tain du moins que près de 4 millions de francs sont dépensés chaque année en frais d'assemblée et de table pour les marguilliers et inspecteurs des pauvres. Il est aisé de concevoir que, dans un pays où l'esprit de commerce et d'égoïsme a étouffé les sentimens de la charité religieuse; où la charité n'est plus un bienfait, mais une contribution forcée, et a perdu ainsi son céleste caractère; où il n'existe, entre les riches et les pauvres, que des rapports fondés sur la haine, la jalousie et la méfiance; où chaque paroisse cherche à rejeter le fardeau de ses pauvres sur la paroisse voisine; où, enfin, le ministère de la charité n'est plus qu'une fonction de collecteur d'impôts, de juge sévère, ou même d'entrepreneur, de nombreux abus ne peuvent manquer de s'être introduits. Tous les écrivains et les publicistes, à peu d'exception près, sont d'accord pour les signaler et les blâmer, et pour improuver le principe moral et les conséquences de la taxe des pauvres. Nous ne connaissons guère en France que M. le comte Alexandre Delaborde qui ait fait l'apologie de ce système de secours, tout en convenant des abus dont son application a été suivie, mais qu'on pourrait faire disparaître. Selon cet écrivain philantrope, que l'aspect prospère de l'Angleterre paraît avoir séduit, la taxe des pauvres est une nécessité et une justice. << Cette taxe, dit-il, est une charge sociale, une espèce de loi agraire des temps civilisés qui balance les vicissitudes du sort et permet à une sociéte d'exister sans envie, sans trouble et sans crime. Cette taxe existait à Athènes comme en Angleterre, comme elle existera dans tout état municipal qui voudra assurer son repos et son industrie. Elle était, à Athènes, de deux oboles par jour pour ceux qui ne pouvaient gagner leur vie. Les epulæ et les anapes (distributions de blé et d'huile) à Rome, les agapes des premiers chrétiens, faisaient le même effet. Elle s'élève en Angleterre à une somme énorme et entraîne beaucoup d'abus, de plaintes et de réclamations. Mais elle n'en est pas moins juste et nécessaire, pourvu qu'elle soit répartie avec intelligence et discernement. >>> « Ce qui est singulier, c'est qu'elle n'a commencé à s'établir que dans le moment où l'industrie a pris un grand essor. Elle fut alors la suite de ces revers subits que cause le grand mouvement des affaires, de l'impossibilité où sont les hommes élevés promptement à l'aisance, de se soutenir en retombant tout à coup dans la détresse. Elle est ordinairement le dixième du revenu, quelquefois le cinquième dans les circonstances malheureuses. Cela dépend des circonstances, car cet impôt ne forme pas un fond commun, mais une distribution communale et provinciale, relative aux maux des provinces et des villes. Souvent il est presque nul, et quelquefois s'élève au quart du revenu ; son effet est généralement avantageux à l'ouvrier et à l'entrepreneur. Il supplée, à leur égard, à l'insuffisance des lois. Le premier, qui réduit à la misère, serait à la merci de l'autre, ayant, par ce moyen, de quoi subvenir à ses premiers besoins, peut faire des conditions meilleures ou parvenir plutôt à se passer d'un secours toujours pénible à la fierté, et difficile à obtenir par les formalités qu'il exige; d'un autre côté, trouvant dans les secours publics les moyens d'aider des enfans en bas âge, des parens âgés, de ne point souffrir de leurs infirmités, il peut mettre un prix moindre à son travail. Ainsi la taxe, qui, d'un côté, enchérit la main-d'œuvre, la fait baisser de l'autre. Le poor rate fait qu'en Angleterre les pauvres vivent mieux, qu'ils y goûtent plus les douceurs de la vie que la moitié de ce qu'on appelle ailleurs les gens aisés. >>> << Le poor' rate se monte annuellement à 240 millions de francs, qui se répandent dans les familles pauvres, de manière à suppléer au défaut de travail, à la différence de salaire, au temps de maladie. Sans doute un impôt aussi considérable, ajouté à tant d'autres, est une grande calamité pour ceux qui le supportent, et il entraîne nécessairement de grands abus. Il serait donc bien à désirer qu'on pût y suppléer par une portion plus forte de travail, par une résignation, dans tous les êtres, plus courageuse, par l'excellente institution surtout des banques d'épargnes (saving bancks), et c'est ce qu'on voit en Ecosse et dans plusieurs autres provinces d'Angleterre. Mais, en attendant, la taxe des pauvres prévient les maux qu'entraînent la misère et le désespoir (1). » of red Nous n'osons point assurément élever des doutes sur l'examen approfondi que M. le comte Delaborde a dû faire de la situation des pauvres d'Angleterre et des lois qui leur sont relatives. Mais, en même temps, nous devons nous étonner qu'il n'ait point aperçu les véritables causes qui ont rendu la taxe des pauvres nécessaire dans ce royaume. En se reportant à son origine et à son extension progressive, il eût été facile de reconnaître que la disparition de la charité et des institutions religieuses, avaient impérieusement exigé des secours forcés; car les pauvres, privés des charités volontaires, auraient probablement recouru à la révolte pour trouver les moyens d'exister. D'un autre côté, l'application des nouvelles doctrines économiques, l'extension et la direction de l'industrie en Angleterre, et la concentration des propriétés et des capitaux, devaient accroître démesurément le nombre des ouvriers, et par conséquent celui des indigens. Il ne pouvait en être autrement dans l'ordre naturel des choses. Nous ne relèverons pas la contradiction manifeste qui paraît exister entre les effets que l'auteur attribue à la taxe des pauvres. On ne comprend guère comment cette taxe, qui permet à l'ouvrier de mettre un prix plus élevé à son travail, pourrait l'engager à un salaire inférieur. D'autre part, on ne (1) De l'Esprit d'association. peut admettre qu'une somme de 162 fr. dans un ménage, ou même de 324 fr. (en supposant qu'elle soit accordée au mari et à la femme) pût suffire dans un pays où la vie est aussi chère qu'en Angleterre, pour donner aux pauvres les moyens de vivre mieux que ne le font ailleurs ce qu'on appelle les gens aisés. Tout au plus leur permettrait-elle de ne pas mourir de faim. Aussi Malthus assure que leur sort est déplorable, et il mérite confiance sous ce rapport. Quoi qu'il en soit des assertions de M. le comte Delaborde, nous voyons que les économistes et les hommes d'état de l'Angleterre et de la France n'hésitent pas à affirmer que les lois anglaises sur les pauvres n'ont pas peu contribué à faire naître, au sein de la population de ce royaume, cette masse énorme d'individus dégradés, grossiers et imprévoyans dont on a peint la condition et l'accroissement progressif par le mot paupérisme, qui s'est déjà naturalisé dans notre langue par le besoin d'exprimer une situation analogue. Nous devons citer à ce sujet l'opinion du comité de mendicité de l'assemblée législative, qui cependant admettait le droit des pauvres à l'assistance nationale. Son orateur s'exprimait, il y a plus de quarante ans, en ces termes prophétiques : << C'est ici que l'expérience, ce guide toujours fidèle et plus sûr que le raisonnement, vient nous offrir la leçon utile de l'exemple. Les Anglais ont commis en ce genre une faute qu'ils expient d'une manière bien cruelle. La taxe des pauvres qui ne s'élevait chez eux, au commencement de ce siècle, qu'à quinze millions, s'est portée progressivement au double, au quadruple, et ne tardera peutêtre pas d'arriver au quintuple de la première proportion; et cependant on ne voit pas que cette surabondance de secours ait tourné chez eux au profit de l'humanité, qu'elle les ait délivrés de leurs mendians. Telle est même la profondeur de la plaie, tels sont les progrès du mal, qu'il est devenu impossible d'y appliquer du remède. Par le cours forcé des événemens, ce mal doit s'accroître encore, et l'on ne saurait prévoir le terme où s'arrêtera son accroissement. De plus, cette mauvaise institution a, par contre-coup, porté une atteinte funeste à l'industrie de plusieurs provinces. D'un côté, les paroisses ont mis en avant toutes sortes de vains prétextes pour se dispenser de recevoir les pauvres des paroisses voisines, ou leurs habitans, qui pouvaient devenir pauvres et tomber un jour à leur charge; et, de l'autre côté, elles ont employé tout ce qu'elles ont pu imaginer de ruses pour se renvoyer réciproquement, et pour rejeter les unes sur les autres leurs propres pauvres. » << Chez un peuple, notre aîné en liberté, on a vu la liberté indignement violée, et régner la plus insupportable contrainte. Il n'a plus été permis à un artisan laborieux et honnête de se choisir une demeure, d'en changer à son gré, et de porter ses bras et ses talens là où il pouvait espérer de les employer utilement; il était inhumainement repoussé, et il voyait tous les cœurs se glacer à son approche. Une large porte a été ouverte à la chicane. Des lois ambiguës, comme le sont toutes les mauvaises lois, sont devenues une source de procès interminables, tellement qu'il en coûte autant, à quelques paroisses, pour rejeter de leur sein les pauvres qui s'y sont établis, qu'il en coûterait pour les secourir. Il est vrai qu'on a interprété ces lois, qu'on les a modifiées par de nouvelles ; mais les modifications, les changemens qu'on y a faits n'ont servi qu'à inviter ceux qui avaient intérêt à s'y soustraire, à chercher les moyens de les éluder, ėt ils ont toujours été plus habiles à en inventer de nouveaux, que la loi à en prévenir l'effet. >> Parmi les adversaires des lois anglaises sur les pauvres, on peut placer au premier rang l'auteur de l'Essai sur le principe de la population. Nous donnons ici les passages les plus remarquables du chapitre que, dans cet ouvrage, |