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la nature que de ne pas reconnoître ce principe d'équité comme un des premiers fondemens de la société. C'est làdessus qu'est fondée la loi du réciproque, de même que cette règle simple, mais d'un usage universel, que nous devons être, à l'égard des autres hommes, dans les mêmes dispositions où nous desirons qu'ils soient à notre égard, et nous conduire avec eux de la même manière que nous voulons qu'ils se conduisent avec nous dans des circonstances pareilles.

4° La sociabilité étant d'une obligation réciproque entre les hommes, ceux qui, par leur malice ou leur injustice, rompent ce lien, ne sauroient se plaindre raisonnablement, si ceux qu'ils offensent ne les traitent plus comme amis, ou même s'ils en viennent contre eux à des voies de fait.

Mais si l'on est en droit de suspendre à l'égard d'un ennemi les actes de la bienfaisance, il n'est pas permis d'en étouffer le principe. Comme il n'y a que la nécessité qui nous autorise à recourir à la force contre un injuste agresseur, c'est aussi cette même nécessité qui doit être la règle et la mesure du mal que nous pouvons lui faire; et nous devons toujours être disposés à rentrer en amitié avec lui, dès qu'il nous aura rendu 'justice, et que nous n'aurons plus rien à craindre de sa part.

En un mot, rien n'est plus convenable à l'humanité que la bienfaisance et la générosité. Il n'y a rien de plus vrai, dit Cicéron, que ce beau mot de Platon, que nous ne sommes pas nés pour nous, mais pour les autres hommes et pour la patrie. Les stoïciens soutenoient que, pour entrer dans les desseins de la nature, il falloit contribuer chacun du sien à l'utilité commune, et employer non seulement son industrie, mais ses biens, à serrer de plus en plus les nœuds de la société humaine.

L'homme sociable a les qualités propres au bien de la société, je veux dire la douceur du caractère, l'humanité, la franchise sans rudesse, la complaisance sans flatterie, et sur-tout le cœur porté à la bienfaisance; en un mot, l'homme sociable est le vrai citoyen.

Autrefois l'on pouvoit confondre l'homme aimable avec le sociable; mais aujourd'hui l'homme aimable, dit M. Du

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clos, ou du moins celui à qui l'on donne ce titre, est fort indifférent sur le bien public, ardent à plaire à toutes les sociétés où son goût et le hasard le jettent, et prêt à en sacrifier chaque particulier : il n'aime personne, n'est aimé de qui que ce soit, plaît à tous, et souvent est méprisé et recherché par les mêmes gens.

Les liaisons particulières de l'homme sociable sont des liens qui l'attachent de plus en plus à l'état; celles de l'homme aimable ne sont que de nouvelles dissipations qui retranchent d'autant les devoirs essentiels. L'homme sociable inspire le desir de vivre avec lui; l'homme aimable en éloigne ou doit en éloigner tout honnête citoyen.

On appelle sociales les qualités qui rendent un homme utile dans la société, propre au commerce des hommes. On dit aussi les vertus sociales.

(M. de JAUCOURT.)

SOCIÉTÉ. *

Les hommes sont faits pour vivre en société; si l'inten

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tion de Dieu eût été que chaque homme vécût seul et séparé des autres, il auroit donné à chacun d'eux des qualités propres et suffisantes pour ce genre de vie solitaire; s'il n'a pas suivi cette route, c'est apparemment parce qu'il a voulu que les liens dù sang et de la naissance commençassent à former entre les hommes cette union plus étendue qu'il vouloit établir entre eux; la plupart des facultés de l'homme, ses inclinations naturelles, sa foiblesse, ses besoins, sont autant de preuves certaines de cette intention du créateur. Telle est en effet la nature et la constitution de l'homme, que, hors de la société, il ne sauroit ni conserver sa vie, ni développer et perfectionner ses facultés et ses talens, ni se procurer un vrai et solide bonheur. Que deviendroit, je vous prie, un enfant, si une main bienfaisante et secourable ne pourvoyoit à ses besoins? Il faut qu'il périsse si personne ne prend soin de lui; et cet état de foiblesse et d'indigence demande même des secours long-temps continués suivez-le dans sa jeunesse, vous n'y trouverez que grossièretés, qu'ignorance, qu'idées confuses; vous ne verrez en lui, s'il est abandonné à lui-même, qu'un animal sauvage et peut-être féroce, ignorant toutes les commodités de la vie, plongé dans l'oisiveté, en proie à l'ennui et aux soucis dévorans. Parvient-on à la vieillesse, c'est un retour d'infirmités qui nous rendent presqu'aussi dépendans des autres que nous l'étions dans l'enfance imbécille : cette dépendance se fait encore plus sentir dans les accidens et dans les maladies : c'est ce que dépeignoit fort bien Sénèque..

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D'où dépend notre sûreté, si ce n'est des services mutuels? Il n'y a que ce commerce de bienfaits qui rende la vie commode, et qui nous mette en état de nous défendre contre les insultes et les invasions imprévues. Quel seroit le sort du genre humain, si chacun vivoit à part? Autant d'hommes, autant de proies et de victimes pour les autres animaux, un sang fort aisé à répandre, en un

mot la foiblesse même. En effet, les autres animaux ont des forces suffisantes pour se défendre; tous ceux qui doivent être vagabonds, et à qui leur férocité ne permet pas de vivre en troupes, naissent, pour ainsi dire, armés; au lieu que l'homme est de toute part environné de foiblesse, n'ayant pour armes ni dents ni griffes; mais les forces qui lui manquent quand il se trouve seul, il les trouve en s'unissant avec ses semblables; la naturé, pour le dédommager, lui a donné deux choses qui lui rendent sa supériorité sur les animaux, je veux dire la raison et la sociabilité, par où celui qui seul ne pouvoit résister à personne devient capable de soumettre tout. La société lui donne l'empire sur les autres animaux; la société fait que, non content de l'élément où il est né, il étend son domaine jusque sur la mer; c'est la même union qui lui fournit des remèdes dans ses maladies, des secours dans sa vieillesse, du soulagement à ses douleurs et à ses chagrins; c'est elle qui le met, pour ainsi dire, en état de braver la fortune. Otez la sociabilité, vous détruirez l'union du genre humain, d'où dépendent la conservation et tout le bonheur de la vie.

La société étant si nécessaire à l'homme, Dieu lui a aussi donné une constitution, des facultés, des talens qui le rendent très-propre à cet état ; telle est, par exemple, la faculté de la parole qui nous donne le moyen de communiquer nos pensées avec tant de facilité et de promptitude, et qui, hors de la société, ne seroit d'aucun usage. On peut dire la même chose du penchant à l'imitation, et de ce merveilleux mécanisme qui fait que les passions et toutes les impressions de l'ame se communiquent si aisément d'un cerveau à l'autre; il suffit qu'un homme paroisse ému pour nous émouvoir et nous attendrir pour lui: Homo sum, kumani à me nihil alienum puto. Si quelqu'un nous aborde avec la joie peinte sur le visage, il excite en nous un sentiment de joie; les larmes d'un inconnu nous touchent avant même que nous en sachions la cause; et les cris d'un homme qui ne tient à nous que par l'humanité nous font courir à son secours par un mouvement machinal qui précède toute délibération. Ce n'est pas tout, nous voyons que la nature a voulu partager et distribuer différemment les talens entre

les hommes, en donnant aux uns une aptitude de bien faire certaines choses qui sont comme impossibles à d'autres, tandis que ceux-ci à leur tour ont une industrie qu'elle a refusée aux premiers; ainsi, si les besoins naturels des hommes les font dépendre les uns des autres, la diversité des talens, qui les rend propres à s'aider mutuellement, les lie et les unit. Ce sont là autant d'indices bien manifestes de la destination de l'homme pour la société.

Mais si nous consultons notre penchant, nous sentirons aussi que notre cœur se porte naturellement à souhaiter la compagnie de nos semblables, et à craindre une solitude entière comme un état d'abandon et d'ennui. Que si l'on recherche d'où nous vient cette inclination liante et sociable, on trouvera qu'elle nous a été donnée très-à-propos par l'auteur de notre être, parce que c'est dans la société que l'homme trouve le remède à la plupart de ses besoins, et l'occasion d'exercer la plupart de ses facultés ; c'est là surtout qu'il peut éprouver et manifester ces sentimens auxquels la nature a attaché tant de douceur, la bienveillance, l'amitié, la compassion, la générosité : car tel est le charme de ces affections sociables que de là naissent nos plaisirs les plus purs. Rien en effet de si satisfaisant ni de si flatteur que de penser que l'on mérite l'estime et l'amitié d'autrui; la science acquiert un nouveau prix, quand elle peut se produire au dehors, et jamais la joie n'est plus vive que lorsqu'on peut la faire éclater aux yeux des autres, ou la répandre dans le sein d'un ami; elle redouble en se communiquant, parce qu'à notre propre satisfaction se joint l'agréable idée que nous en causons aussi aux autres, et que par là nous les attachons davantage à nous; le chagrin au contraire diminue et s'adoucit en le partageant avec quelqu'un, comme un fardeau s'allège, quand une personne officieuse nous aide à le porter. Ainsi tout nous invite à l'état de société le besoin nous en fait une nécessité; lé penchant nous en fait un plaisir, et les dispositions que nous y apportons naturellement nous montrent que c'est en effet l'intention de notre créateur. Si le christianisme Canonise des solitaires, il nc leur en fait pas moins une suprême loi de la charité et de la justice, et par là il leur suppose un rapport essentiel avec le prochain; mais, sans

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