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en décembre 1842, et tiré à part en 1843. Nous l'avons fait photographier en plus petites dimensions (fig. 2).

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D'autre part on conserve à Gênes l'image du Christ que l'on prétend également avoir été copiée sur celle d'Edesse et rapportée de Constantinople, vers 1362, par Léonard de Montalto qui l'aurait

léguée, en 1384, à l'église de Saint-Barthélémy des Arméniens. Nous la reproduisons (fig. 3), d'a près Garrucci (Ibid. p. 6-7 et Planche 106, 1).

Enfin le couvent de l'Annonciation à Nazareth possède une „Vraie image du Sauveur, Notre Seigneur Jésus-Christ au roi Abgar", que le voyageur russe Abraham Norow fit connaître en 1844. Le Dr Legis Gluckselig, après en avoir fait faire une copie idéalisée, obtint en 1860 du pape Pie IX l'autorisation de publier ce Visage d'Edesse". Le cardinal Antonelli la recommanda même comme Sagra Effigie à la vénération des fidèles. Ce troisième portrait d'Edesse est reproduit en petite dimension dans notre fig. 4.

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Fig. 3.

L'Occident ne resta point sans avoir lui aussi son portrait acheiropoiète. Nous le trouvons entre autres au XIIe siècle, dans un poème allemand, composé vers 1175 par le prêtre Wernher :

Une fidèle disciple du Christ, Véronique, est pénétrée de joie toutes les fois qu'elle voit le visage du Maître. Pour avoir son

portrait, elle apporte un linge à un artiste distingué du nom de Luc 1, avec prière d'y peindre la figure du Seigneur. Luc promet de reproduire le Christ tel qu'il l'a vu le même jour. Son œuvre achevée, il se flatte d'avoir réussi. Mais lorsqu'il se rend avec Véronique auprès du Sauveur, ils voient que son visage est tout différent. Ils s'étonnent, Véronique s'afflige, et Luc lui promet de peindre un autre portrait. Mais ce nouveau portrait ressemble encore moins. Il essaye d'en faire un troisième, toujours en vain. Alors Dieu exauce la prière de la femme, et lorsque le Sauveur les voit, il leur dit: „Toi Luc et la bonne Véronique, vous m'allez au cœur. Mais si je ne viens point en aide, ton art est impuissant. Mon visage n'est connu que là d'où j'ai été envoyé." Puis il dit à Véronique Rentre chez toi et me prépare de quoi manger; aujourd'hui encore je viendrai chez toi." Véronique rentre avec joie, et fait ses préparatifs. Le fils de Dieu arrive, demande de l'eau et se lave. Puis il prend le linge que Véronique lui présente pour s'essuyer. Il le presse contre son visage et y imprime son portrait. Celui-ci me ressemble, dit-il, il t'accordera un grand pouvoir, et sera utile à tous tes amis. Il fera des miracles lorsqu'on ne me verra plus 2. "

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Une variante de ce récit se trouve dans la Légende dorée (Édition Græsse, p. 232-233).

Tibère, étant tombé gravement malade, apprit qu'il y avait à Jérusalem un médecin qui guérissait tous les maux par sa seule parole. Ignorant que Pilate l'avait fait mourir, il envoya Volusianus au gouverneur pour qu'il lui envoyât ce médecin. Pilate, effrayé, demanda quatorze jours de délai. Cependant Volusianus demanda à une femme nommée Véronique qui avait été servante de Jésus, où le Christ Jésus pouvait être trouvé. Elle répondit: „Hélas, c'était mon Seigneur et mon Dieu, celui que Pilate a condamné et fait crucifier". Alors lui, profondément affligé, dit: „Je suis désolé de ne pouvoir accomplir ce que mon maître m'avait ordonné." Véronique Comme mon Seigneur allait prêcher et que j'étais privée de sa présence, j'ai voulu faire peindre son image pour que, en son absence, il me prêtât du moins la consolation de sa figure. Au moment où je portais au peintre une toile de lin, Seigneur me rencontra, et me demanda où j'allais. Quand j'eus avoué l'objet de ma démarche, il me demanda le morceau d'étoffe, et me le rendit empreint de l'image de sa face adorable. Si ton maître regarde avec dévotion cette image, il recouvrera aussitôt la santé..."

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Volusianus alla donc à Rome avec Véronique et dit à l'empereur

Wernher ne dit pas que ce soit l'Évangéliste, il le désigne simplement comme « l'un des maîtres ».

Legis Gluckselig, Studien etc., p. 102. Comp. Livre IV, p. 1018.

Tibère Jésus, que tu veux voir depuis si longtemps, a été injustement mis à mort par Pilate et par les Juifs, et leur haine l'a attaché sur une croix. Il est venu avec moi une femme qui apporte l'image de Jésus même. Si tu la regardes avec dévotion, tu obtiendras bientôt le retour de la santé." César fit couvrir le chemin d'étoffes de soie, et ordonna que l'image lui fût présentée. Dès qu'il eut porté ses regards sur elle, il recouvra la santé.

Plus tard la légende se transforme. Véronique devient une femme pieuse de Jérusalem, qui, touchée de pitié en voyant Jésus gravir le Calvaire, la tête couverte d'épines, le visage couvert de sang et de sueur, détache le linge dont elle est coiffée et l'offre à Jésus pour s'essuyer. Le Seigneur reconnaissant imprime sur ce suaire les traits altérés de son visage et le remet à Véronique.

C'est sous cette dernière forme que la fable de Véronique est devenue populaire.

Le prétendu portrait de Véronique a été lui aussi conservé, et, sous le nom de Volto santo saint Visage", il se trouve parmi les reliques de l'église de Saint-Pierre à Rome, où il fut exposé en 1854.

Garrucci prétend que la peinture en est très décolorée, et que l'on n'y voit qu'une ombre de figure humaine. Il donne néanmoins un dessin de l'image originale de Véronique", et nous la reproduisons, réduite, fig. 5.

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Fig. 5.

Le nom de Véronique" paraît n'être qu'une altération latine du terme hybride vera icon vraie image", donné d'abord au portrait, et qui plus tard seulement servit à désigner une femme 1.

En résumé, les portraits du Christ ne sont pas moins imaginaires que les descriptions de sa personne, et les légendes d'Abgar et de Véronique n'ont d'autre but que de revêtir du sceau de l'authenticité des peintures essentiellement fictives. L'imagination invente le miracle pour légitimer ses propres créations, comme elle a produit ces créations mêmes pour satisfaire le désir de connaître l'inconnaissable, de toucher l'insaisissable, de voir enfin des yeux ce qui restera éternellement soustrait aux regards de l'homme 2.

Alfred Moury. Essai sur les légendes pieuses, p. 210.

2 Comparez les légendes de la statue du Bouddha, Livre IV, p. 1015-1018.

Rien de plus judicieux que la leçon donnée indirectement par Wernher, dans sa légende de Véronique (p. 275). L'artiste le plus distingué fera et refera le portrait du Christ; jamais il ne parviendra à lui donner la ressemblance.

Il en est de même, et à plus forte raison, de ceux qui veulent reproduire l'image morale du Christ. Chaque disciple s'efforce d'atteindre ce beau but, et nul n'y arrive pleinement. D'où pour le chrétien le devoir de ne pas juger ses frères, de ne pas considérer le type du Christ qu'il a pu concevoir, comme le type unique et parfait, et de ne pas accuser d'être en dehors du Christianisme ceux qui ont conçu de leur Maître un type différent.

II.

L'Ascension.

Le mot ascension, „action de s'élever", est d'origine latine et répond au mot grec analèpsis, littéralement „rentrée en possession", sous-entendu „du ciel“, puis „réception" dans le ciel.

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Dans le langage de l'Église on distingue l'Ascension“, sidérée comme un acte volontaire et personnel, de l'Assomption" (metastasis) ou réception (au ciel). Le premier terme s'applique à Jésus-Christ, le second à la Vierge que l'on croit avoir été portée au ciel par les anges.

Comme le temps de son etc.

Le mot analèpsis, étranger au langage de Paul comme il l'est à celui de Jésus, ne se trouve qu'une fois dans le Nouveau Testament. C'est dans le passage Luc 9, 51. ascension approchait, il se mit en chemin," Grâce aux Actes (1, 3), on entend par „Ascension" le retour du Christ au ciel quarante jours après sa résurrection. C'est là une manière de voir complètement étrangère à la primitive Église. Du temps de Paul, on ne considérait pas la résurrection et l'ascension comme deux faits distincts, séparés par un intervalle de temps. L'ascension faisait en quelque sorte partie de la résurrection. Et le Symbole des Apôtres unit encore les deux faits,

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lorsqu'il dit: Le troisième jour, il (Jésus-Christ) est ressuscité des morts, est monté au ciel, siège à la droite de Dieu," etc. (Livre I, page 113).

Le fait même de l'ascension n'est mentionné ni dans les évangiles de Matthieu et de Jean, ni dans les premières éditions de ceux de Marc et de Luc.

Matthieu (28, 20) termine son livre par cette promesse de Jésus: „Voici, je suis toujours avec vous jusqu'à la fin du monde!" Jean qui renferme deux interpolations assez considérables : le récit de la femme adultère (7, 53 à 8, 11) et le chapitre 21 en entier, et qui fait deux fois, à huit jours d'intervalle, apparaître le ressuscité à ses disciples ne parle point de l'ascension.

Marc, dans une édition antérieure, finissait brusquement par le 8e verset du chapitre 16, témoin les codex du Sinaï et du Vatican, qui ne vont pas au delà. Depuis, une main inconnue a complété ce dernier chapitre, en y ajoutant les versets 9 à 20. Et c'est dans cette addition qu'on lit, verset 19: „Le Seigneur, après leur avoir ainsi parlé, fut élevé au ciel, et s'assit à la droite de Dieu." Ces mots fut élevé au ciel" sont aujourd'hui intercalés Luc 24, 51, où le manuscrit du Sinaï porte simplement: „Et il arriva, comme il les bénissait, qu'il disparut devant eux."

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Le monde romain. où régnait l'habitude d'élever les empereurs au rang des dieux (apothéose), en leur assignant une place dans l'Olympe ne pouvait éprouver aucune difficulté à croire que le Christ fût monté au ciel. Cette croyance était alors en parfaite harmonie avec l'image apparente du monde; et lorsque la „fête de l'ascension" fut introduite au IVe siècle (voyez Livre I, page 192), elle ne rencontra aucune objection.

On perdit complètement de vue la déclaration de Paul, que le corps ressuscité n'était plus l'ancien corps, mais un corps „spirituel" (I Corinthiens 15, 42-44).

L'Ascension fut si bien matérialisée que, dès le temps de Constantin, on montrait au sommet du mont des Oliviers les empreintes des pieds de Jésus sur le sol1.

Lorsqu'au VIIe siècle l'évêque Arculphe fit un voyage à Jérusalem, on le conduisit à l'emplacement où se posèrent pour la

1 K. Bædeker, Palestine et Syrie, page 230.

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