même : Je serai peut-être surpris comme les autres. La mort viendra plus tôt que je ne pense: il faut la prévenir et me préparer contre ses surprises. On le dit; mais en effet il n'y a personne qui n'espère achever encore l'année qu'il ne fait que commencer. C'est ce qui nous rend tous paresseux et endormis (1). Quelle insensibilité ! Il s'agit de l'affaire importante du salut; un moment fatal en doit décider, ce moment est incertain, la plupart y sont surpris; Jésus-Christ le dit à tous: il le dit à ses élus, il le dit à ses amis, il le dit à nous, il le dit à tous ceux qui viendront après nous jusqu'au jour du jugement (2): Veillez, priez, tenez-vous prêts, vous serez surpris. Cependant on n'y pense pas, on n'appréhende pas ce danger. Peuple sans conseil et sans prudence ! Eh! qu'il serait à souhaiter qu'ils eussent le don de sagesse et d'intelligence, pour prévoir les dangers dont on les menace au dernier moment de leur vie (3)! Veillez donc, parce que vous ne savez pas à quelle heure votre maître doit venir (4). (1) Dormitaverunt omnes, et dormierunt. , (2) Quod vobis dico, omnibus dico. Quibus omnibus dicit nisi electis et dilectis suis et ad corpus ejus pertinentibus, quod est Ecclesia? Non solum ergo illis dixit, quibus tunc audientibus loquebatur, sed etiam iis qui fuerunt post illos, ante nos, et ad nos ipsos, et qui erunt post nos usque ad ejus novissimum adventum. S. Aug., epist. 80 citata. (3) Gens absque consilio, et sine prudentia; utinam saperent et intelligerent ac novissima providerent. (4) Vigilate ergo, quia nescitis quâ hora Dominus vester venturus sit. www MÉDITATION III. IL FAUT SE PRÉPARER A LA MORT DE PEUR D'ÊTRE SURPRIS EN MAUVAIS ÉTAT. La parabole du mauvais serviteur que son maître surprend dans les désordres. Veniet dominus servi illius in die quâ non sperat, et horá quá ignorat, et dividet eum, partemque ejus ponet cum hypocritis: illic erit fletus et stridor dentium. Matth., 24. Si le serviteur est méchant, et que sur la créance que son maître n'est pas près de venir, il commence à battre ses compagnons, et à boire et manger avec les ivrognes, son maître viendra au jour qu'il ne s'attend pas, et à l'heure qu'il ne sait pas, et il le séparera et lui fera porter la peine des hypocrites; c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents. PREMIER POINT. Considérez combien il est important de se préparer à la mort, de peur d'être surpris en mauvais état. Comme ce serviteur que son maître surprit dans ses débauches; car il s'agit premièrement d'être séparé de Dieu, chassé du paradis, banni pour jamais de la compagnie des saints, et dépouillé de tous les biens du corps et de l'âme. C'est ce que signifient ces paroles: Et dividet eum: Il le séparera et le chassera de sa maison. Jugez si cela ne mérite pas qu'on y. pense. On dit qu'une affaire est importante, premièrement, lorsqu'il s'agit de tous les biens extérieurs de la fortune, comme de l'honneur, des charges, du crédit et des richesses; secondement, lorsqu'il s'agit des biens du corps, de la santé, de la liberté, de tous 3 plaisirs de la vie, et de la vie même ; en troisième lieu, lorsqu'il s'agit de tous les biens de l'âme, du repos de la conscience, du bon sens, de la vertu et de la joie de l'esprit. Tous ces biens sont de telle conséquence dans l'estime des hommes, qu'ils n'omettent rien pour en éviter la perte. Que sera-ce donc quand il s'agit, non d'une seigneurie temporelle, mais d'un royaume éternel; non d'une vie mortelle, qui fuit et disparaît comme l'ombre, mais d'une vie immortelle; non d'un plaisir passager et d'une santé sujette à cent faiblesses et incommodités, mais d'une joie infinie et d'une souveraine béatitude ? Car enfin, comme le Fils de Dieu nous assure qu'il établira sur tous ses biens celui qu'il trouvera dans sa grâce (1), de même il nous avertit qu'il viendra comme un voleur, pour les ôter à celui qu'il surprendra dans le péché: Si vous ne veillez, je viendrai à vous comme un voleur, et vous ne saurez à quelle heure je viendrai (2). Si bien que la mort, qui est un gain inestimable pour ceux qui veillent (3), est un naufrage déplorable et une perte irréparable pour les pécheurs qui s'endorment, et qui se laissent surprendre sans penser à leur salut. Ils mourront au milieu de la tempête; il leur arrivera le même qu'aux vaisseaux qui sont sur mer (4). Vous verrez un batiment voguer heureusement, tenir sa route droite, avancer à la faveur des vents; et tout d'un coup un banc qu'on ne voyait pas, un vent contraire qui se lève, un rocher à fleur d'eau, un ais qui s'entr'ouvre le font couler à fond au milieu de ces assurances, dit (1) Super omnia bona sua constituet eum. (2) Si non vigilaveris, veniam ad te tanquam fur, et nes cies quâ horâ veniam ad te. Apoc., 3. (3) Lucrum mirabile, compendium singulare. (4) Moritur in tempestate anima eorum. Job., 36. Tertullien (1). Le même arrive dans la perte que les méchants font de leur vie. Les uns meurent subitement, sans que leur corps soit battu et brisé par les maladies; les autres font naufrage dans un corps usé et abattu par de longues infirmités; mais qu'importe que le vaisseau soit entier ou brisé, si l'âme voit le cours de sa navigation rompu lorsqu'elle ne s'y attendait pas (2). Celui qui était dans un bon vaisseau, qui avait un corps plein de vigueur et de force, croyait faire un long voyage. Celui qui était dans un corps usé, comme dans un vieux bâtiment, y ayant passé plusieurs années, espérait au moins achever celle qu'il avait déjà commencée; mais ils sont tous deux surpris également, et comme l'orage qui surprend le vaisseau fait périr avec lui toutes les richesses qu'il porte, de même la mort qui les attaque, leur fait perdre tous les biens du ciel avec la vie. Oh! quelle perte! oh! quel effroyable naufrage! Hélas! en quelle désolation tombent-ils? Que leur chute arrive subitement, ils périssent tout d'un coup à cause de leur iniquité (3). O pécheur, si vous ne craignez pas le péché, craignez la mort, qui vous en fera porter la peine (4)! SECOND POINT. Considérez une autre circonstance qui rend cette surprise infiniment redoutable. C'est que la perte de tant de biens est nécessairement suivie d'une in (1) Non secus naufragia sunt vitæ. Tert., 1 de anima. (2) Nihilo refert integram abire navem, aut dissipatam, dùm animæ navigatio evertatur. (3) Quomodo facti sunt in desolationem, subitò defecerunt, perierunt propter iniquitatem suam. Ps. 72. (4) Vel mortem time, si peccatum non times. S. Aug., hom. de orat. Dom, finité de maux, dont il est impossible que le pécheur se dégage; car s'il est chassé du ciel, il faut qu'il soit malheureusement précipité dans l'enfer; et s'il perd son souverain bien, il faut qu'il souffre l'extrémité de tous les maux; ce qui doit redoubler sa crainte, s'il est tant soit peu raisonnable; car encore que le bien, comme dit saint Denis, soit absolument plus fort que le mal, et qu'il fasse plus d'impression sur un cœur noble et généreux; néanmoins comme la raison et la volonté de la plupart des hommes sont extrêmement faibles, nous voyons que la douleur a plus de force pour les toucher que la joie, et la crainte que l'espérance. C'est pourquoi s'il ne s'agissait que de perdre le paradis, et qu'il n'y eût point d'enfer pour les tenir dans le devoir, plusieurs ne craindraient pas de renoncer à la félicité des saints, pour s'abandonner à leurs passions déréglées. Mais il n'en est pas ainsi; l'un est inséparable de l'autre, et quiconque perd l'héritage des enfants de Dieu, ne peut éviter la peine des réprouvés. Il sera mis au rang des hypocrites, c'est-à-dire des mauvais chrétiens, qui n'ayant que quelques marques extérieures de religion, seront condamnés aux flammes de l'enfer, où il y aura des pleurs et des grincements de dents (1). De quelle importance est donc une affaire où tout est infini: le juge infiniment juste, le compte qu'il lui faut rendre d'une chose infiniment considérable, la peine d'une rigueur infinie? Si nous sommes si ardents à la poursuite des biens du monde, et à la fuite des maux les plus petits et de la moindre conséquence, que devons-nous faire pour conserver le souverain bien, et pour éviter le plus grand de tous les maux? Que de peines prenons (1) Ibi erit fletus et stridor dentium. |