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Observez, s'il vous plaît, le sens de l'Apôtre : il ne nous défend pas de craindre la mort, ni d'être touchés de la mort de nos amis et de nos proches; mais il nous défend de nous affliger et de craindre, comme ceux qui, vivant sans religion, vivent sans espérance des biens éternels, sicut et cæteri qui spem non habent: pourquoi? parce que cette crainte et cette tristesse procédant alors d'un principe d'infidélité, ce n'est pas un moindre crime devant Dieu que l'infidélité même. En effet, il m'est permis de craindre la mort, mais il ne m'est pas permis de la craindre par toutes sortes de motifs, et je suis prévaricateur si je la crains d'une manière qui soit opposée à la pureté de ma foi. Cependant, Chrétiens, c'est un des désordres qui règnent parmi nous. On voit des hommes dans le christianisme qui craignent la mort, non pas en fidèles, mais en païens; des chrétiens de profession, mais qui, n'en ayant que le nom et que l'apparence, raisonnent sur l'autre vie comme des épicuriens; car vous diriez qu'il y a encore parmi nous des partisans de cette secte, et Dieu veuille que la réflexion que je fais ne convienne à personne de ceux qui m'écou

tent.

Vous me demandez le moyen de se préserver d'une si damnable et si malheureuse disposition d'esprit et de cœur. Le voici tiré d'un des plus illustres exemples que nous fournisse l'Écriture. C'est

de faire dans la vue de la mort ce que faisoit le patriarche Job au milieu de ses souffrances, lorsqu'accablé de calamités il se voyoit languir et mourir; c'est de renouveler comme lui cette confession de foi, qui soutenoit sa patience et sa persévérance, quand il disoit: Scio quod Redemptor meus vivit, et in novissimo die de terra surrecturus sum, et in carne mea videbo Deum salvatorem meum. Reposita est hæc spes in sinu meo. Je sais que j'ai un Rédempteur vivant dans le ciel, et que je ressusciterai du sein de la terre. Je sais que je verrai dans ma propre chair et de mes yeux ce Dieu mon Sauveur. Je sais que la mort n'est pour moi qu'un changement d'état, qu'un passage pour mon âme, et qu'un sommeil pour mon corps; qu'elle ne me va dépouiller que pour me revêtir; et qu'en m'ôtant une vie fragile et périssable, elle doit me mettre en possession d'une vie qui ne finira jamais. Oui, je le sais, et cette espérance que Dieu me laisse comme un précicux dépôt est ce qui me console dans mes misères, ce qui me fortifie dans mes défaillances, ce qui m'attache à mes devoirs, ce qui me rend invincible dans mes tentations, ce qui m'empêche de succomber à la violence des persécutions. Sans cette espérance toute ma force m'abandonneroit en mille rencontres, et je céderois aux révoltes de la nature; mais cette espérance est mon support, et

› Job. 19.

voilà pourquoi je la conserve dans mon cœur. Reposita est hæc spes in sinu meo.

Ah! Seigneur, s'écrioit David (autre sentiment bien capable d'affermir en nous la grâce de la foi), il est vrai, Seigneur, vous nous avez humiliés dans ce séjour d'affliction et de larmes, en nous rendant sujets à la mort; mais la mort à laquelle vous nous avez condamnés n'est point une véritable mort, ce n'est qu'une ombre de la mort, dont vous nous avez couverts, pour nous faire porter les marques de votre justice, et pour nous faire sentir en même temps les effets de votre miséricorde: Humiliasti nos in loco afflictionis, et cooperuit nos umbra mortis.' Non, dit saint Ambroise expliquant ce passage du psaume, la mort du corps n'est qu'une ombre et une représentation de la mort: Mors carnis, umbra mortis. Et c'est la pensée dont se doivent armer et munir non-seulement les pécheurs qui, par l'excès de leurs crimes, auroient en quelque sorte perdu le don de la foi, mais les justes mêmes et les amis de Dieu, dont la foi, par une conduite particulière de la providence, ne laisse pas souvent d'être ébranlée sur le sujet de la mort: car combien d'âmes saintes et prédestinées ont souffert là-dessus les mêmes attaques que les plus déclarés impies! à combien de rudes épreuves Dieu n'a-t-il pas pris plaisir, pour faire triompher sa grâce, d'exposer

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leur religion! et combien de fois un chrétien, au milieu même de ses ferveurs, n'a-t-il pas pu dire aussi bien que David: Mei autem pæne moti sunt pedes, pæne effusi sunt gressus mei! A la vue de cet affreux chaos de l'éternité que j'attends, j'ai presque détourné mes pas de la voie où je marchois, et mes pieds ont été sur le point de glisser; car la foi qui devoit être mon unique appui est devenue comme chancelante dans mon cœur. Combien, dis-je, ne trouve-t-on pas d'âmes élues qui tiennent ce langage? Il est donc nécessaire qu'elles se mettent en garde contre cet esprit d'infidélité, qui seroit pour elles une pierre de scandale et un écueil où elles iroient échouer. Mais avançons, et voyons maintenant l'état du mondain qui craint la mort parce qu'il est attaché au monde. Autre espèce de crainte dont nous avons à nous préserver : c'est le sujet de la seconde partie.

DEUXIÈME PARTIE.

Le Saint-Esprit l'a dit, Chrétiens, et nous n'en sommes que trop convaincus par l'expérience sensible que nous avons de notre misère, et de celle des autres, que rien n'est plus fâcheux ni plus amer que le souvenir de la mort pour un homme du monde, qui fait consister son repos et son bonheur dans la jouissance des biens temporels. O mors,

quam amara est memoria tua homini pacem habenti in substantiis suis! Prenez garde, mes Frères, nous fait ingénieusement remarquer saint Augustin, aux deux termes dont se sert l'Écriture. Elle ne dit pas que la pensée de la mort est triste et affligeante à celui qui possède les biens temporels, mais à celui qui a établi sa paix et sa félicité dans la possession des biens temporels : Homini pacem habenti. De plus, pour exprimer ces sortes de biens, elle ne les appelle pas simplement biens, mais elle leur donne le nom de substance, et veut par-là signifier la fausse idée que nous en avons: In substantiis suis; car les justes qui ont l'esprit de Dieu ne considèrent ces biens que comme de foibles accidens, dont ils peuvent aisément se passer; qu'ils ont aujourd'hui, et qu'ils n'auront pas demain; dont la perte pourra leur causer quelque légère altération, mais sans préjudice de cette consistance ferme et immobile que la grâce leur donne: au lieu que les mondains attachés à ces biens terrestres, en font leur principal et leur capital, rapportant tout à ces biens, ne se mesurant que par ces biens, ne s'appuyant et ne faisant fond que sur ces biens, comme si eux-mêmes ils étoient faits pour ces biens et que ces biens ne fussent pas plutôt faits pour eux: Homini pacem habenti in substantiis suis. Or c'est aux hommes de ce caractère, et

Eccles. 41.

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