira in vita S. Ignat., 1. 5, с. 1.

(3) Semper de Deo cogita, et mens tua cœlum cum angelis fiet. S. Nilus abbas, opusc. qui titulus diversa capita.

principal emploi; qu'il ne se contente pas de s'en souvenir à l'oratoire, qu'il s'en souvienne en tout lieu et en tout temps (1). L'or ne se raffine pas pour être un peu de temps dans le feu, si on le laisse refroidir, ni le cœur pour être une heure recueilli dans la présence de Dieu, s'il est dissipé le reste du jour, il perd dans l'action ce qu'il avait acquis dans l'oraison.

6. Il est nécessaire à ceux qui tendent à la perfection par la pratique des vertus. L'homme parfait, ou qui va à grands pas à la perfection, doit avoir Dieu toujours devant les yeux, et s'entretenir familièrement avec lui (2). C'est par ce saint commerce qu'il acquiert le don de sagesse pour faire toutes ses actions dans la lumière de Dieu et les animer du feu de son amour.

7. Mais il est encore plus nécessaire à ceux qui travaillent au salut du prochain, soit pour attirer la bénédiction du ciel sur leur emploi, soit pour en tirer de la force dans leurs travaux et de la consolation dans leurs souffrances, soit pour ne se perdre pas eux-mêmes en pensant sauver les autres. C'est dans cette vue que le père Antoine Madridius voulant conserver parmi ses grands emplois, cette ferveur et ce grand don de larmes qu'il avait reçus du ciel, se disait à lui-même : Morere tibi. Perpetua Dei laus vita tua sit. Orationis tempore sic utere quasi pane cœlesti ad animi nutrimentum. Puis se tournant vers Notre-Seigneur, Jesu, disait-il, cus

(1) Qui vult cor suum purgare, semper illud recordatione Domini Jesu inflammet, in hoc solum occupatus, et hoc tantum sine intermissione agens. Diadoch., c. 97.

(2) Viro perfecto, et ad perfectionem currenti, jugis debet esse Dei visio, ac familiaris ejus allocutio. S. Laur. Just., 1. a compunct. et Christ. perfect.

todi cor meum in timore et amore ante oculos tuos qui me undique conspiciunt. Pratique excellente pour se rendre utile au prochain et nécessaire pour se préserver soi-même de la corruption du siècle. C'est pourquoi il est important de s'y appliquer et de l'établir solidement sur les trois principes qui en sont les véritables fondements, à savoir, l'immensité de Dieu qui est partout, l'activité infinie de sa puissance qui fait tout, et la profondeur de sa sa gesse qui voit tout et ne s'oublie jamais de rien.

SECOND POINT.

Le premier principe dece divin exercice qui nous oblige à regarder Dieu partout, et l'avoir toujours présent à nos pensées, c'est l'immensité de son être qui le rend présent à toutes choses. Par conséquent nous devons avoir au moins autant de respect pour lui, que nous en aurions pour un grand roi qui serait toujours à nos côtés; car il n'est pas seulement près de nous, il est au fond de nos cœurs. On demande quelle est la chose du monde la plus grande et la plus petite tout ensemble. A cela saint Denis répond, au chapitre neuvième des noms divins, que c'est l'immensité de Dieu, et qu'on lui peut attribuer ces deux termes par excellence, le grand et le petit (1); comme s'il disait: Quand je considère l'immensité de la nature divine qui remplit le ciel, la terre et les abîmes de sa présence, mon esprit se trouve saisi de deux pensées qui se choquent en apparence, mais qui s'accordent bien en effet, comme deux lignes qui viennent se rendre au même centre de deux points différents de la circonférence, ou comme deux tons divers qui font une parfaite harmonie ;

(1) Καὶ τὸ μεγα, καὶ καὶ τὸ μικρὸν,

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