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peut faire; mais pardonner à celui qui pèche, ou le corriger quand on a l'autorité sur lui, en oubliant l'injure que l'on en a reçue et en priant Dieu de lui faire grâce, ce sont des œuvres de miséricorde que l'on peut regarder comme des aumônes (1).

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Il s'ensuit que l'aumône peut et doit s'appliquer diversement suivant les lieux, les hommes, les temps et les circonstances; mais avec cette condition absolue que, dans aucun cas, un malheur ou une souffrance ne peuvent demeurer sans soulagement immédiat et efficace, selon le pouvoir et les facultés de l'homme auquel ils se sont manifestés.

De tous les modes d'exercer la charité, l'aumône simple, c'est-à-dire le don d'une pièce de monnaie ou d'un morceau de pain, fait au pauvre qui le sollicite ou l'attend, est sans doute le plus facile et le plus commode; par cela même il est devenu usuel et général ; il n'est pas sans doute le meilleur; mais gardons-nous de le blâmer ni d'en ébranler le principe, car il est souvent le seul à la portée de la plupart des hommes; et tant que l'organisation sociale est encore imparfaite à l'égard de la charité, il est évidemment le plus praticable.

Dans les premiers temps du christianisme, le principe de l'aumône apparut dans toute sa force. La ferveur de l'église primitive engagea les fidèles à vendre leurs biens et à en déposer le prix aux pieds des apôtres pour subvenir aux besoins des indigens. Saint Paul écrivant aux Corinthiens, leur recommande de faire des collectes ou des quêtes tous les dimanches pour assister les pauvres, comme il l'avait prescrit aux églises de Galatie. Saint Justin fait connaître que tous les fidèles de la ville et de la campagne s'assemblaient le dimanche pour assister à la célébration des saints mystères; qu'après la prière, chacun faisait son aumône

(1) Lib. de Fide, Spe et Charit. (72, no 19.)

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selon son zèle et ses facultés; qu'on en remettait le produit à celui qui présidait, c'est-à-dire à l'évêque, pour le distribuer aux pauvres, aux veuves, aux infirmes, etc. Eet usage s'observait du temps de saint Jérôme, et la quête qui se fait pour les pauvres, à la messe du dimanche dans. les paroisses, en est une tradition. Au quatrième siècle, il existait des femmes picuses qui s'occupaient à recueillir des aumônes pour les prisonniers.

Dans l'origine, les ministres de l'église ne subsistaient que d'aumônes : les oblations des fidèles se divisaient en trois parts, l'une pour les pauvres, l'autre pour l'entretien des églises et le service divin; la troisième pour le clergé. Saint Chrorégand, évêque de Metz au huitième siècle, dans la règle qu'il prescrit aux chanoines réguliers, veut qu'un prêtre à qui l'on donne quelque chose, ne le reçoive qu'à titre d'aumône. C'est en ce sens que l'église a toujours considéré les libéralités qu'on lui a faites. Les biens qu'elle a reçus par donation, les fondations par lesquelles elle a été successivement enrichie, tout était regardé comme des aumônes dont les ministres étaient les économes, les dispensateurs, et non les propriétaires.

C'est par ces motifs, d'une part, que les pauvres ont été et sont encore en quelque sorte exclusivement à la charge du clergé et des établissemens ecclésiastiques dans tous les pays catholiques où les biens de l'église n'ont pas été confisqués et aliénés; de l'autre, que le précepte de l'aumône continue d'être pratiqué dans toutes les contrées soumises aux doctrines du catholicisme.

On a beaucoup blâmé les aumônes faites aux portes des couvens et des abbayes, comme celles qu'à l'exemple des corporations religieuses, faisaient de leur côté de charitables propriétaires; et il faut convenir qu'elles ont pu servir quelquefois d'encouragement à la fainéantise et à la paresse, et surtout d'aliment à la mendicité. Mais il est juste de remarquer que les religieux confinés dans leurs monas

tères n'avaient peut-être pas d'autre moyen d'exercer la charité qu'en faisant des distributions de vivres et d'argent aux pauvres qui venaient les implorer. On oublie qu'il ne leur était guère possible de rendre leur charité plus industrieuse et plus réfléchie.

Quant aux personnes du monde qui pratiquent l'aumône, et qui n'ont ni le temps ni la volonté de rechercher si un indigent, qui s'offre à eux sous l'aspect de la souffrance, est réellement dans le besoin et hors d'état de travailler, il était assez simple qu'elles obéissent à l'inspiration soudaine de la charité. Si avant d'accomplir une bonne œuvre, on voulait prévoir tous les abus qu'on en peut faire, les inconvéniens qui peuvent en résulter, le mérite ou l'indignité de ceux qui en profitent, on n'en ferait peut-être jamais aucune. La dépravation humaine trouve toujours plus de moyens pour faire le mal, que charité la plus prudente ne pourra prendre de précautions pour le prévenir.

la

L'aumône eût évidemment encouragé la fainéantise, si tous les pauvres étaient en état de travailler. Mais les infirmes, les vieillards, les femmes enceintes, celles qui sont chargées d'enfans, les imbéciles, les enfans en bas âge, les impotens, les voyageurs surpris par des besoins imprévus, ne peuvent être condamnés à mourir de faim. Lorsque l'un de ces malheureux implore la charité, faut-il s'arrêter à examiner s'il n'aurait pas revêtu l'apparence de la faiblesse ou de la misère? Si les pauvres abusent de l'aumône, les riches n'abusent-ils pas davantage des richesses? Vingt pauvres, soulagés mal à propos peut-être, ne sont-ils pas un moindre mal qu'un seul pauvre réduit à souffrir par la dureté des riches?

Or il est à peu près prouvé que, dans le nombre des pauvres qui sollicitent ou attendent les secours de la charité, il en est à peine un sur cinq qui puissent véritablement soutenir leur existence par un travail qu'ils re

fusent d'employer (1): tous les autres sont plus ou moins dans l'impuissance d'exister par leur propre industrie : un grand nombre ne peuvent être admis dans les hospices. Pour être en droit de blâmer l'aumône, il faudrait, auparavant, avoir pourvu au soulagement de toutes les misères réelles, et ce but n'a pas encore été même entrepris.

La religion, lorsqu'elle était exclusivement chargée du soin des pauvres, parce que ses biens étaient leur patrimoine, exerçait à leur égard le patronage le plus efficace. Elle avait multiplié en leur faveur les établissemens charitables, les associations pieuses, les écoles, les exhortations au travail et à la vertu. Quant aux malheureux qui n'avaient pu trouver place dans les asiles ouverts à toutes les infortunes, elle les recommandait à la charité des fidèles, et surtout des riches; elle les secourait indistinctement. Là s'arrêtait son pouvoir. Elle n'avait pas une mission de police pour surveiller et dénoncer les vagabonds qui, simulant des plaies factices, trompaient la commisération des âmes sensibles. Cette mission rentrait dans les attributions du pouvoir politique. Le ministère du prêtre, protecteur naturel du malheur, ne pouvait se changer en ministère de répression et de sévérité.

A l'époque dont nous parlons, le nombre des pauvres était d'ailleurs peu considérable, et les secours étaient aussi plus abondans. Seulement l'indigence frappait davantage les regards, parce qu'elle ne se manifestait que par la mendicité. C'est cette image sensible de la misère qui blesse la délicatesse de nos sybarites modernes, et a conduit les philosophes et les économistes de l'école anglaise au reproche fait au christianisme d'encourager la fainéantise et la mendicité par le précepte absolu de

l'aumône.

Il est facile de concevoir que des aumônes, toujours (1) Voir le livre II, chapitre IV.

sagement distribuées et appliquées, peuvent produire infiniment plus de bien que des dons indiscrètement prodigués au pauvre. Nous nous proposons de le démontrer ailleurs; mais ce qu'il nous importait d'établir, c'est que le principe de l'aumône est sacré et nécessaire; que l'erreur même dans son application est toujours respectable, et qu'enfin il est injuste et inexact d'attribuer au clergé catholique les abus de la mendicité, puisqu'il n'a jamais dépendu de lui de les prévenir et de les empêcher. S'il ne lui était pas donné de pourvoir à tous les besoins, de soulager toutes les souffrances; si l'aumône était la seule ressource de presque tous les malheureux, il était de son devoir de la prescrire et d'en donner l'exemple : le bienfait et la reconnaissance lui sont dus. Les abus ont été la suite d'une organisation sociale imparfaite, de la négligence des gouvernemens, et surtout de l'absence de ces sentimens charitables et religieux que le clergé ne cessait d'exciter dans les cœurs. Il faut dire enfin qu'il y a quarante ans, ce que l'on appelle paupérisme n'était pas connu en France, et que les fàcheuses conséquences de la misère ne se sont révélées, de manière à alarmer les philantropes et les gouvernemens, que depuis les révolutions modernes survenues dans l'ordre politique et dans les doctrines philosophiques et économiques.

Aujourd'hui, nous le croyons, le précepte de l'aumône individuelle ne suffit plus pour apaiser le mal. Toujours. sacré, toujours nécessaire, il doit recevoir une direction analogue à de nouveaux besoins. Si, d'une part, la misère a fait de déplorables progrès, les sciences physiques, les sciences administratives, la science même de la charité, en ont fait de parallèles; et certes nous sommes loin de penser que le clergé français, qui n'est pas en arrière de ce mouvement progressif des lumières, et qui a vu avec tant de douleur s'accroître l'indigence publique, se refuse à entrer dans cette voie nouvelle de l'aumône. Mais la part d'in

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