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risons miraculeuses qui lui étaient dues, et comme s'il eût hésité lui-même à les croire surnaturelles, son premier soin était de recommander le silence à ceux-là mêmes qu'il avait guéris. Peu à peu cependant la foi de Jésus en sa propre puissance s'accrut au point qu'on l'entendit déclarer que, pour accomplir des miracles, il suffisait de ne pas douter de leur production. Aussi, ne tarda-t-on pas à voir se reproduire tous les miracles traditionnels d'Élie et d'Élisée.

Ainsi se réalisait, aux yeux de Jésus, tout ce qui avait été annoncé par les prophètes. Le spectacle même des populations imprévoyantes qui, sans souci du lendemain, s'étaient lancées sur ses pas et l'entouraient exténuées de fatigue et de besoin, lui rappelaient ce tableau prophétique : « Ils sont accablés de maux et couchés çà et là comme des brebis qui n'ont pas de pasteur. » « Alors il dit à ses disciples: La moisson est grande, mais il y a peu d'ouvriers; priez le maître de la moisson qu'il envoie des ouvriers en sa moisson. » (Matth., ch. ix, v. 36-38.)

...

Il crut donc urgent de conférer son pouvoir à ses disciples et de les envoyer au plus tôt annoncer partout la bonne nouvelle. Il en choisit douze, ses plus fidèles, et leur donna ses instructions. Il n'est presque pas une de ces instructions qui ne fournisse un éclaircissement à la question historique que nous nous sommes pro

posé de résoudre; nous ne pouvons mieux faire que d'en citer textuellement quelques-unes.

«< N'allez point vers les Gentils et n'entrez point dans les villes des Samaritains 1, dit Jésus à ses disciples, mais allez plutôt aux brebis perdues de la maison d'Israël; et partout où vous irez, prêchez en disant que le règne du Ciel est proche... Lorsque quelqu'un ne voudra point vous recevoir ni écouter vos paroles, secouez, en sortant de cette maison ou de cette ville, la poussière de vos pieds. Je vous le dis, en vérité, Sodome et Gomorrhe ont été traitées avec moins de rigueur que

1. L'épisode de la Samaritaine rapporté par le quatrième évangile (ch. Iv) contredit ici formellement le récit de Matthieu, et tout nous porte à croire que sur ce point le quatrième évangile est une expression plus exacte de la pensée de Jésus. La population de Samarie, bien que d'origine étrangère, s'était rattachée tant bien que mal au culte de Jéhovah, et, dans tous les cas, son territoire faisait partie de l'héritage de David.

L'épisode de la Samaritaine que nous venons de citer est intéressant à un autre titre, en ce sens qu'il est le seul qui, au travers du langage platonicien de l'auteur, nous laisse entrevoir les idées de Jésus sur le partage d'attributions qui devait avoir lieu entre Jéhovah et lui après la constitution de son royaume. «Nos pères, dit la Samaritaine, ont adoré (πроσεxúνηoαv) sur cette montagne (c'est-à-dire, nos pères ont cru que Jéhovah habitait sur notre montagne et que c'était là par conséquent qu'il fallait lui apporter nos hommages), et vous autres Juifs vous dites que c'est à Jérusalem. Jésus lui dit : Femme, crois-moi, le temps va venir où, ni sur cette montagne ni à Jérusalem, ce ne sera plus le père qui recevra les hommages (οὔτε... προσκυνήσετε τῷ πατρί...); il va venir un temps, et il est déjà venu, où les vrais adorateurs du père ne l'adoreront qu'en esprit, mais aussi en vérité, car ce sont là ceux qu'il aime. >>

ne le sera cette ville au jour du jugement 1. Lors donc qu'ils vous pourchasseront dans une ville, fuyez dans une autre; car, je vous le dis en vérité, vous n'aurez pas achevé toutes les villes d'Israël avant que le Fils de l'homme vienne 2... Ne les craignez donc pas... Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et ne peuvent y éteindre la vie (uxv), mais craignez plutôt celui qui peut détruire (άπоλéσαɩ) la vie (uxv) et le corps dans le feu de Ghé-Hinom (yɛévvŋ ). »

Nous ne penserions pas que ce passage eût besoin de commentaire si, par la plus étrange erreur de traduction, et en fermant obstinément les yeux sur tout

1. Les textes que nous avons empruntés au chapitre xn de Luc, et que nous avons cités dans notre note de la page 268, aident bien à comprendre ces exécutions sommaires et en masse. La colère céleste, en effet, n'aurait qu'à anéantir de fond en comble, et sans autre forme de jugement, les villes dans lesquelles il ne se serait trouvé personne pour prêter l'oreille à la bonne nouvelle, et où, par conséquent il n'y aurait pas même eu un commencement de pénitence.

2. L'événement paraît ici présenté comme beaucoup plus proche qu'au verset 28 du ch. xvi du même évangile, où il est dit que plusieurs auront été atteints par la mort avant le jugement. Ce qui explique cette différence, et ce qu'il ne faut jamais perdre de vue dans la lecture de ces récits écrits beaucoup plus tard, c'est que parmi les paroles de Jésus qui s'étaient transmises jusque-là de bouche en bouche, il n'y en avait que quelques-unes qu'on avait pu conserver intactes; il avait bien fallu introduire dans les autres les modifications nécessitées par les faits patents qui s'étaient produits depuis. Il faut observer que ces instructions données aux disciples semblent toutes s'étendre jusqu'au moment considéré ici comme très-prochain, où Jésus reviendrait en qualité de juge.

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ce qui précède et tout ce qui suit, on n'avait pris l'habitude de fonder sur ce passage unique l'incompréhensible idée que l'on désigne sous le nom de spiritualisme chrétien. Sans s'inquiéter le moins du monde de rattacher cette idée, par une filiation admissible, à un précédent quelconque, on donne tout à coup dans cette phrase, un sens socratique ou platonicien au mot yuxń; on en fait un principe immatériel et impérissable, sans même remarquer que ce dernier sens paraît être contredit par la fin du verset; et c'est par un tel abus de mots qu'on introduit brusquement en Israël la grande idée grecque de l'IMMORTALITÉ DE L'AME, qui n'y avait jamais été seulement aperçue!

En restituant au mot ʊx son vrai sens qui ici est exactement le même que celui de l'hébreu (nėphesh, principe de la vie du corps), il faut tout naturellement, au contraire, traduire ce passage comme nous l'avons fait plus haut. Le meilleur commentaire à lui donner est cet autre passage de Luc (ch. xx, v. 35, 36); qui dit la même chose sous une autre forme : « Ceux qui seront jugés dignes d'avoir part au nouveau siècle et à la résurrection des morts... ne pourront plus mourir. » Ceux-ci en effet - et ceux-ci seulement n'avaient pas de crainte à avoir des pouvoirs humains qui, en donnant à leurs corps une mort apparente, ne pouvaient pas y éteindre le principe de la vie conservé par la grâce

divine; mais le Pouvoir qui était à redouter était Celui qui, en refusant cette grâce, abandonnait le corps à une. mort éternelle. On voit par ces deux passages que Jésus, entièrement exempt de toutes les rancunes de David, et d'accord en cela avec la plupart des prophètes, se bornait le plus souvent à menacer ceux qui ne feraient pas pénitence d'une mort terrible mais suivie d'un complet anéantissement.

Achevons en quelques mots l'examen des instructions données par Jésus à ses disciples.

Revenant encore sur ces bouleversements inévitables qui, d'après les prophètes, devaient précéder la constitution de son royaume, et s'appuyant sur ces mêmes prophètes pour montrer, à regret sans doute, combien en ces temps suprêmes, tous les liens ordinaires, les affections les plus douces et les plus obligatoires, devaient faire place à l'unique préoccupation du salut. personnel, il ajoutait en empruntant un passage entier au prophète Michée : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre, je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu séparer 'l'homme d'avec son père, la fille d'avec sa mère, et la bru d'avec sa belle-mère; et l'homme aura pour ennemis ceux de sa propre maison. Celui qui aime son père et sa mère plus que moi n'est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne

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