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Christ appelle les pauvres bienheureux. Le travail? On ne couronne les athlètes qu'après qu'ils ont combattu jusqu'à se couvrir de sueur. Est-ce le soin de votre nourriture qui vous inquiète? La foi n'appréhende point la faim. Craignez-vous de coucher sur la dure, et de meurtrir votre corps déjà affaibli et desséché par une longue abstinence? Le Sauveur y reposera avec vous. Ne sauriezvous souffrir une tête malpropre et des cheveux négligés? Sachez que Jésus-Christ est la tête de l'homme. La vaste étendue d'une affreuse solitude vous fait-elle peur ? Vous n'avez qu'à vous promener en esprit dans le Paradis; dès que vous y aurez élevé vos pensées, vous ne serez plus dans le désert. Appréhendez-vous que faute de prendre le bain, votre peau ne se ride, et ne devienne trop rude? Quand une fois l'on a été lavé en Jésus-Christ, l'on n'a plus besoin de se laver davantage. En un mot, écoutez ce que saint Paul répond à toutes vos difficultés : « Toutes les souffrances de la vie présente, dit cet apôtre, n'ont aucune proportion avec cette gloire qui sera un jour découverte en nous. » Ah! mon frère, c'est trop aimer ce qui flatte les sens, que de vouloir goûter ici-bas toutes les douceurs de la terre et régner encore avec JésusChrist dans le ciel. Un jour viendra que ce corps mortel et corruptible sera revêtu de l'incorruptibilité et de l'immortalité. Heureux alors le serviteur que son maître aura trouvé veillant ! Vous serez alors comblé de joie, tandis que le bruit de la trompette jettera l'effroi dans l'âme de tous les peuples de la terre. Car, lorsque le Seigneur paraîtra pour juger le monde, l'on entendra retentir partout des cris lugubres et des hurlements effroyables. L'on verra toutes les nations dans une consternation générale, se frapper la poitrine, et donner partout des marques de leur douleur. L'on y verra ces rois autrefois si puissants et si redoutables, mais alors seuls et dépouillés de toute leur grandeur, trembler en la présence de leur juge. Vénus y paraîtra avec son fils Cupidon, et Jupiter

avec sa foudre. Platon, accompagné de ses disciples, passera alors pour un insensé, et Aristote, avec tous ses raisonnements, se verra confondu. Et vous, qui aurez toujours mené une vie pauvre et obscure, vous leur direz alors dans le transport de votre joie : «Voilà celui qui a été crucifié pour moi. Voilà mon juge, que l'on a vu crier dans une étable, couvert de méchants haillons. Voilà le fils d'un charpentier et d'une pauvre femme, qui ne vivaient que du travail de leurs mains. Voilà ce Dieu qui, étant encore dans le sein de sa mère, fut obligé de s'enfuir en Égypte, pour se dérober aux poursuites d'un homme mortel. Voilà ce Sauveur que l'on a vu couronné d'épines et revêtu de lambeaux de pourpre. Voilà ce magicien, ce possédé, ce Samaritain. Regardez, ô Juifs, ces mains que vous avez percées; considérez, Romains, ce côté que vous avez ouvert. Voyez si c'est là le même corps que ses disciples, à ce que vous prétendiez, enlevèrent secrètement durant la nuit. »

L'amitié que j'ai pour vous, mon cher frère, m'a porté à vous écrire de la sorte, afin que vous puissiez un jour avoir part à cette félicité qui nous coûte aujourd'hui tant de travaux et tant de peines.

(Saint Jérôme. Lettre Ire.)

XIX. DE LA SOUFFRANCE.

AUGUSTIN A LARGUS.

Augustin salue en Jésus-Christ son très-saint fils le trèsillustre et très-excellent seigneur Largus.

J'ai reçu la lettre par laquelle vous me pressez de vous écrire. Et évidemment Votre Excellence ne me témoignerait pas un tel désir, si les choses dont je puis vous entretenir ne vous étaient agréables. Or, que puis-je vous dire sinon qu'il ne vous reste plus qu'à mépriser, après les avoir connus, les faux biens du siècle que vous avez pu désirer sans les connaître? En effet, toute la douceur qu'on y trouve est fausse; et le travail qu'on y emploie, infructueux. On y est toujours en crainte, et dans un état d'autant plus dangereux qu'on est parvenu à un plus haut degré d'élévation : il n'y a que l'inconsidération qui nous y engage, et la fin n'en peut être que le repentir. Voilà quels sont les biens de cette misérable vie, ce qui montre assez que la cupidité a toujours plus de part que la prudence au mouvement qui nous les fait rechercher. Oh! que ceux qui sont à Dieu ont d'autres espérances! qu'ils recueillent d'autres fruits de leurs travaux, et d'autres récompenses des périls auxquels ils s'exposent! car d'être en ce monde sans craintes, sans peines, sans travaux, et sans périls, c'est ce qui n'est pas possible. Mais il importe d'examiner quels motifs nous portent à endurer ces misères, quelle espérance nous y soutient, et à quoi elles se terminent.

Pour moi, quand je considère les amateurs de ce monde, je ne sais dans quel état il faudrait les prendre pour leur insinuer les vérités qui seraient nécessaires à

leur guérison. Car s'ils sont dans la prospérité, l'orgueil les enfle, leur fait rejeter et traiter de déclamations les avis salutaires qu'on leur pourrait donner; et s'ils sont dans l'affliction, ils ne songent qu'à s'en délivrer aussitôt au lieu de s'appliquer les remèdes qui pourraient les guérir et les mettre dans un état où il n'y aurait plus d'affliction à craindre. Il s'en trouve néanmoins qui prêtent quelquefois l'oreille du cœur à la vérité lorsque l'adversité les presse, car cette docilité est rare dans la prospérité; mais ils sont en petit nombre, et cela même a été prédit. Je voudrais que vous fussiez de ceux-là, mon très-cher fils, parce que je vous aime véritablement. C'est par cet avertissement que je veux répondre aux affectueux sentiments dont votre lettre est remplie; car encore que je regrette ce que vous avez souffert, et que je ne puisse sans beaucoup de douleur vous voir en proie à de semblables peines, je m'afflige encore plus cependant de ce que votre vie n'en soit pas devenue meilleure. (Saint Augustin. Lettre CCIII®.)

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XX. DE LA PATIENCE.

Ayant dessein de parler de la patience et d'en montrer les avantages, par où puis-je commencer plus à propos, mes frères, qu'en remarquant que vous avez besoin de patience pour m'écouter, si bien que vous n'en sauriez même entendre parler sans en avoir? Car nous ne pouvons profiter de ce qu'on nous dit, si nous ne l'écoutons patiemment. Aussi, de tous les moyens que notre religion nous fournit pour acquérir les biens qui nous sont promis, je n'en vois point de meilleur ni de plus utile que la patience. Les philosophes font profession de cette vertu aussi bien que nous, mais leur patience est aussi fausse que leur sagesse. Car comment ceux-là pourraient-ils être sages ou patients qui ne connaissent ni la sagesse ni la patience de Dieu? C'est ce qui lui fait dire de ceux qui se croient sages dans le monde : « Je détruirai la sagesse des sages, et anéantirai la prudence des prudents. » Le bienheureux apôtre saint Paul, rempli du Saint-Esprit et envoyé pour appeler et convertir les Gentils, témoigne la même chose, quand il dit : « Prenez garde que personne ne vous séduise par la philosophie et par de vaines subtilités qui ne sont appuyées que sur les traditions des hommes, et sur les principes d'une science mondaine, et non sur la doctrine de Jésus-Christ. Car en lui habite toute la plénitude de la divinité. » Et en un autre endroit Que personne ne s'y trompe. Si quelqu'un parmi vous pense être sage, qu'il devienne fou selon le monde afin d'être sage. Car la sagesse du monde est une folie devant Dieu, puisqu'il est écrit : Je surprendrai les sages par leurs propres finesses; et ailleurs: Le Seigneur sait que les pensées des sages sont folles. » S'ils n'ont donc point de véritable sagesse, ils n'ont point non plus de véritable

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