vous devez fonder tout l'édifice de votre perfection, et pour cet effet il faut vous étudier à les connaître, et tâcher d'en former une excellente idée, qui demeure profondément gravée dans votre cœur. 1. La majesté de Dieu, dont la connaissance vous doit imprimer un profond respect, une grande crainte de lui déplaire et un soin particulier de tout ce qui regarde le culte divin, comme l'oraison, l'office, le sacrifice de la messe, l'examen, la lecture spirituelle et autres exercices de piété, auxquels vous devez apporter une plus grande application qu'à tous les emplois qui paraissent au dehors, autrement vous n'en avez pas une assez haute estime et vous ne savez pas ce que Dieu mérite. Celui qui connaît Dieu, le doit adorer avec la révérence requise, et s'il y manque, il ne le connaît pas (1). 2. La bonté de Dieu, quile rend infiniment aimable par-dessus toutes choses, parce qu'il est la source de tous les biens, comme dit saint Augustin (2), et qu'il les surpasse tous avec une éminence incomparable. 3. La libéralité de Dieu, qui se répand avec profusion sur toutes les créatures, mais principalement sur les humbles et sur ceux qui tâchent de faire valoir les talents qu'il leur départ: d'où vous devez tirer une généreuse confiance et un désir ardent d'acquérir beaucoup de mérites et d'amasser de riches trésors dans le ciel, quelque peine et quelque abjection qu'ils vous doivent coûter. 4. La pureté et impeccabilité de Dieu, qui ne peut souffrir aucune attache, et par conséquent qui vous (1) Qui cognoverit Deum, hunc adorare debet sicut opor tet. S. Antonius abbas., 6 ep. ad Assenoitas. (2) Bonum omnis boni. oblige à une grande pureté, soit d'esprit, qui est le trône de Dieu, soit de corps, qui est le temple du Saint-Esprit. 5. La sainteté de Dieu, qui est la source et le modèle de toutes les vertus et de tout ce qui est saint dans le monde, par conséquent qui vous oblige à faire un grand état de ce qui regarde votre sanctification, comme les sacrements, la vocation religieuse, etc., et à vous porter à la plus haute sainteté afin d'être semblable à ce divin prototype, qui vous dit incessamment au fond du cœur: Soyez saint, parce que je suis saint. 6. L'immensité de Dieu, qui le rend présent à toutes choses et vous oblige en cette considération à une grande modestie intérieure et extérieure, en public et en particulier, en tout temps et en tout lieu. 7. La toute-puissance de Dieu, qui concourt à l'action de toutes les créatures, et dont vous n'êtes que l'instrument; par conséquent, vous ne devez jamais prévenir le mouvement de sa gráce, beaucoup moins lui résister, mais suivre exactement la conduite de son esprit, afin de ne rien faire qui ne soit digne d'un si excellent ouvrier, qui fait tout parfaitement bien quand on le laisse faire (1). 8. La providence de Dieu, qui ne manque jamais à personne, et qui vous conduira sûrement au port du salut éternel, pourvu que vous ne renversiez point l'ordre des moyens que sa sagesse infinie vous a préparés de toute éternité. 9. La volonté de Dieu, qui dispose de toutes choses si saintement, qu'elle ne peut rien vouloir qui ne soit juste; si amoureusement, qu'elle n'ordonne (1) Benè omnia fecit. rien qui ne soit pour notre bien; si absolument, que rien ne se fait dans le monde que par son ordre ou par sa permission. D'où il s'ensuit que vous devez vous y conformer, et prendre tout de sa main avec un abandon plein de confiance et d'amour. 10. La patience de Dieu, qui souffre tous les crimes et les désordres que les hommes commettent contre lui, et sa clémence qui les pardonne. Vous devez donc à son exemple souffrir avec douceur tout ce qui vous arrive de la part du prochain, compatir à ses misères, supporter ses imperfections avec une charité et une patience invincibles, et oublier toutle mal qu'il vous fait, sans qu'il vous en reste aucune aigreur ni amertume dans le cœur. 11. La justice de Dieu, qui ne laisse rien impuni, mais qui n'est jamais plus contente que lorsque nous nous châtions par nos mains, et que nous empêchons par notre pénitence qu'il ne venge luimême le tort que nous faisons à son honneur. 12. Enfin la béatitude de Dieu, et les richesses immenses qu'il promet à ceux qui le servent; puissant motif pour vous porter à toutes sortes de bonnes œuvres, qui a donné sujet à sainte Thérèse (1) de dire que plus on connaît Dieu, plus onressent de facilité à travailler pour son service. Voilà ce que vous devez principalement savoir de Dieu, et cette connaissance est un fonds et un trésor immense d'où vous tirerez tout ce qui vous est nécessaire, comme NotreSeigneur l'enseigna un jour à sainte Catherine de Sienne. Vous trouverez dans cette connaissance, lui dit-il, de quoi satisfaire à tous vos besoins (2). (1) Livre de ses Fondations, ch. 3. (2) Ex hac notitia hauries tibi cuncta necessaria. Ex dial., c. I et 4, 5 ety. L'amour suit aussitôt après la connaissance de ma bonté, et tâche de suivre la vérité connue et de s'en revêtir. L'âme qui en est éclairée s'embrase d'une ardeur ineffable, accompagnée d'une peine continuelle qui ne l'afflige ni ne la dessèche point, mais au contraire qui l'engraisse; ear celui qui connaît ma vérité et ses propres péchés, ses ingratitudes et l'aveuglement du prochain, ressent une peine intolérable, et sa douleur est un effet de son amour; car s'il ne m'aimait il ne la souffrirait pas. Sitôt qu'il a connu ma bonté, il l'aime ardemment, sans milieu et avec milieu; sans milieu de sa personne et de son propre intérêt, avec milieu de la vertu dont l'amour divin lui fait concevoir le désir, parce qu'il voit bien qu'il ne me serait pas agréable s'il n'avait conçu de la haine pour le vice et de l'amour pour la vertu. Or, après qu'il l'a conçu par le motif de mon amour, aussitôt il le produit vers le prochain, autrement il ne serait pas vrai qu'il l'eût conçu dans lui-même ; mais comme il m'aime d'un vraiamour, aussi il sert véritablement au prochain. Il ne se peut faire autrement, car l'amour qu'il me porte et l'amour qu'il porte au prochain n'est qu'une même chose. Autant qu'il a d'amour pour moi, autant il en a pour lui, parce que son amour sort de moi pour aller au prochain. Voilà le milieu que j'ai établi, afin que vous exerciez la vertu et que vous m'en donniez des preuves; car ne pouvant m'apporter aucun profit vous devez être utile au prochain; c'est la marque qui fait voir que vous me possédez par la grâce qui est dans votre âme. De là vient qu'aussitôt que vous et mes serviteurs aurez connu ma vérité, vous devez vous résoudre à souffrir jusqu'à la mort beaucoup d'afflictions, d'injures, de reproches et d'outrages, tant de paroles que d'effets pour la gloire de mon nom. Et par là vous satisferez pour vos péchés et pour ceux de mes serviteurs, à proportion qu'ils y seront disposés, en souffrant ses peines par charité. De cette doctrine céleste de Jésus-Christ, il est aisé de conclure avec saint Clément d'Alexandrie, qu'il n'y a que celui qui connaît Dieu qui soit véritablement pieux et religieux, et qui serve Dieu excellemment et sans reproche dans les choses humaines (1). TROISIÈME POINT. Le Verbe incarné est la porte par laquelle il faut entrer dans ces hautes et sublimes connaissances. Etudiez-vous donc à connaître ses perfections humaines, si vous voulez connaître les divines. Cette connaissance vous est absolument nécessaire, parce que, comme dit saint Grégoire, personne n'a jamais possédé la grâce d'adoption, sinon celui qui l'a reçue par la connaissance du Fils unique (2). C'est pourquoi, continue ce même père, il est juste que les enfants de Dieu fassent reluire dans leur vie et dans leurs discours celui qui les éclaire, afin qu'ils soient eux-mêmes la lumière du monde; car quand on allume un flambeau durant la nuit, on voit premièrement le flambeau avant que de voir les choses qu'il nous découvre. C'est pourquoi si nous voulons voir ce que le Verbe incarné nous manifeste, il faut premièrement ouvrir les yeux au flambeau qui nous illumine (S. Greg. 23 Mor., c. 1). Au reste, la difficulté de le connaître ne vous doit (1) Qui cognitione Dei præditus est, solus est pius ac religiosus, qui pulchrè et citra ullam reprehensionem in rebus humanis Deo servit. Clemens Alex., l. 7 strom., c. 4 et 6. (2) Nullus supernæ adoptionis gratiam habuit, nisi qui hanc per cognitionem unigeniti accepit. |