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inaugurer son règne. Rien ne l'empêchait de régler d'avance tous les détails de cette imposante solennité où, pour la première fois, il se montrerait entouré de la majesté royale; il savait ce qu'il se proposait de dire alors, et il ne voulut pas le laisser ignorer à ses disciples.

<< Quand le Fils de l'homme, leur dit-il (Matth., ch. xxv, v. 31), viendra dans sa majesté, accompagné de tous les anges, il s'asseyera sur le trône de sa gloire; et, toutes les nations étant assemblées devant lui, il séparera les uns d'avec les autres, comme un berger sépare les brebis d'avec les boucs, et il placera les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. Cela fait, le Roi dira à ceux qui seront à sa droite: Venez les bénis de mon père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire; j'ai eu besoin de logement et vous m'avez logé; j'ai été nu et vous m'avez revêtu; j'ai été malade et vous m'avez visité; j'étais en prison et vous m'êtes venu voir. >>

Voici donc Jésus réalisant lui-même en idée l'ancien proverbe hébreu que déjà nous l'avons vu s'approprier ailleurs (p. 279); mais c'est avec une équitable appréciation du mérite à récompenser et de ses fonctions de rémunérateur qu'il le fait cette fois. auraient eu le mérite de la charité (le jugement était

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Ceux-là seuls

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trop prochain pour qu'il y eût danger à l'annoncer d'avance) qui l'auraient exercée avant de savoir entre les mains de quel débiteur ils avaient fait le placement de leurs aumônes. Et par quoi justifieraient-ils de l'ignorance qui avait fait leur mérite? Par la surprise qu'ils exprimeraient en s'entendant louer de ce qu'ils ne savaient pas avoir fait. En effet, Jésus continuant : « Alors, ajouta-t-il, les justes lui répondront: Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim, et que nous vous avons donné à manger; ou avoir soif et que nous vous avons donné à boire? Quand est-ce que nous vous avons vu sans logement, sans habits... malade ou en prison, et que nous vous avons secouru? Et le Roi leur répondra : Je vous le dis en vérité, autant de fois que vous l'avez fait à l'égard de l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi-même que vous l'avez fait. »

La forme inverse servit à Jésus pour décrire la condamnation et la confusion des méchants; il eut soin de supposer de leur part, jusqu'au jugement prochain, une ignorance sans laquelle le souci de leur intérêt n'eût pas manqué de leur faire voir, dans la charité exercée envers leur juge, le plus sûr de tous les calculs 1.

1. Il n'est pas sans intérêt de rapprocher de ceci un mot dit par Jésus le soir ou le lendemain de ce même jour. Ses disciples ayant blâmé la femme qui avait répandu sur sa tête un parfum de grand prix, et dont, selon eux, on eût mieux fait de distribuer la valeur aux pauvres, il

Tout se précipitait cependant vers le dénoûment prévu; et nous voici amenés en face de l'incident qui paraît y avoir le plus contribué; nous voulons parler de la trahison de Judas. Mais, plus on étudie l'ensemble des circonstances auxquelles se joint cet incident, plus on le voit s'y confondre et s'y effacer.

Avant tout examen spécial de cette question, il y a un point qui ne peut pas ne pas nous paraître formellement établi, c'est que, depuis l'entrée de Jésus à Jérusalem, chacune de ses paroles et chacun de ses actes avaient été de sa part un impatient acheminement à la mort. Lui supposer tout autre but, c'est le réduire aux humbles proportions d'un agitateur vulgaire; c'est en faire un simple prétendant, malavisé et malhabile, à un trône impossible; en un mot, c'est dénaturer entièrement cette grande et touchante figure. Si donc il ne faisait que poursuivre ardemment le dessein hautement annoncé par lui en Galilée d'aller à Jérusalem' pour s'offrir en sacrifice, comment considérer comme une tra

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leur dit : « Vous avez (exere) toujours des pauvres parmi vous et moi vous ne m'avez pas toujours. >> - Dans les traductions ordinaires, on ne manque pas, dans ce cas comme dans beaucoup d'autres, de substituer le futur au présent; on traduit donc » Vous aurez (ekete) toujours des pauvres parmi vous. » En sorte que, au point de vue chrétien actuel, il paraît être interdit par là de chercher à faire disparaître les pauvres d'une société où, étant la représentation de Jésus, ils permettent aux riches de se donner des droits personnels à sa reconnais

sance.

hison tout ce qui était conforme à ce dessein? Disons mieux à une situation absolument inverse de toute situation normale en ce sens que l'intérêt en jeu était ici la mort et non la vie - il faut évidemment appliquer une logique inverse de la logique accoutumée, et considérer comme mérite ou devoir ce qui, en tout autre cas, recevrait les noms contraires.

Présentons cette question dans son ensemble, avant d'aborder le récit final auquel elle se lie, afin de n'être pas arrêté à chaque pas dans ce récit par l'une des discussions qu'elle provoque.

Parmi les figures qui, dans les élucubrations messianiques, formaient pour ainsi dire la mise en scène prévue de la rédemption d'Israël, il y avait une place marquée d'avance pour le traître qui devait livrer le Messie à ses ennemis; et, envisagée au point de vue prophétique, chacune des trahisons qui abondent dans les Écritures fournissait quelque trait à la figure de ce traître. Les trahisons dont se compose la carrière de David étaient naturellement exceptées; mais, par contre, on n'avait qu'à choisir, pour compléter le tableau, parmi les noirceurs que l'imagination du saint roi avait prêtées à ceux qu'il accusait de lui dresser des pièges 1. Les

1. Celle-ci par exemple : « Même l'homme de ma paix, celui en qui je me confiais, celui qui mange mon pain, lèvera le talon contre moi. » (Ps. XLI, v. 10.)

ressources familières à l'interprétation rabbinique pouvaient encore ajouter à tout cela leurs procédés si habiles à forcer le sens des textes. C'est ainsi, par exemple, que, si l'on isolait les versets 12 et 13 du chap. x de Zacharie de tout ce qui est avant et après, et si l'on oubliait que les paroles rapportées par le prophète étaient mises par lui dans la bouche de Jéhovah luimême, on pouvait en inférer que le traître se ferait payer sa trahison trente pièces d'argent, mais qu'ensuite, ému de remords sans doute, il reporterait cet argent au temple.

De quelle complète inutilité était cette trahison, telle qu'elle est racontée dans les Évangiles, c'est ce qui nous sera surabondamment démontré par ce mot de Jésus adressé à ceux qui, sur l'indication de Judas, viendront se saisir de lui : « J'étais tous les jours assis au milieu de vous, et vous ne m'avez point arrêté; mais tout cela s'est fait afin que ce que les prophètes ont écrit fût accompli. »

Nous nous trouvons donc enfermés dans ce dilemme : Ou tout ce qui est raconté par les Évangiles au sujet de

1. « Je leur dis: « Si cela est bon à vos yeux, donnez-moi ma récompense; sinon laissez. Et ils pesèrent ma récompense: trente pièces d'argent.»

<< Jéhovah me dit verse-le au trésor, le prix magnifique que j'ai tiré d'eux. Je pris les trente pièces d'argent, et je les versai dans la maison de Jéhovah au trésor.» (Zacharie, ch. xi, v. 12 et 13.)

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