Page images
PDF
EPUB

te mesurer avec un homme de cette force et habitué à

combattre ! Ce n'est pas toujours le plus fort qui l'emporte, répondit l'autre avec finesse; les lions et les ours sont bien plus forts que moi, et mal leur en prend quand ils s'attaquent à mon troupeau. Comme il était sans armes, Saül voyant sa contenance fière, voulut l'armer d'un casque, d'une cuirasse et d'une épée; mais lui << prit son bâton en mains et se choisit dans le torrent cinq cailloux unis, les mit dans sa gibecière de berger et dans sa poche. Il avait sa fronde en mains, et il s'approcha ainsi du Philistin... Celui-ci lui dit : « Suis-je un chien que tu viennes contre moi avec des bâtons ?... Mais, approche, je vais livrer ta chair aux oiseaux du ciel et aux bêtes des champs... >>

L'adolescent, sûr de ses coups, ne se laissa pas émouvoir, et menaçant à son tour le Philistin il s'approcha résolûment de lui. Lorsqu'il fut à une distance convenable, il s'arrêta, «< il mit sa main dans sa besace, en tira une pierre, la lança, et frappa le Philistin au front; la pierre s'enfonça dans son front, et il tomba le visage contre terre. »

Celui qui venait de se couvrir de tant de gloire était David.

«Il courut, ajoute le chroniqueur, se plaça sur le Philistin, prit son épée, la tira de son fourreau, et s'en servit pour l'achever et lui couper la tête. Quand les

Philistins virent que leur héros était mort, ils s'enfuirent. >>

Quel coup de maître qu'un tel début! - Parmi tous ceux qui s'en montrèrent charmés, nul ne poussa plus loin l'enthousiasme que le fils de Saül, le brave Jonathan 1. Dès lors commença, entre lui et David, cette intimité qui devait détacher de plus en plus le fils de la cause du père et finir par une trahison complète.

Bientôt après nous voyons le jeune David activement occupé à se donner du renom.

« David sortait partout où Saül l'envoyait. Il réussissait; et Saül l'établit sur des gens de guerre. Il était bien venu aux yeux de tout le peuple. Et, à leur retour, quand David revenait du combat contre le Philistin, les femmes sortaient de toutes les bourgades d'Israël, en chantant et en dansant; et, se plaçant devant Saül avec des tambourins et des cymbales, elles s'entre-répondaient en disant : Saül a battu ses mille et David ses dix mille. »

Certes, de telles bravades étaient bien faites pour éveiller le malin esprit. Ce refrain, en effet, ne manquait

1. Il est plus connu sous le nom de Jonathas; mais nous traduisons littéralement. Si l'on se souvient de notre note de la page 20, on doit être entraîné comme nous à faire un rapprochement entre l'intimité de David avec Jonathan et celle du dauphin Louis avec le fils de Philippe le Bon.

jamais d'amener quelque crise chez le malheureux Saül. « C'est cela! criait-il, dix mille pour lui et mille seulement pour moi! Que n'en font-ils leur roi tout de suite! » Il lui arrivait alors de tomber dans un tel état d'exaltation qu'il allait cà et là dans sa maison faisant des gestes de fou. Un jour que David était venu avec sa guitare pour le calmer, Saül saisi d'une brusque fureur, voulut le clouer au mur avec sa lance; mais, par deux fois, l'agile musicien esquiva le coup.

Une fois ses nerfs calmés, Saül se disait : « Il faut que Jéhovah soit avec David, puisqu'il réussit toujours. Qu'il sorte donc, qu'il s'en aille avec les hommes que je lui donnerai, et qu'il ne m'irrite plus par sa présence. » Il n'y avait rien de mieux pour faire grandir la popularité de David. Celui-ci fit si bien que la main d'une des filles de Saül parut être aux yeux de tous la juste récompense de ses services. « Qu'il prenne Mérab, dit le roi; mais qu'il ne cesse pas pour cela de se battre, puisque c'est un si vaillant guerrier!... Puissent les Philistins, ajoutait-il tout bas, m'en débarrasser bientôt ! >>

David ne manqua pas d'opposer à l'offre de la main de Mérab la formule modeste en usage: «Qui suis-je ? et quelle est mon origine, pour qu'il m'advienne un tel honneur? » Au lieu de Mérab, ce fut Michol, autre fille de Saül, qui se déclara pour lui. Que ce fût l'une ou

l'autre, peu importait à Saül, pourvu que son gendre se crût par cette alliance engagé à combattre les ennemis d'Israël plus sérieusement peut-être qu'il ne l'avait fait jusque-là. Car, au fond, on croit démêler chez Saül l'intention d'obliger David à fournir une preuve matérielle des victoires dont il se vantait. On connaît la triom- • phante preuve que la troupe de David déposa un jour à ses pieds 1. Assurément Saul, comparant ces succès à ' ceux par lesquels il avait lui-même signalé les commencements de son règne, leur trouvait plus d'éclat que d'importance réelle. Mais il n'en était que plus exaspéré de voir à quel degré David possédait l'art, inconnu de lui, de rehausser une victoire aux yeux du peuple. Croyant, d'ailleurs, reconnaître dans cet art lui-même un signe de la haute faveur dont Jéhovah entourait son odieux gendre, il continuait à le recevoir dans sa maison et à sa table, sans toutefois pouvoir s'empêcher de diriger de temps en temps contre lui, d'une main fiévreuse et mal assurée, ces coups de lance qui n'atteignaient jamais que le mur. Quoi qu'il en fût, les fonctions de joueur de guitare devenaient de moins en moins tena

1. « Dixit autem Saül: sic loquimini ad David : non habet rex sponsalia necesse, nisi tantùm centum præputia Philistinorum... David abiit cum viris qui cum eo erant, et percussit ducentos viros ex Philistinis, et attulit eorum præputia... et vidit Saül quòd Dominus esset cum David. >>

bles dans de telles conditions; et, si cruel qu'il fût pour David de s'éloigner de l'héritage qu'il avait à s'approprier', le soin de sa sûreté l'obligea à prendre momentanément ce parti. Il attendit même que la nécessité le contraignît à fuir; car ce ne fut qu'à la vue des émissaires envoyés par Saül pour se saisir de sa personne qu'il se décida à s'échapper par une fenêtre, et à gagner la campagne 2.

Se réfugier auprès de celui par lequel Jéhovah lui 'avait fait conférer sa qualité encore ignorée de messie, - telle fut naturellement la première idée qui s'offrit à David. Quelle qu'ait été la durée de ce séjour auprès de Samuel, il ne faut pas s'étonner qu'il ait donné fort à penser au pauvre Saül. Obsédé par le malin esprit, il ne tarda pas à se jeter tête baissée, avec sa maladresse ordinaire, dans une entreprise qui le couvrit de ridicule.

Nous transcrivons textuellement (ch. xix, v. 18 et suiv.) : « David avait pris la fuite, avait échappé, et était arrivé auprès de Samuel à Rama. Il lui raconta tout ce

1. Ce regret de s'éloigner est bien exprimé plus loin (ch. xxvi, v. 19): << qu'ils soient maudits devant Jéhovah, dit David, ceux qui m'ont chassé aujourd'hui pour que je ne puisse m'attacher à l'héritage de Jéhovah! comme s'ils s'étaient dit : qu'il aille ailleurs servir des dieux étrangers. >>

2. La ruse que, dans cette circonstance, il fait mettre en œuvre par sa femme Michol, accuse de sa part un culte idolâtrique qui rappelle tout à fait les objets domestiques de la dévotion de Louis XI.

« PreviousContinue »