L'HOMME D'ORAISON, SES SEPT RETRAITES ANNUELLES. SEPTIÈME RETRAITE, POUR ACQUÉRIR LE PUR AMOUR DE DIEU ET DE JÉSUSCHRIST SON FILS UNIQUE. PREMIÈRE MAXIME FONDAMENTALE, QUE NOUS SOMMES TOUS CRÉÉS POUR AIMER DIEU. PREMIER POINT. T OUTES choses tendent naturellement à la fin pour laquelle elles sont créées, parce que c'est le centre de leurs mouvements et de leurs inclinations, où elles trouvent leurs perfections et leur repos. Or, l'homme est créé pour aimer Dieu; il faut donc qu'il aspire sans cesse à son amour, comme toutes les créatures vont sans cesse à leur centre et à leur fin. Nous qui voyageons dans cette vaste solitude de la vie présente, dit saint Laurent Justinien, nous ne devons pas ignorer le lieu où nous allons; car c'est une grande imprudence de cheminer toujours, sans prévoir où l'on veut aller. C'est le propre des bêtes, d'agir sans raison et nesuivre que l'instinct et le mouvement des sens ; mais l'homme ne doit pas se gouverner de la sorte (1). II doit avant toutes choses se proposer l'amour divin comme son centre, et graver au fond de son cœur cette maxime fondamentale, qui est le premier principe de sa conduite, qu'il n'est au monde que pour aimer Dieu. L'avez-vous fait jusqu'ici? y avez-vous sérieusement pensé ? Regrettez la faute que vous y avez faite. Tâchez d'entrer dans cette importante vérité, et pesez les raisons suivantes pour vous convaincre. SECOND POINT. La fin de l'homme, dit saint Thomas, est d'être uni à Dieu, parce que c'est en cela que consistent sa béatitude et sa perfection (2). Qui fait cette union ? Le pur amour; car le propre de celui qui aime est de sortir de soi-même pour se porter vers son objet, et de s'y lier de toutes ses forces pour en prendre toutes les qualités. D'où il s'ensuit que l'amour divin nous comble de richesses, remplit notre âme de joie et nous élève à une noblesse et dignité admirable; parce qu'en nous unissant à Dieu il nous transforme en lui et nous fait comme des dieux, selon cette excellente pensée de saint Augustin: Chacun est tel qu'est son amour. Voyez, je vous prie, quel est le (1) Peregrinantibus in hac præsentis vitæ vastissima solitudinė, oportet nos non ignorare quò tendimus. Nam ambulare quotidiè non præmeditato nostri itineris fine imprudentissimum est. Hoc quidem irrationabilium jumentorum est proprium, sensu carnis, non ratione moveri. Homo verò non sic. S. Laur. Justinian., l. de hum., c. 14. (2) Finis humanæ creaturæ est adhærere Deo. In hoc enim felicitas ejus consistit. vôtre. Aimez-vous la terre? vous ne serez que de la terre; aimez-vous Dieu? que vous dirai-je, vous serez Dieu; je n'aurais pas l'assurance de le dire de mon chef, mais écoutons les Ecritures: J'ai dit que vous êtes des dieux et les enfants du Très-Haut (1). Jugez à quel point de bonheur nous a élevés le pur amour, Dieu est infiniment bon, infiniment grand, infiniment saint, infiniment heureux et content; donc si je l'aime, je participerai à son bonheur, à sa sainteté, à sa grandeur, à sa bonté, et plus je l'aimerai, plus j'aurai de part à ses perfections, parce que les degrés de ma transformation suivent les degrés de mon amour. TROISIÈME POINT. Dieu est notre original, et en cette considération notre emploi, notre but, notre fin est de le représenter. Si le portrait d'un prince avait du sens, dit le cardinal Bellarmin, il n'aurait point de plus grand désir ni de plus doux emploi que de regarder son original, de se former entièrement sur lui et de lui devenir parfaitement semblable. O âme chrétienne! Dieu est votre original, et dans cette vue votre but doit être d'exprimer dans vos mœurs la sainteté de ce modèle (2); car l'homme, comme dit saint Grégoire de Nysse, a été créé pour être une figure vivante de (1) Talis est quisque, qualis ejus dilectio est. Terram di. ligis, terra eris; Deum diligis, quid dicam? Deus eris. Non audeo ex me dicere, scripturas audiamus. Ego dixi dii estis et filii excelsi omnes. S. Aug., tract. 2, in epist. 1 Joann. (a) Si imago sensum haberet, nihil magis optaret, quàm exemplar suum aspicere, et ad illius imitationem se componere, et illi quàm simillimam fieri. Exemplar tuum, ô anima, Deus est. Bellarminus de ascens, ment., gr. 1. L la sainteté divine et suprême (1). Or, l'amour divin est le plus excellent ouvrier qui puisse achever cet ouvrage, soit parce qu'il nous donne une plus grande idée et une plus haute estime des perfections divines, soit parce qu'il nous porte avec plus d'ardeur à lui complaire en tout, et à lui donner des marques de notre affection, entre lesquelles celle de l'imitation est la plus certaine (2); soit parce qu'il nous fait trouver plus de douceur et de plaisir à renoncer à nos propres inclinations, à nos sentiments, à nos pensées et à nos façons de faire pour prendre les siennes; soit enfin parce qu'il nous inspire un désir plus efficace de gagner son amitié et d'attirer ses regards et ses complaisances sur nous, en nous rendant ses imitateurs. Si donc nous voulons arriver à cette fin pour laquelle nous sommes créés, le principal emploi de notre vie doit être l'amour divin; parce que, comme dit un philosophe platonicien, celui qui aimera Dieu d'un vrai amour, le trouvera certainement, et par ce moyen il se retrouvera luimême en Dieu, parce qu'il retournera à son original, sur lequel il a été créé, où il se reformera de nouveau et prendra ce qui lui manque pour être parfait, en demeurant toujours uni par amour à son idée (3). Hors de là il sera toujours imparfait, toujours misérable et plus vil que le néant. Quiconque (1) Homo enim idcirco creatus est, ut esset divinæ ac supernæ virtutis animatum quoddam simulacrum. S. Greg. Nyss., orat. de infant. qui præmat, eripitur. (2) Religiosissimus cultus est imitari. (3) Qui Deum vero amore prosecutus fuerit, Deum inveniet, et se in Deo recuperabit, quia ad suam, per quam' creatus est, redibit ideam, ubi rursus reformabitur, quia ideæ suæ perpetuo cohærebit. Mart. Ficinus in conv. Plat., C. 21, or. 6. |