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L'autre répondit: Il reste encore le plus jeune; il fait paître le troupeau. Samuel dit à Jessé Envoie-le chercher, car nous ne nous mettrons point à table jusqu'à ce qu'il soit venu ici. - Jessé envoya et le fit venir.

<< Il était roux; avec cela il avait de beaux yeux et un beau visage. Jéhovah dit : Lève-toi, oins-le, car c'est lui. Samuel prit la corne d'huile et l'oignit au milieu de ses frères; et à dater de ce jour, l'esprit de Jéhovah saisit David. Samuel se leva et s'en alla à Rama1.

Le rang et le titre que cette cérémonie conférait au jeune fils de Jessé n'étaient pas aussi brillants qu'on pour rait le supposer d'abord; car rien ne ressemblait moins à un peuple que ces hordes disséminées d'Israélites qui, depuis cinq cents ans et sur la foi d'une ancienne promesse, aspiraient, sans y réussir, à entrer dans la pleine possession du petit pays de Chanaan. Le seul lien qui existât réellement entre eux, était le souvenir commun de cette promesse; quant au Dieu qui l'avait faite à leurs ancêtres, ils avaient coutume de le tenir dans l'oubli le plus profond, tant que quelque danger pressant ne ve

1. Samuel, liv. I, ch. xvi, v. 1-13, traduction de Cahen. Nous suivrons littéralement cette traduction toutes les fois que nous n'aurons pas de raisons pour la discuter et pour y substituer la nôtre. Nous traduirons toujours par leurs équivalents français les mots Jéhovah et abs Elohim. Quant aux autres noms propres, nous leur rendrons la physionomie sous laquelle ils sont le plus connus. Dans toutes nos citations, nous nous en référerons au canon juif.

nait pas réveiller leur confiance en son secours, préférablement à celui des autres Dieux du pays. Tout le livre des Juges n'est que le fade et monotone tableau de cette situation vingt fois renouvelée.

Cependant ce peuple ne pouvait avoir vu sortir de son sein l'une des plus hautes intelligences dont l'humanité ait à s'honorer, sans qu'il lui en restât quelques traces. Aussi ne doit-on pas s'étonner qu'il se soit trouvé, parmi les enfants d'Israël, une suite à peu près continue d'hommes plus ou moins instruits de l'idée de Moïse qui aient mis, durant ces cinq siècles, un soin pieux à se la transmettre. Mais ce qui peut étonner, dans le texte que nous venons de placer sous les yeux du lecteur, c'est que l'un de ceux qui paraissaient avoir le mieux compris le plan du grand législateur hébreu se soit déterminé à l'acte qui y est raconté.

Si nous trouvons cette détermination de Samuel de nature à provoquer la surprise, ce n'est pas parce qu'elle est exécutée en cachette, et sous le prétexte d'un sacrifice irrégulier1; ce n'est pas non plus parce que l'homme que nous voyons ici faire choix d'un roi est le même qui

1. La loi réprouvait tout sacrifice fait ailleurs que devant le tabernacle: «Un homme quelconque de la maison d'Israël qui présentera un holocauste ou une victime, et qui ne l'amènera pas à l'entrée de la tente d'assignation pour l'exécuter à Jéhovah, cet homme sera retranché de ses peuples. (Lévitique, ch. xvii, v. 8-9.)

en a déjà choisi et oint de sa main un autre encore vivant; c'est parce que le fait même de la création d'une royauté dans ce peuple est en opposition formelle avec la loi dont Samuel était le représentant. Comment et dans quel but, après avoir longtemps opposé la plus vive résistance aux sollicitations qui le pressaient1, avaitil fini par céder, lui qui connaissait si bien sur ce point la législation de Moïse? C'est ce qui assurément de

mande explication.

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Mais avant d'aborder cette explication et de chercher à pénétrer les intentions de Samuel à l'aide du récit de ses tentatives antérieures, il est essentiel de faire bien connaître les dispositions de la loi ( Torah) auxquelles il avait contrevenu, une première fois par l'onction de Saül, et une seconde par l'onction de David. Or, nous trouvons tout ce côté de la loi juive remarquablement éclairci dans les Études sur la Bible, de M. Michel

1. Voir Samuel, liv. I, ch. vi. Samuel représente aux Israélites, en termes énergiques, ce que deviendront entre les mains d'un homme les droits royaux réservés jusque-là à leur Dieu. « Si vous rejetez Jéhovah pour ne plus régner sur vous, leur dit-il, un roi prendra vos fils et vos filles, et vos champs, et vos vignobles et vos bons oliviers. Il dîmera ce que vous aurez semé; il dîmera votre menu bétail, et vousmêmes vous serez ses esclaves...» (v. 7-9 et suiv.). Plus tard, après l'élection de Saül, il leur fait des reproches en termes non moins vifs : « Vous m'avez dit : non, nous voulons qu'un roi règne sur nous; quoique Jéhovah votre Élohim fût votre roi... » « Reconnaissez qu'il est grand le mal que vous avez fait aux yeux de Jéhovah de demander un roi.» (Ibid., ch. xi, v. 12-17.)

Nicolas (Premier volume, Ancien Testament). Aussi, bien que notre opinion diffère sur d'autres points de celle de cet auteur, nous n'hésitons pas à lui emprunter ce qu'il dit à ce sujet de plus directement relatif à la question historique que nous nous proposons de traiter.

Il est bien entendu, et il importe de ne pas l'ou

blier, que M. Nicolas expose ici, non ce qui a été réellement, mais ce qui aurait dû être si la loi de Moïse avait été observée. Il ne s'agit ici que de ce qu'on pourrait nommer l'utopie du législateur hébreu.

« Jéhovah1, dit M. Nicolas (p. 171 et suiv., passim), n'est pas seulement le Dieu des Hébreux, il est aussi leur roi... Il a choisi Israël pour son peuple. La maison de Jacob est son royaume; il règnera sur elle à perpétuité.

« C'est Jéhovah lui-même qui veille à l'exécution de la loi et qui en punit directement les violations... La loi s'étend sur les actes et les sentiments qui échappent à la justice humaine; mais ils n'échappent pas à Jéhovah qui s'en est réservé la punition.

« Ce fut une doctrine constante parmi les Hébreux que le bien et le mal reçoivent leur rétribution sur cette terre, par une dispensation particulière de Jéhovah qui a

1. Nous demandons à M. Nicolas la permission d'adopter ici, et dans toute la suite de cette citation, la reproduction exacte du mot

יהוה

toujours les yeux fixés sur la conduite des Israélites. Cette doctrine est la conséquence immédiate de la théocratie mosaïque1.

« L'établissement d'une royauté humaine fut, je ne dis pas la violation la plus radicale du mosaïsme, mais la négation la plus directe du principe qui lui sert de base. Le législateur n'avait pas compté sur cet incident; il n'était pas entré dans son plan qu'il pût y avoir en Israël un autre roi que Jéhovah.

« Aussi cette législation si prévoyante, qui a des règlements pour les plus minces détails de la vie ordinaire, n'a pas une seule prescription relative à cette institution complétement imprévue. Il est question, il est vrai, dans le Deuteronome2, de la possibilité future de l'établisse

1. L'auteur dit ailleurs combien ce mot de théocratie, appliqué à l'ordre de choses institué ou plutôt rêvé par Moïse, le satisfait peu. En effet, si ce mot avait ici son sens ordinaire de gouvernement sacerdotal, il n'impliquerait en aucune manière que les Hébreux aient dù se croire en la présence constante de leur Dicu. C'est parce que ce Dieu était conçu comme un souverain placé en observation au-dessus de son royaume, l'embrassant d'un regard, et surveillant de ce regard auquel rien n'échappait, tous les manquements et toutes les désobéissances, qu'une théodicée toute particulière a pris naissance dans ce peuple et a gagné plus tard ceux à qui le christianisme a inoculé ses idées.

Il nous semble que, lorsqu'il n'existe pas de dénomination pour caractériser une chose, il ne faut pas hésiter à créer cette dénomination. Nous adopterions volontiers, pour caractériser la théocratie juive,

, מלוכה ou מלכות et de אלהים le mot élohimalchie, forme de

royaume ou gouvernement d'un Dieu.

2. M. Nicolas, d'accord en cela avec tous les exégètes, a établi pré

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