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V. LA MER.

Dieu vit que la mer était bonne. En effet que la mer offre d'admirables beautés, soit lorsque ses ondes blanchissantes s'élèvent en montagnes liquides et arrosent les rochers d'une pluie brillante comme la neige, soit lorsque ses flots frémissent sous une molle brise, ou sur leur fond transparent et tranquille projettent une couleur empourprée, dont les lueurs se réfléchissent au loin dans les regards de ceux qui la contemplent! Quand ses vagues émues ne vont pas frapper avec violence les rivages voisins, mais les lèchent de leurs caresses et les saluent de leurs embrassements, que le son de la mer est doux, que son bruit est agréable, que le choc de ses eaux est délicieux et plein d'harmonie! Et cependant je ne crois pas que ce soit cette éblouissante splendeur de sa création, qui ait fait dire à Dieu que la mer est bonne; l'ouvrier a jugé que son ouvrage se rapportait au dessein qu'il avait

conçu.

Donc la mer est bonne; car, d'abord, elle entretient dans la terre une humidité nécessaire, en y faisant couler par des conduits secrets comme un suc nourricier. La mer est bonne; car elle reçoit les fleuves, elle est la source des pluies, un dérivatif pour les alluvions, un moyen de transport pour les vivres, un lien qui réunit les peuples éloignés, un obstacle qui écarte les périls des combats, une barrière contre la fureur des barbares, une ressource dans les nécessités, un refuge dans les périls, un agrément dans les voluptés; elle affermit la santé, rapproche ceux qui sont séparés, abrége le chemin, permet à ceux qui souffrent de chercher des contrées meilleures, fournit à nos besoins, alimente les terres stériles.

Énumérerai-je les îles, dont la mer se pare comme une

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femme de joyaux? C'est dans ces îles que se retirent ceux qui fuient les amorces et l'intempérance du siècle, qui embrassent les austérités de la continence, et, voulant être cachés au monde, évitent les périlleux écueils de cette vie. La mer est donc un asile pour la tempérance, pour la continence un exercice, pour la gravité un abri; elle est le port qui offre la sécurité, et où se réfugie la sobriété de ce monde, en même temps que les âmes fidèles et pieuses y trouvent une excitation à leurs ardeurs, de telle sorte qu'au doux bruit des vagues murmurantes s'ajoute, comme en un concert, le chant des saints qui psalmodient, et les îles résonnent des hymnes de paix qui s'élèvent du sein des flots.

Comment pourrais-je comprendre toute la beauté de la mer, toute la beauté qu'y vit le Créateur? Quoi plus? Qu'est-ce autre chose que ce frémissement des ondes, que le frémissement même du peuple? Aussi a-t-on souvent comparé avec vérité la mer à l'Église, qui d'abord est inondée des flots du peuple qui entre et qu'elle vomit par ses vestibules; puis, pendant la prière, toute la foule, semblable au reflux, bruit, lorsque les répons des psaumes, le chant des hommes, des femmes, des vierges, des enfants retentissent avec éclat comme des vagues qui s'entrechoquent et se brisent. D'ailleurs l'eau ne lave-t-elle pas le péché, et le souffle salutaire du Saint-Esprit ne plane-t-il pas à sa surface?

Que le Seigneur nous accorde de traverser sur un bois sauveur la mer des vicissitudes, de nous arrêter dans un port abrité, de ne point connaître les tentations du mal spirituel, qui dépasseraient nos forces, d'ignorer les naufrages de la foi, de goûter une paix profonde; et si un vent vient à souffler, qui soulève contre nous les flots impétueux de ce siècle, nous aurons un vigilant pilote dans le Seigneur Jésus, qui d'un mot commandera, apaisera la tempête, et répandra de nouveau la tranquillité sur les eaux.

Mais quittons maintenant la profondeur des mers; que

notre discours émerge et s'élève un peu au-dessus des flots. Considérons ces objets, qui sont d'un si grand usage et si pleins de grâce: comment l'eau se changet-elle en un sel si solide, qu'il faut souvent le briser avec le fer? Car le fer n'est pas trop résistant pour le sel de Bretagne, qui offre l'apparence du marbre le plus dur, qui resplendit de l'éclat argenté de la neige, qui est pour les corps un aliment salubre à la fois et une boisson délicieuse. Comment se fait-il que cette pierre brillante qu'on appelle le corail soit une herbe de la mer, et qu'il suffise de l'exposer à l'air pour qu'elle acquière la solidité d'un minéral? Comment encore la nature a-t-elle placé dans les huîtres la perle qui est d'un si grand prix? Comment, dans une chair si molle, l'eau de la mer l'a-t-elle solidifiée? Ces choses qu'on trouve difficilement chez les rois, sont répandues çà et là sur le rivage, comme de nul prix, et c'est parmi les rochers escarpés et les pierres qu'on les ramasse. La mer nourrit aussi une toison dorée, et ses rivages produisent une laine qui a tout l'éclat vanté de l'or, couleur admirable, que n'ont pu encore imiter les artisans les plus habiles à teindre les tissus tant il est vrai que l'industrie humaine est impuissante à égaler la grâce qui appartient aux produits de la mer. Nous savons avec quelle sollicitude on soigne les toisons des brebis, même les toisons les plus viles; mais fussentelles excellentes, ce n'est point à elles qu'il faut demander le fucus, dont aucune couleur n'égale la couleur; et cette toison précieuse est la dépouille d'un poisson. Enfin la pourpre elle-même, qui donne aux rois leur marque distinctive, la pourpre se tire de la mer.

Qui pourrait d'ailleurs comparer l'émail des prairies, ou les agréments des jardins à l'azur de la mer, qui se déroule comme en un tableau? Au milieu des prairies, les fleurs, il est vrai, brillent de l'éclat de l'or; mais le duvet des plantes maritimes n'est-il pas aussi éclatant que l'or? Les fleurs aussi bien se flétrissent vite, et les

le

plantes de la mer subsistent et se conservent. Dans les jardins les lis resplendissent au loin, et sur la mer les voiles des navires. Quelle utilité retirer d'une feuille! De quel usage ne sont pas les navires! Les lis nous apportent des parfums suaves, les voiles le salut. Ajoutez les poissons bondissants et les dauphins qui se jouent: ajoutez rauque murmure des flots retentissants: ajoutez enfin les navires qui courent au rivage ou qui sortent du port. Lorsque, hors des barrières, s'élancent les quadriges, quelle ardeur chez les spectateurs, quel emportement chez ceux qui disputent le prix ! Cependant les chevaux courent en vain, mais ce n'est pas en vain que courent les navires; les chevaux courent en vain, parce qu'ils sont à vide; les navires courent utilement, parce qu'ils sont remplis de grain. Qu'y a-t-il de plus agréable que ces véhicules, qui ne se pressent point sous les coups du fouet, mais sous le souffle des vents; contre qui personne ne fait des vœux contraires, mais que tous favorisent; dont aucun n'est vaincu qui parvient au but, mais dont toutes les poupes sont couronnées, qui y parviennent; où la palme est le prix du salut, la victoire la récompense du retour. Quelle différence, en effet, entre la course directe des chars et la course sinueuse des navires ! Les chars suivent une ligne droite et monotone, l'agilité des navires se déploie en mille évolutions. Ajoutez à cela les rivages couverts d'embarcations, qui n'attendent pour signal du départ qu'un souffle du ciel. C'est pourquoi les conducteurs des chars ne rapportent que de vains applaudissements; sauvés par leurs navires, les matelots rendent grâces à Dieu.

(Saint Ambroise. Hexameron, Liv. III.)

VI. LES PLANTES, LES FLEURS, LES ARBRES.

Le Seigneur dit : « Que la terre produise des plantes, chacune suivant son espèce. » Et aussitôt la terre fécondée fit paraître de nouveaux enfantements; elle se couvrit d'un manteau de verdure; elle apprit à être fertile, et, parée de germes de toute sorte, elle reçut des ornements qui furent les siens. Nous admirons avec quelle rapidité · se développent les germes qui lui sont confiés; mais considérons le détail; quelles merveilles plus grandes encore! Les semences jetées dans la terre y pourrissent, et si elles ne meurent, elles ne portent aucun fruit; mais si elles se dissolvent comme par la mort, on les voit renaître en fruits abondants. La glèbe remuée reçoit donc un grain de froment; la herse le recouvre; la terre, comme une mère, le réchauffe dans son sein et l'y tient embrassé. Puis, quand le grain s'est dissous, l'herbe se met à germer. Et déjà on prend plaisir à contempler cette herbe verdoyante, qui produit aussitôt une semence suivant son espèce, afin qu'au début même de la germination on reconnaisse de quelle espèce est l'herbe et que dans l'herbe apparaisse le fruit; et ainsi peu à peu l'herbe grandit comme du foin, et sa tige pubescente se déploie. Mais dès que l'épi noueux s'est levé, des espèces d'enveloppes sont préparées pour le fruit à venir, dans lesquelles le grain se forme intérieurement, de peur qu'à sa naissance et lorsqu'il est encore tendre, les froids ne lui nuisent, ou que les ardeurs du soleil ne le brûlent, ou que l'inclémence des vents ou la violence redoutable des pluies ne le secoue et ne le fasse tomber. Les épis se succèdent en lignes régulières, et la divine Providence les a ainsi ordonnés avec un art merveilleux, soit pour qu'ils offrent à l'œil un aspect agréable, soit pour qu'ils se soutiennent

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