busons-nous une bonne fois, et faisons une forte résolution de nous employer plus désormais à aimer Dieu qu'à le connaître, ou pour mieux dire à ne le vouloir connaître que pour l'aimer. III. ENTRETIEN DU PREMIER JOUR. TROISIÈME MAXIME FONDAMENTALE, QUE NOTRE PROGRÈS DANS L'AMOUR DIVIN DÉPEND DU BON USAGE DES MOYENS. PREMIER POINT. Tout ce qui retarde notre progrès dans l'amour de Dieu, c'est que nous ne faisons pas un bon usage des moyens qu'il nous a donnés pour y arriver. La principale faute que nous commettons, est que nous y attachons notre cœur sans passer outre et sans les rapporter à la fin. Au lieu d'en user, comme dit saint Augustin, nous en voulons jouir, et par un étrange désordre nous faisons des moyens la fin de nos recherches, et de la fin même un moyen pour y arriver. Ce déréglement est injurieux à Dieu, parce qu'étant le souverain bien, il est indigne de lui préférer un bien aussi vil et méprisable qu'est la créature, qui ne mérite d'être aimée que pour lui, comme elle n'a rien de bon ni d'aimable que de lui. Ce qui trompe et séduit malheureusement notre cœur, est que nous ne nous arrêtons qu'à l'apparence et à l'attrait extérieur des créatures, sans en pénétrer le fond. Nous en jugeons par les sens et par l'opinion des hommes, au lieu de suivre les lumières de la raison et de la foi; de là vient que nous n'aimons que ce qui flatte notre amour-propre, et nous avons une extrême aversion de tout ce qui lui est contraire. Nous recherchons avec empressement les honneurs, les richesses, les commodités et les plaisirs de la vie, qui ruinent souvent, ou pour le moins affaiblissent le pur amour; et nous craignons et fuyons avec horreur les mépris, la pauvreté, les incommodités, les afflictions, les maladies et les douleurs qui seraient des moyens très-propres pour augmenter la charité, si nous en savions user. SECOND POINT. Le remède à ce mal est de nous établir dans une forte résolution de croître incessamment dans l'amour de Dieu, qui est notre fin, notre perfection, notre béatitude en cette vie, et dans une parfaite indifférence pour toutes les choses créées, ne les regardant jamais que comme des moyens pour nous porter à Dieu, ne les aimant qu'autant qu'elles nous peuvent servir pour cette fin, et ne les fuyant qu'autant qu'elles nous en peuvent détourner. Pour le faire avec perfection, et tirer avantage de toutes choses pour aimer Dieu plus purement, soyez absolument convaincu et persuadé de cette vérité indubitable, que tout ce qui arrive dans le monde, à la réserve du péché, est arrêté, ordonné et envoyé de Dieu pour sa plus grande gloire et pour notre plus grand bien. De sorte qu'il n'y a rien dans le monde qui ne vous soit, si vous voulez, une occasion favorable de le glorifier, un excellent moyen de vous sauver, un instrument propre pour acquérir son saint amour, et un lien très-fort pour vous unir intimement à lui et à son Fils notre Seigneur. La raison est parce que comme Dieu ne peut agir pour une autre fin que pour lui-même et pour sa gloire qui est inséparable de notre salut, à cause que l'un et l'autre consistent dans sa connaissance et dans son amour, il faut nécessairement qu'il ait donné à toutes les choses qui sont ou qui se font dans l'univers, une bonté relative à cette fin, et qu'il y ait mis une grâce secrète, une vertu cachée pour le glorifier et pour vous sauver tout ensemble, c'est-à-dire pour le connaître, pour l'aimer et vous unir étroitement à lui. Le tout est que vous en fassiez un bon usage, parce qu'il vous a laissé la liberté d'en bien ou mal user, et par conséquent de vous rendre heureux ou misérable, selon le bon ou le mauvais usage que vous en ferez. TROISIÈME POINT. De ce principe solide, il s'ensuit que vous devez être toute votre vie dans un dégagement parfait de toutes choses, sans trouble, sans inquiétude, avec un grand repos d'esprit et une égalité inaltérable, parce que tout ce qui peut arriver, bien loin de vous nuire, vous donnera moyen d'honorer Dieu hautement, de vous attacher à lui et de monter à un sublime degré d'union. De plus, vous devez par la même raison bannir également de votre cœur tout désir et toute crainte, et attendre tous les événements de la main de Dieu dans une tranquillité inviolable, puisque tout vous peut être très-avantageux, si vous savez vous en prévaloir, et que tout ce que vous pourriez désirer, ne vous serait pas meilleur que ce que vous regardez avec indifférence, ni ce que vous pourriez craindre ne vous nuirait pas plus que ce que vous désirez avec affection. Bien davantage, tout ce qui vous donne naturellement de la crainte, comme la perte des biens, des amis et des honneurs, et choses semblables qui paraissent redoutables, parce qu'elles viennent, ce semble, avec un visage d'ennemi, tout cela, dis-je, vous sera un moyen plus propre et plus puissant pour glorifier Dieu, et pour vous perfectionner dans son amour, parce que vous lui donnerez plus de marques de votre estime et de votre zèle pour son service dans les choses qui vous sont fâcheuses, que dans les plus agréables, et vous détruirez davantage votre amour-propre, qui est la source de tous les vices qui empêchent votre union avec Dieu. QUATRIÈME POINT. Ayant mis votre cœur en liberté par un entier détachement de toutes les créatures, bannissant tout autre dessein et toute autre pensée, appliquez tous vos soins à faire un excellent usage de tout ce qui se présente à chaque heure, soit à pratiquer ou à souffrir, à poursuivre ou à fuir et rejeter, le regardant comme un moyen très-propre pour vous unir à Dieu, qui sait mieux que vous par quelle chose il veut être honoré, servi et aimé, et qui a disposé celle-ci à l'heure présente et non pas une autre, pour recevoir de vous l'honneur qu'il en prétend, et vous attirer plus près de lui. Prenez-la donc de sa main, sans considérer si elle est contraire à la nature corrompue, avec une ferme foi qu'elle est ordonnée et envoyée de Dieu pour votre bien, avec un amoureux acquiescement et une humble soumission à ses adorables volontés, avec une haute estime, agrément et louange de ses conduites, avec un profond respect, avec action de grâces, avec confiance en sa bonté, et enfin avec joie, vous assurant que le progrès que vous ferez dans son amour et dans son service, par le bon usage de cette chose, sera d'autant plus grand que vous pratiquerez avec plus de perfection les actes de ces vertus, et que vous fermerezles yeux à tout ce qui touche l'amour-propre, pour ne les ouvrir qu'à ce qui regarde uniquement Dieu. PRATIQUES ET ASPIRATIONS. 1. Dites souvent: Mon cœur est prêt, Seigneur, mon cœur est prêt (1). Je me livre, je m'abandonne à vous, pour le corps et pour l'âme, pour la santé et pour la maladie, pour l'honneur et pour le mépris, pour les richesses et pour la pauvreté, pour la joie et pour la tristesse, pour la vie et pour la mort, pour le temps et pour l'éternité, et généralement pour tout sans aucune réserve, avec un plein pouvoir de disposer de moi comme il vous plaira. 2. A chaque occasion qui se présente, dites avec les sentiments que vous avons marqués : Le nom du Seigneur soit béni (2), et recevez de sa main tout ce qui vous arrive, de quelque côté et de quelque manière qu'il vienne, sans avoir égard aux créatures qui y ont part. 3. Regardez tout ce qui se passe dans le monde du même œil que Dieu le regarde, approuvant tout ce qu'il veut, sans y trouver rien à redire; dites parfois durant le jour: Oui, mon Dieu et mon Père, j'ai de la joie que toutes les choses se passent comme elles font, parce que c'est votre bon plaisir (3). Que maintenant il pleuve, que la neige tombe, qu'il y ait du froid et des tempêtes, que les maladies règnent, je (1) Paratum cor meum, Deus, paratum cor meum. (3) Ita, Pater, quoniam sic fuit placitum ante te. |