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que durables et sincères, lui apportaient les hommages les plus exempts de doute et d'arrière-pensée. Aussi, l'un des plus grands crimes à ses yeux était de jeter le trouble au milieu des rêves de bonheur pur dont il caressait ces jeunes imaginations; et la disposition d'esprit qu'il recommandait comme la meilleure, pour se préparer à entrer dans son royaume, était cet empressement naïf de l'enfance à tout croire sans examen. Quand des questions de prééminence s'agitaient parmi ses disciples, tout naturellement portés à se disputer les places dont il aurait à disposer en leur faveur, c'était la douce et aveugle confiance des enfants qu'il leur proposait pour modèle : « En vérité, leur disait-il, si vous ne devenez comme ces petits, vous n'aurez pas part au règne du ciel. » — « Si quelqu'un, ajoutait-il, porte atteinte à la foi d'un de ces enfants qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on lui pendît au cou une de ces meules qu'un âne tourne, et qu'on le jetât au fond de la mer. » C'était là le pire scandale (xavdov, piége); et tout scandale mettait son auteur en un tel danger de mort, qu'il n'hésitait pas à conseiller le sacrifice de tous les membres qui pouvaient en être l'occasion. « Il vaut mieux, disait-il (Matth., ch. xvmi, v. 8-9), entrer dans la vie boiteux (xwλòs), manchot (xʊλλòç) ou borgne (povópbaλuos), que d'aller à Ghé-Hinom avec deux pieds, deux mains et deux yeux. » En confirma

tion de notre observation de la page 278, on peut remarquer ici qu'en appliquant le mot « entrer dans la vie, εἰσελθεῖν εἰς τὴν ζωὴν » aux premiers seulement et non aux seconds, Jésus faisait voir que, dans sa pensée, le supplice subi dans la vallée de Ghé-Hinom serait en même temps le terme de la vie.

Cependant il était arrivé aux confins de la Judée; et, plus il se rapprochait de Jérusalem, plus les curieux affluaient, la plupart dans le but de se jouer de lui. Comme ses instructions et ses conseils, en tant qu'exclusivement relatifs à une période tout exceptionnelle, n'avaient que fort peu de rapports avec les conditions de la vie ordinaire, des pharisiens cherchèrent à l'embarrasser en lui posant des questions de morale pratique. Un jour, ils lui demandèrent, à propos de divorce, son avis sur la question de mariage. Il avaient choisi cette question parce qu'ils savaient qu'il n'en était pas qu'il abordât moins volontiers que celle-là, et qu'il n'y touchait jamais que pour signaler le danger des liens capables de distraire du salut. Comme Jésus avait à opter, sur ce point, entre les différents usages autorisés en Israël à diverses époques, et que l'Élohim de la Genèse semblait à cet égard avoir posé les principes de la stricte monogamie, il se borne à rappeler ces principes (Matth., ch. XIX, V. 4-6), et à en tirer les conséquences rigoureuses, en étendant les cas d'adultère

beaucoup plus loin que ne l'avait fait Moïse. Mais, cela fait, comme pour couper court à toute nouvelle interrogation et montrer d'un seul mot combien la période de pénitence échappait à toutes les nécessités morales et conservatrices d'une société, il ajoute (ibid., v. 12): « Il y a des eunuques qui sont nés tels dès le ventre de leur mère; il y en a que les hommes ont fait eunuques; et il y en a qui se sont rendus eunuques eux-mêmes pour gagner le règne du ciel. Qui peut comprendre ceci le comprenne. »>

La richesse ne lui paraissait pas, moins que l'état conjugal, une condition des plus contraires aux dispositions requises en ce moment critique. A un jeune homme qui lui demande quel bien il doit faire pour mériter de ne pas mourir, il répond d'abord par la simple citation de l'ancien texte du Décalogue. Mais, le jeune homme insistant et s'enquérant des moyens d'être encore plus sûr de son salut, Jésus lui indique le prét à Jéhovah : « Vends ce que tu as, lui dit-il, donne-le aux pauvres, fais-toi ainsi un trésor dans le ciel (entre les mains de Jéhovah); puis viens et suis-moi. » Son conseil ayant paru trop difficile à mettre en pratique : « il est plus aisé, dit-il à ses disciples, qu'un chameau passe par le trou d'une aiguille qu'il ne l'est qu'un riche arrive au règne du ciel. » Pierre ne laisse pas échapper cette occasion de demander quelle sera la récompense

de ceux qui, comme lui, ont tout quitté pour suivre le Rémunérateur. Cette fois Jésus consent à faire connaître le dessein qu'il avait eu en choisissant ses apôtres au nombre de douze : autant il y avait eu de tribus dans l'ancien royaume de Jéhovah, autant, sous son nouveau règne, il y aurait de trônes sur le territoire reconstitué d'Israël; et, dès que le Fils de l'homme serait assis sur le sien, chacun des douze autres deviendrait le siége où l'un des douze apôtres se placerait pour rendre la justice; il n'en excluait pas Judas qui était l'un des douze. « Je vous dis en vérité que, pour vous qui m'avez suivi, lorsque, au temps de la régénération, le Fils de l'homme sera assis sur le trône de sa gloire, vous serez aussi assis sur douze trônes et vous jugerez les douze tribus d'Israël..» (Matth. ch. xix, v. 28.)

Si l'on s'en rapportait au quatrième évangile, le premier voyage à Jérusalem n'aurait été décidé qu'après la visite secrète faite de nuit à Jésus par le

riche pharisien Nicodème, obligé à la plus grande circonspection tant à l'égard des autorités romaines qu'à l'égard de ses collègues du sénat. C'est en effet immédiatement après le long tête-à-tête que Nicodème et Jésus eurent en Galilée qu'est placé ce verset: Après cela, Jésus étant venu en Judée suivi de ses

disciples, il y demeurait avec eux... » (Jean, ch. m, v. 22.) Il est vrai que cet évangile parle de plusieurs voyages

de Jésus à Jérusalem, et que les trois évangiles synoptiques n'en mentionnent qu'un. Si cette dernière version était adoptée, il en faudrait seulement conclure que la visite de Nicodème remontait aux premiers moments de la carrière évangélique de Jésus.—Quoi qu'il en soit, et à quelque moment qu'ait lieu, dans cette histoire, l'apparition de ce personnage mystérieux et puissant, uni sans doute dès lors de vues et d'intérêts politiques avec un autre homme du même rang nommé Joseph d'Arimathie, - ces personnages acquièrent une importance d'autant plus grande en réalité, qu'elle l'est moins en apparence; et l'histoire doit s'emparer avec empressement de ce fait, comme de tous ceux qui en eux-mêmes, et sans qu'il soit besoin de recourir à d'autres, contiennent une explication suffisante de tout ce qu'il peut y avoir d'obscur dans les faits qui les suivent.

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