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sait en ces termes formels l'égalité de tous les circoncis devant le Dieu d'Israël: « Vous êtes placés aujourd'hui tous devant Jéhovah, votre Dieu, les chefs de vos tribus, vos inspecteurs, tout homme d'Israël, vos petits-enfants, vos femmes, même l'étranger qui est au milieu de votre camp, depuis le fendeur de ton bois jusqu'à ton porteur d'eau. » (Deut., liv. XXIX, v. 9, 10.)

Comment l'habitude de la charité fraternelle ne serait-elle pas sympathiquement née du sentiment qui, dans la bouche du grand législateur, avait pris ces accents attendris :

« Si tu prêtes de l'argent à mon peuple, au pauvre qui est avec toi, ne sois pas avec lui comme un créancier; ne lui impose point d'intérêt. Si tu prends en gage le vêtement de ton prochain, dès le soleil couchant il faut le lui rendre; car c'est sa seule couverture; c'estle vêtement pour couvrir son corps. Où coucherait-il?

- Si alors il crie vers moi, je l'entendrais, car je suis miséricordieux. » (Exode, ch. xxii, v. 24 et suiv.) « Vous n'opprimerez point la veuve, ni l'orphelin. Si vous l'opprimez, s'il crie vers moi, j'entendrai bien ses cris. »> (Ibid., v. 20.) « Si ton frère décline et que sa main fléchisse près de toi, soutiens-le. » (Lévit., ch. xxv, v. 35.)

Les nombreux aperçus dont le sujet traité dans notre première partie nous a fourni l'occasion, nous dispensent

d'insister sur le second trait caractéristique par lequel ce peuple tenait surtout à se faire une place à part parmi les autres peuples. Le commandement qui or donnait à l'Israélite d'aimer son prochain comme luimême ne venait qu'après celui-ci : « Écoute, Israël, Jėhovah, notre Dieu, Jéhovah est seul. » Il semblait donc que ce peuple possédait depuis des siècles, et en vertu d'une révélation d'en haut, la notion qui ailleurs avait été le dernier mot des plus hautes spéculations de l'esprit humain abandonné à ses seules forces, à savoir la notion d'un Dieu unique. Mais du plus simple examen résulte ici la distinction la plus radicale. Il faut observer, en effet, que ce qui constituait l'évolution du génie grec qui avait abouti à la proclamation de l'unité en Dieu, ce n'était pas d'avoir adopté un Dieu grec, Jupiter, par exemple, ou tout autre, et d'avoir déclaré que ce Dieu était seul. Bien loin de là, la grandeur de l'idée monothéique était tout entière dans l'admission d'une Puissance universelle, mais inconnue, et dans la substitution de cette Puissance à toutes celles qui, par cela même que les annales des peuples relataient et définissaient leurs interventions, étaient

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rejetées parmi les puériles productions de l'imagination humaine. A quel titre l'histoire d'Israël et de son Dieu aurait-elle donc pu prétendre à représenter l'idée monothéique?

Il est d'autant moins permis de confondre avec le culte de Jéhovah l'idée philosophique exprimée par le monothéisme, que les conséquences logiques de ces deux formes d'adoration sont nécessairement et absolument inverses: tandis que le monothéisme rationnel n'inspire, à l'égard des opinions divergentes, que la plus indulgente commisération et le plus bienveillant respect pour toutes les libres expansions de l'âme humaine, - l'autre n'inspire que l'intolérance et n'engendre que le fanatisme. D'un autre côté, tandis que le monothéisme rationnel est naturellement tenu de consacrer cette liberté absolue de la pensée sans laquelle il ne lui eût pas été donné de faire éclater au sein des intelligences grecques les témoignages de sa vérité, le monothéisme juif est tenu de n'accorder à la pensée d'autre exercice que l'interprétation, plus ou moins réglée d'avance, de sa littérature.

Il semble, cependant,

tant la nature humaine a

de forces pour briser ses plus solides entraves,

que

si ce peuple avait eu le temps de laisser agir les ferments de recomposition qui s'agitaient en lui au moment où nous reprenons son histoire, s'il n'avait dû presque aussitôt après concentrer toute son énergie vitale dans sa résistance à l'action absorbante exercée par Rome, il se serait peut-être lentemént acheminé à une transformation qui depuis n'a jamais trouvé l'occasion

de s'opérer. Et plus tard encore, si la raison et une culture intellectuelle supérieure avaient continué à éclairer le milieu social avec lequel la race juive devait être mise en contact par sa dispersion, peut-être se serait-il produit un rapprochement et finalement une fusion d'idées entre cette race et les autres, en vertu de cette convergence naturelle que l'homogénéité des tendances détermine dans les intelligences humaines parties des points les plus distants.

Mais ces dernières considérations n'appartiennent pas à notre sujet; nous devons nous restreindre à l'examen des données que l'état des esprits présentait en Judée à l'époque que nous abordons ici. Cet état était encore tel qu'assurément une transformation de quelque importance n'aurait pu être rapide. Opérée au cœur même du judaïsme, elle aurait sans doute parcouru d'autres phases et revêtu d'autres caractères que celle qui était déjà presque achevée à Alexandrie, sous l'impulsion d'une influence étrangère bien plus puissante. Quoi qu'il en soit, les germes de quelque évolution imminente devaient être déjà assez apparents, puisque Josèphe a pu appliquer à la population de Jérusalem elle-même une division analogue à celle qui, en Grèce et à Rome, partageait la classe élevée en disciples de Zénon, d'Épicure et de Pythagore.

Était-ce seulement à l'immixtion des idées exté

rieures, à l'extension des relations, à la fréquence des voyages, et à mille autre causes de ce genre qu'était due l'imminence plus ou moins sensible du résultat Nous ne le croyons que nous venons d'indiquer? pas. Car, en quel temps la lecture assidue de la Torah fut-elle plus recommandée et pratiquée en Israël? En quel temps vit-on plus de disciples empressés s'attacher aux pas de quelque maître habile à interpréter les Écritures? Non; c'est en quelque sorte sur place, dans l'intérieur même du cercle mosaïque légèrement élargi par la tradition, que la raison individuelle parvenait avec effort à faire pénétrer quelque lumière.

Pourquoi ces mêmes efforts ont-ils si souvent abouti aux puérilités inqualifiables, aux inepties dogmatiquement énoncées que nous trouvons dans les Agadoth du Talmud? C'est que le peuple juif, politiquement rétabli sur un assez bon pied par les Asmonéens, ne s'est pas trouvé assez longtemps en face des nécessités instructives qui s'attachent à la constitution d'une société autonome. Il a cessé d'exister comme nation au moment même où ses docteurs commençaient à entrevoir le seul élément individuel d'une société durable la responsabilité devant la conscience.

Le livre d'Aboth, fragment de la Mischna, nous a conservé d'excellentes sentences des Rabbi les plus re

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