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croire au projet dès lors arrêté par le nouveau roi de soustraire son autorité à un contrôle gênant, et de chercher à modifier à son profit l'organisation de la tribu sacerdotale. Voici sur quoi se fonde cette opinion.

Quand David quitta Hébron, ce fut pour transférer le siége de sa royauté en un lieu auquel était attaché un souvenir sacerdotal très-antérieur à Moïse, souvenir qui, habilement exploité par lui, pouvait, avec l'aide de Jéhovah, lui permettre la complète réalisation de toutes ses espérances. Le verset 4 du psaume 110' ne peut guère laisser de doute sur ses intentions à cet égard. Voici ce qu'il lisait à ce sujet dans les anciens récits du temps d'Abraham: A cette époque, il y avait, à quelques lieues au nord d'Hébron, dans un endroit appelé, dès lors, ou peut-être seulement depuis, du nom de Salem 2, très-découpé de ravins et de collines, un personnage mystérieux dont il est dit seulement (Genèse, ch. xiv, v. 18): « Melchisedech (roi de la sagesse), roi de Salem, fit apporter du pain et du vin; il était prêtre

1. David se fait dire dans ce verset: « Jéhovah a juré et ne se repent pas; tu es cohen (prêtre) à jamais, à la manière de Melchisédech. » — Restituée à David, l'argumentation de l'Épître aux Hébreux (ch. vi et vii) est très-propre à nous renseigner exactement sur ses calculs.

2. Il est fort douteux, en effet, que ce soit là le nom primitif de l'emplacement de Jérusalem. Ce mot a pu être intercalé dans une recension postérieure.

du Dieu suprême (7). I bénit Abram, et dit : Qu'Abram soit béni du Dieu suprême, créateur du ciel et de la terre; et que le Dieu suprême soit loué, lui qui a livré tes ennemis entre tes mains.

donna la dime de tout ce qu'il avait pris. »

Abram lui

A quel précédent inexpliqué et inexplicable ceci se rattache-t-il? En vertu de quelle institution, et dans quelles conditions un sacerdoce royal s'exerçait-il alors sur cette terre de Chanaan que Jéhovah avait dit depuis lui appartenir en propre ? Comment ceci peut-il se concilier avec l'idée mosaïque d'un DIEU-ROI? Ces questions que nous pourrions aujourd'hui nous poser, David ne cherchait pas à les trancher sans doute; ou, s'il le faisait, c'était dans un sens d'autant plus contraire aux idées de Moïse, qu'il était plus favorable à ses propres visées. Ce qui lui était affirmé, et ce qu'il lui suffisait de savoir, c'est que le Dieu suprême dont le roi Melchisédech était le prêtre, n'était autre que son Dieu à lui. Rien ne pouvait donc donner une forme plus précise à ses rêves de souveraineté incontestée et absolue qu'un tel précédent. N'y avait-il pas, jusque dans ce détail de dîme perçue par le roi, en sa qualité de prêtre, l'aperçu de tout un système nouveau à substituer aux institutions lévitiques de Moïse? Pour réduire à néant les entraves dont ces institutions, restées presque seules en vigueur, menaçaient l'exercice de sa royauté, David

n'avait qu'à succéder à Melchisédech dans cette double fonction de PRÊTRE et de ROI agréée jadis par Jéhovah, et qu'il espérait bien lui voir agréer encore.

Au moment où l'esprit inventif de David remplissait de ces séduisantes visées les loisirs que lui laissait à Hébron une royauté trop dépourvue à son gré d'intérêt et d'éclat, l'ancien territoire de Salem était occupé par une de ces peuplades indigènes que n'avait pas encore atteintes l'extermination radicale prescrite autrefois par Moïse et Josué. Ce petit groupe isolé portait le nom de Jébus. «Quel misérable tas d'aveugles et de boiteux! » disait David à ses soldats (Samuel, liv. II, ch. v), pensant que le meilleur moyen d'avoir bon marché des Jébuséens était de les supposer incapables de résistance. Mais, en réponse à ce propos, il paraît que les Jébuséens avaient dit: «Tout aveugles et boiteux que nous sommes, tu n'entreras pas chez nous 1. » Contre des gens aussi déterminés à se défendre, il importait donc de combiner une attaque habile; et il n'est pas douteux qu'à défaut des qualités du capitaine David ne possédât toutes celles du tacticien. Le gros des tentes jébuséennes devait occuper le plateau incliné qui se termine brusquement, à l'est et au sud, par ces deux plis profonds que l'on a

1. Ce passage est obscur; nous croyons en avoir rendu le vrai sens. 2. L'emplacement actuel de Jérusalem.

nommés plus tard vallées de Josaphat et de Ghé-Hinom. Au sud-ouest se dressait un monticule assez élevé, domi-, nant le plateau, et séparé de lui par un autre vallon qui devait être en partie comblé plus tard. Prendre d'abord position sur ce monticule (célèbre depuis sous le nom vénéré de Sion), puis de là lancer ses vaillants sur le plateau occupé par les Jébuséens, et, pour mieux exciter l'ardeur des siens, promettre le titre de chef à celui qui arriverait le premier au torrent de Cédron après avoir traversé de l'ouest à l'est tout l'espace intermédiaire, tel fut le plan de David. Le succès en fut sans doute aussi rapide que le récit du narrateur, qui se borne à consacrer deux versets à ce fait capital de l'histoire juive. Des circonstances qui suivirent,- des dispositions prises pour le nouvel établissement,

du transfert

du siége royal d'Hébron à Jérusalem', - il ne nous est

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1. Que ce soit à ce moment ou plus tard que David ait donné à l'antique résidence de Melchisedech le nom de Iérouschalaïm (Jérusalem), le choix caractéristique de ce nom est bien fait pour fixer notre attention, car il se décompose ainsi : Iérouscha, possession, HÉRITAGE, et shalaïm ou salem, dont le sens réel est : complet, assuré, définitif. Il y a même lieu de faire ici une observation qui nous paraît frappante: D'où vient que d'un bout à l'autre de la Bible le nom de la ville sainte est, à de très-rares exceptions près, toujours écrit de cette manière; ? Par respect pour le texte, on conserve cette ponctuation irrégulière dans toutes les éditions modernes ; et d'ailleurs il n'y a aucune apparence que les Massorètes aient vu là un 27 (chétib) à signaler, puisqu'il n'y a nulle part de ♫ (kéri) correspondant. N'est-il pas probable que l'orthographe primitive était, forme régulière en tant qu'expri

pas dit le moindre mot. Pour toute conclusion, l'auteur ajoute (ch. v, v. 9): « David demeura dans la forteresse (la forteresse de Sion; il dut d'abord la faire construire), qu'il appela ville de David; et David la fortifia autour et en dedans de Millo 1. David devenait toujours plus grand, et Jéhovah, le Dieu des armées, était avec lui. »>

Une fois établi sur ce nouveau terrain et bien clos dans sa forteresse, nous voyons que David n'eut longtemps d'autre souci (ch. v) que de faire venir de Tyr « du bois de cèdre, des charpentiers, des tailleurs de pierre, pour embellir son palais » et « d'augmenter le nombre de ses concubines et de ses femmes.» « Il connut que Jehovah l'avait affermi pour roi sur Israël, et qu'il avait élevé son royaume à cause de son peuple d'Israël. >>

Ici se place évidemment une période plus ou moins longue d'enivrement et de jouissance. A l'âge où était alors David, il est rare que l'homme qui tient le plus à la vie ait le loisir et l'occasion de se préoccuper de son peu de durée. Tout entier à ses plaisirs, le voluptueux

mant l'adjonction au nom du pronom possessif de la première personne, figuré par l'affixe pronominal ? Et cette orthographe n'est-elle pas en parfait rapport avec le sentiment tout personnel qui devait diriger David dans le choix du nom qu'il donnait à sa capitale? « Mon héritage assuré » tel est bien le nom qui convient à la résidence de l'héritier de Jéhovah. 1. Millo veut dire le rempli. C'est le vallon comblé plus tard dont nous avons parlé ci-dessus.

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