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son royaume de près d'un million d'hommes industrieux qu'il a sacrifiés aux vues intéressées et ambitieuses de quelques mauvais citoyens, qui sont les ennemis de toute liberté de penser, parce qu'ils ne peuvent régner qu'à l'ombre de l'ignorance: l'esprit persécuteur devroit être réprimé par tout gouvernement éclairé : si l'on punissoit les perturbateurs qui veulent sans cesse troubler les consciences de leurs concitoyens, lorsqu'ils diffèrent dans leurs opinions, on verroit toutes les sectes vivre dans une parfaite harmonie, et fournir à l'envi des citoyens utiles à la patrie, et fidèles à leur prince. Quelle idée prendre de l'humanité et de la religion des partisans de l'intolérance? Ceux qui croient que la violence peut ébranler la foi des autres donnent une opinion bien méprisable de leurs sentimens et de leur propre conscience.

(ANONYME.)

REFU S.

DÉNÉGATION de quelque chose qu'on demande. Les refus peuvent être offensans, fâcheux, injurieux, civils, honnêtes, et même obligeans; leur différence provient de l'assaisonnement qu'on y met. La pensée de Pline le jeune n'est que trop souvent vraie. «Telle est, dit-il, la ·

disposition du cœur humain; vous détruisez vos pre>> miers bienfaits, si vous ne les soutenez par de seconds: » obligez cent fois, refusez une, le refus seul restera >> dans l'esprit.» Cependant un refus, tempéré par toutes sortes d'adoucissemens, ne choque point les personnes raisonnables, et l'on ne s'offense point d'un refus de vertu, dit Montagne.

Il y

a des

gens d'un caractère si mou qu'ils ne savent ni accorder ni refuser.

(M. de JAUCOURT.)

REGICIDE.

C'EST le nom du plus execrable de tous les crimes, celui

d'attenter à la vie d'un roi. L'histoire ancienne et moderne ne nous fournit que trop d'exemples de souverains tués par des sujets furieux. La France frémira toujours du crime qui la priva d'Henri IV, l'un des plus grands et des meilleurs de ses rois. Les larmes que les Français ont versées sur un attentat plus récent seront encore long-temps à sécher; ils trembleront toujours, au souvenir de leurs alarmes, pour les jours précieux d'un monarque, que la bonté de son cœur et l'amour de ses sujets sembloient assurer contre toute entreprise funeste.

La religion chrétienne, cet appui inébranlable du trône, défend aux sujets d'attenter à la vie de leurs maîtres, La raison et l'expérience font voir que les désordres, qui accompagnent et suivent la mort violente d'un roi, sont souvent plus terribles que les effets de ses déréglemens et de ses crimes. Les révolutions fréquentes et cruelles auxquelles les despotes de l'Asie sont exposés, prouvent que la mort violente même des tyrans ébranle toujours l'état, et n'éteint presque jamais la tyrannie. Comment se trouve-t-il donc des hommes audacieux et pervers, qui enseignent que l'on peut ôter la vie à un monarque, lorsqu'un faux zèle, excité par l'ambition et la révolte de quelques factieux, le fait traiter de tyran? Ces maximes odieuses, cent fois proscrites par les tribunaux du royaume, et détestées par les bons citoyens, n'ont été adoptées que par des fanatiques ambitieux, qui s'efforcent de sapper les fondemens du trône, lorsqu'il ne leur est point permis de s'y asseoir à côté du souverain.

L'Angleterre donna, dans le siècle passé, à l'univers étonné, le spectacle affreux d'un roi jugé et mis à mort par des sujets rebelles. N'imputons point à une nation généreuse un crime odieux qu'elle désavoue, et qu'elle expie encore par ses larmes. Tremblons à la vue des excès

auxquels se porte l'ambition, lorsqu'elle est secondée, soit par le fanatisme et la superstition, soit par le prétexte toujours faux et trompeur de procurer au peuple sa liberté et son bonheur.

(ANONYME.)

REGLE, RÉGLEMENT.

La règle regarde proprement les choses qu'on doit faire,

A

et le réglement la manière dont on les doit faire. Il entre dans l'idée de l'une quelque chose qui tient plus du droit naturel, et, dans l'idée de l'autre, quelque chose qui tient plus du droit positif.

L'équité et la charité doivent être les deux grandes regles de la conduite des hommes; elles sont même en droit de déroger à tous les réglemens particuliers.

On se soumet à la règle; on se conforme au réglement. Quoique celle-là soit plus indispensable, elle est néanmoins plus transgressée, parce qu'on est plus frappé du détaił du réglement que de l'avantage de la régle.

(M. de JAUCOURT.)

DANS

RÈGLES.

ANS les lettres et dans les arts, les règles sont les produits de l'expérience, le résultat de l'observation sur ce qui doit plaire ou déplaire.

Il y a un instinct pour tous les arts; et cet instinct, at plus haut degré d'énergie et de sagacité, s'appelle genit; mais est-il jamais assez parfait, assez sûr de lui – même pour avoir droit de mépriser les règles? et les règles, de leur côté, sont-elles assez infaillibles, assez étendues, assez exclusivement décisives, pour avoir droit de maîtriser le génie ?

En supposant les hommes tels que les a faits la nature, et avant que l'imagination et le sentiment soient altérés en eux par le caprice de l'opinion, des modes et des convenances, l'instinct naturel suffiroit à un artiste organisé comme eux pour l'éclairer et le conduire; mais la nature peut deviner et pressentir la nature; l'étude seule, en observant l'homme artificiel et factice, peut faire prévoir les effets de l'art.

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Nous connoissons quelques hommes extraordinaires, tels qu'Homère et Eschyle, qui semblent n'avoir eu pour modèle que la nature, et pour guide que leur instinct; mais est-il bien sûr qu'avant Homère, l'art de la poésie épique n'ait pas été cultivé, raisonné, soumis à des lois ? Ceux qui regardent ce poète comme l'inventeur de son art, parce qu'il est le plus ancien des poètes connus ressemblent à ceux qui s'imaginent qu'au-delà des étoiles qu'ils aperçoivent il n'y a plus rien dans le ciel. A l'égard d'Eschyle, il est bien certain qu'il a inventé la tragédie; mais le modèle de la tragédie étoit l'épopée, dont les règles lui sont communes; et, quant à celles qui lui sont propres, Eschyle s'en est dispensé; ou plutôt, en les observant, quand il l'a pu sans trop de gêne, il les a lui-même tracées; et c'est peut-être celui de tous les hommes en qui le goût naturel a été le plus étonnant.

La raison est l'organe du vrai; le goût est l'organe du beau : c'est la faculté vive et sûre de discerner et de pressentir ce qui doit plaire aux sens, à l'esprit et à l'ame. C'est un don naturel qui veut être exercé par l'étude et par l'habitude, et ce n'est qu'après mille épreuves qu'il peut se croire un guide sûr.

Il y a une raison absolue et indépendante de toute convention, comme la vérité; mais y a-t-il de même un goût par excellence, indépendant, comme la beauté des caprices de l'opinion; et, s'il y en a un, quel est-il ? La vérité a un caractère inimitable; c'est l'évidence. Y a-t-il aussi quelque signe infaillible qui caractérise l'objet du goût? L'évidence même n'est reconnue qu'à la lumière dont elle frappe les esprits; et, dès qu'elle cesse de luire, on ne sait plus qui a raison, ou du petit nombre, ou de la multitude. En fait de goût, le problême est encore plus indécis. Dans tous les temps, il y a eu la raison du peuple et la raison des sages dans tous les temps, il y a eu le goût du vulgaire et le goût d'un monde plus cultivė; mais ni le grand ni le petit nombre n'a été constant dans son goût; d'un siècle à l'autre, d'un peuple à l'autre, la même chose a plu et déplu à l'excès; la même chose a paru admirable et risible, a excité les applaudissemens et les huées; et souvent, dans le même lieu et presque dans le même temps, la même chose a été reçue avec transport et rebutée avec mépris. Où sont donc les régles du goût? et le goût lui-même est-il le pressentiment de ce qui plaira le plus universellement dans tous les pays et dans tous les âges, ou de ce qui plaira, dans tel temps, à telle classe d'hommes qui s'appelle le monde, et qui, plus occupée des objets d'agrément, se fait l'arbitre des plaisirs? Voilà, ce semble, une difficulté insoluble et interminable: n'y auroit-il pas quelque moyen de la simplifier et de la résoudre ?

En fait de goût, il y a deux juges à consulter et à concilier ensemble: l'un est le bon sens, qui est l'arbitre des vraisemblances, des convenances, du dessein, de l'ordre, des rapports mutuels, soit de la cause avec l'effet, soit de l'intention avec les moyens qu'on emploie. Cette partie du

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