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une matière où la difficulté des preuves, la suspicion des témoins, le scandale de la poursuite, semblaient se conjurer pour effrayer le législateur. Que serait devenue la justice, en effet, si l'on avait pu voir, dans des affaires de ce genre, les débats tourner au gré des mobiles passions d'une femme, la voir s'attendrir, avouer ou feindre comme une défaite ce qu'elle avait dénoncé comme un crime, et finalement faire tourner en comédie de boudoir le drame terrible d'une accusation criminelle!

On a donc laissé les honnêtes femmes sous la garde de leur pudeur, et les femmes imprudentes aux hasards de leurs aventures, parce que les unes et les autres savent ce que vaut l'honneur, comment on le perd et comment on le garde.

Mais on a voulu du moins défendre contre la corruption ces âmes et ces corps inachevés que leur innocence et leur faiblesse livreraient sans défense, comme une proie, à ces libertins toujours altérés de fraîcheur et de jeunesse.

La loi pénale a établi la limite d'âge. Mais où fixer cette limite?

De la limite d'âge en matière d'attentat à la pudeur, sous le Code pénal de 1832. Si l'on s'en tient à la nature, si l'on songe à tout ce que contiennent de pureté, d'innocence, de grâce, de touchante faiblesse, ces êtres indécis qu'on appelle des jeunes filles; quand on se laisse aller à ce tendre intérêt dont la jeunesse marche entourée; quand on juge avec un cœur de père, de frère, d'ami, le crime du suborneur qui aura mis à mal une jeune fille, on se demande pourquoi la société, qui maintient le mineur en état de tutelle jusqu'à vingt et un ans, pourquoi le Code pénal lui-même, qui punit l'excitation des mineurs à la débauche, qui punit des travaux forcés à temps le ravisseur d'une jeune fille de moins de seize ans même quand la jeune fille l'a volontairement suivi, et qui le punit encore quoiqu'il ait moins de vingt et un ans, on se demande pourquoi le Code pénal ne porterait pas à seize ans la limite en deçà de laquelle l'attentat à la pudeur, même commis du consentement de la victime, serait toujours punissable.

Ainsi un jeune homme, un enfant de dix-huit ans, aura enlevé une jeune fille de seize ans : il sera condamné à l'emprisonnement; si le ravisseur a plus de vingt et un ans, il ira au bagne. Pourquoi une punition si sévère? Parce que la jeune fille est déshonorée; mais que son ravisseur l'épouse du consentement des parents, il n'y a plus de peine, il n'y a plus de crime. Que veut dire cette loi ? C'est que, jusqu'à seize ans, une jeune fille n'est point en état de se défendre en connaissance de cause contre les attaques d'un séducteur.

Malheureusement, le livre de la nature n'est pas le seul que l'on consulte quand il s'agit de faire une loi pénale: dans la délibération des lois qui touchent aux mœurs, les registres de la police sont compulsés avec une sollicitude trop grande peut-être, et les exemples de dépravation précoce, si nombreux chez les jeunes filles des grandes villes, inspirent au législateur une réserve peut-être poussée trop loin. Des enfants corrompus, dit-on, porteront une accusation d'attentat à la pudeur contre un innocent; plus ces enfants seront âgés, plus ils seront pervers à imaginer les détails d'un crime, habiles à soutenir leur mensonge: plus ils seront jeunes, au contraire, plus leur témoignage devra inspirer de confiance. D'un autre côté, dit-on encore, il ne faut pas que la lo pénale fasse un crime au séducteur d'un acte que le consentement immoral de la jeune fille a ratifié : dès que la jeune fille nous paraîtra en état de comprendre la portée de ce consentement, la loi pénale doit l'abandonner à elle-même: abaissons donc autant que possible l'âge auquel l'attentat à la pudeur sans violence sera punissable.

La conséquence nous effraie, et le motif ne nous semble pas fondé. D'abord il n'est pas de crime, quel qu'il soit, dont on ne puisse accuser un innocent, en se servant, suivant le cas, du faux témoignage d'un enfant. Sans aller plus loin, est-ce qu'en matière de viol on s'est arrêté devant la crainte du faux témoignage?

En vérité, quand on discute certaines lois, il semble qu'il s'agisse de construire une machine aveugle qu'on va planter au milieu de la société, sans frein et sans conducteur, et qui broiera imperturbablement, innocents ou coupables, tous les hommes que les gendarmes viendront lui jeter: c'est ainsi qu'on discute, c'est ainsi que quelques-uns commentent les lois pénales. On dirait qu'il n'y a ni ministère public, ni juge d'instruction, ni tribunaux, ni cours impériales, ni jury, ni Cour de cassation, ni cette publicité judiciaire enfin, garantie et contrôle de la justice et de l'indépendance des magistrats. Ainsi envisagée, on comprend que la loi criminelle devient fort inquiétante, fort dangereuse, et que la constante préoccupation du législateur et du commentateur doit être de la contenir, de la limiter, de la réduire autant que possible. C'est de cette école que sortent les lois à scrupule et à défiance contre le juge, le témoin, la victime; c'est de cette école que sortent les théories décevantes, les définitions irréalisables qui, sans cesse reproduites devant les corps législatifs ou devant les cours d'assises, semblent avoir pour unique but de faire aussi souvent que possible échec à la loi ou à la justice. Quand ce système triomphe, on voit naître des lois comme celle qui nous occupe, et l'on fixe en effet à onze ans la « majorité légale >> de la corruption.

La conséquence, avons-nous dit, nous effraie; nous épouvante, devrions-nous dire. Avait-on bien compris ce qu'on faisait en adoptant une pareille limite? Ces mêmes enfants, que la loi maintient en minorité jusqu'à vingt et un ans, à qui elle interdit le mariage avant quinze ans, dont elle punit le ravisseur tant qu'elles n'ont pas atteint leur majorité, et tout cela parce que la loi s'en reconnaît responsable jusque-là; ces mêmes enfants, au moment où sonnera la première heure de leur onzième année, seront brusquement abandonnées à elles-mêmes. Et si elles sont orphelines, si elles sont mal surveillées, si elles ont, hélas! de mauvais penchants, le premier libertin venu pourra les séduire, et, s'il n'a eu recours ni à la violence, ni à l'excitation à la débauche, il fera impunément sa maîtresse d'une enfant de onze ans : cette enfant de onze ans aura un AMANT!

Et parce qu'une pareille exception n'est pas impossible, on en aura fait la règle de la loi; on aura été chercher dans les dernières boues de l'égout social ce niveau qu'il fallait prendre à la hauteur du front de ces jeunes créatures, parce que là, dans ces frêles intelligences, là seulement est la vraie mesure de leur responsabilité morale.

Au reste est-il besoin d'insister, quand nous voyons la loi, d'un article à l'autre, abandonner son système pour aggraver le viol et l'attentat à la pudeur commis sur une jeune fille âgée de moins de quinze ans? Tous les motifs invoqués pour abaisser l'âge de la victime d'un attentat à la pudeur sans violence s'appliquent avec plus de force à l'attentat avec violence; à treize ans, à quatorze ans, la démoralisation d'une jeune fille est moins inadmissible, plus probable, si l'on veut, qu'à dix ou onze ans; son intelligence peut être plus développée, plus pervertie. Et cependant cette même enfant dont la loi se détourne froidement, comme d'une femme perdue, quand elle vient se plaindre d'avoir été séduite sans avoir résisté; cette enfant, dont la loi ne permet pas même qu'on puisse alléguer l'innocence, va devenir tout à coup une victime touchante, un témoin digne d'une confiance entière, pourvu qu'elle déclare qu'elle a résisté. Si elle dénonce un attentat à la pudeur sans violence, on ne l'écoute pas; si elle dénonce un attentat à la pudeur avec violence, on l'écoute. Le fait principal est pourtant le même, le préjudice social est le même, les traces du crime sont aussi fugitives dans un cas que dans l'autre, et si l'art. 332 est juste lorsqu'il prend pour limite la quinzième année, comment l'art. 331 le serait-il en s'arrêtant à la onzième? On pourrait faire les mêmes observations au sujet de l'excitation à la débauche des mineurs.

On n'a pas tardé à recueillir les fruits de cette déplorable législation. Tandis qu'on voyait, à Paris, défiler sur les bancs de la police correctionnelle des bandes de petits malfaiteurs de dix à quinze ans, avec leurs maîtresses âgées de douze à quatorze ans, les statistiques criminelles ne cessaient de signaler un continuel et formidable accroissement dans le nombre des attentats contre des enfants, et d'attribuer ce résultat à la démoralisation impunément pratiquée envers des enfants dès qu'ils avaient atteint onze ans.

Pouvait-il en être autrement, et peut-on supposer que le vampire qui vient de souiller un enfant de onze ans sans avoir à craindre la justice humaine, hésiterait à la braver pour aller chercher des délices plus raffinées dans l'âge plus tendre d'une victime plus jeune? Et croit-on que, dans un tel milieu, il manquera de trouver des enfants tout préparés, par la contagion du vice ou par d'exécrables pourvoyeurs, à ces plaisirs sans nom?

De la limite d'âge en matière d'attentat à la pudeur dans l'état actuel du Code pénal. - Le Gouvernement s'est ému, et une excellente modification a été introduite dans la loi. « Les attentats de ce genre, >> dit le rapport au Corps législatif, « se multiplient, et leur nombre toujours croissant prouve que la dépravation des mœurs l'emporte sur la réserve que l'enfance doit inspirer et sur le respect qu'elle mérite. Il est juste de protéger les familles contre ce désordre moral. Puisqu'il atteint un si grand nombre d'enfants qui n'ont pas même accompli l'âge de onze ans, combien n'en doit-il pas atteindre qui sortent à peine de cet age? Et cependant qui oserait affirmer que, dès qu'il l'a dépassé, l'enfant est capable de donner un consentement réfléchi? Le plus souvent, même à douze ans, son développement intellectuel ne lui permet pas d'avoir une conscience entière de ses actes, et, si quelques exceptions se rencontraient, quel inconvénient sérieux y aurait-il à le prémunir contre ses propres entraînements et le préserver d'une dégradation précoce ? »

Ce rapport est un admirable résumé des motifs de la loi. Le dernier passage, que nous avons souligné, renverse la dernière objection qu'on aurait pu opposer à la modification proposée.

La commission a conclu, en conséquence, à ce que la limite d'âge fût élevée, non pas seulement jusqu'à douze ans comme le Gouvernement l'avait proposé, mais jusqu'à treize ans, ce qui a été voté sans discussion. Désormais l'attentat, même commis sans violence sur la personne d'un enfant de moins de treize ans, est puni de la réclusion. Il faut se féliciter de cette modification comme d'un grand bienfait. Pour nous, ce n'est même là qu'un premier pas, et nous ne doutons pas de voir plus tard porter la limite jusqu'à seize ans. L'expérience démontrera de plus en plus combien est arbitraire et dangereuse la distinction entre le crime de l'art. 331 et celui de l'art. 332.

Notre espérance est d'autant plus fondée, que le législateur de 1863 ne s'est pas borné au progrès déjà si notable que nous venons de constater. Il a fait plus encore, et dans les dispositions du § 2 de l'art. 331, il a tracé le chemin à de nouveaux progrès, en punissant de la réclusion « l'attentat à la pudeur commis par tout ascendant sur la personne d'un mineur, même âgé de plus de treize ans, mais non émancipé par le mariage. » Ici la loi crée un nouveau délit jusque-là inconnu dans notre système de répression légale : l'attentat à la pudeur sans violence par un ascendant sur un mineur de vingt et un ans. Nous nous bornons ici à signaler cette disposition comme une nouvelle atteinte portée par la loi elle-même au système de la limite d'âge.

Les développements dans lesquels nous venons d'entrer au sujet de l'attentat sans violence nous dispensent de revenir sur les principes généraux en matière d'attentat à la pudeur avec violence. Au sujet de ces attentats, les mêmes raisons que nous avons invoquées nous font penser que la limite d'âge devrait être portée, pour l'aggravation résultant de la violence, à seize ans également : la limite de quinze ans ne nous paraît pas d'accord avec la nature, une jeune fille de seize ans n'ayant guère plus d'expérience, de présence d'esprit et de force qu'une jeune fille de quinze ans.

Dans le système simplifié que nous désirerions voir un jour adopter, tout attentat à la pudeur commis sans violence sur une jeune fille de moins de seize ans serait punissable; la violence, employée pour l'exécution du crime, soit par le coupable, soit par des complices, emporterait une peine plus forte. Au delà de seize ans, on ne punirait plus que les attentats avec violence, sauf le cas prévu par le § 3 de l'art. 331 actuel.

Qu'on nous permette de placer ici une observation à laquelle nous attachons la plus grande importance: c'est qu'il faut se garder, comme de la plus grande des erreurs, d'admettre et surtout d'appliquer cette théorie qui consiste à prendre l'attentat à la pudeur avec violence comme le type de tous les attentats à la pudeur; à imaginer une présomption de violence morale pour en faire un équivalent de la violence physique, et à ramener ainsi l'attentat à la pudeur sans violence, tout obscurci de ces nuages juridiques, sous la définition des éléments de l'attentat avec violence.

Rien n'est plus faux, rien n'est plus dangereux que cette imagination: dangereux, parce qu'il y a là une source intarissable de confusion et d'erreurs pour le juge; faux, parce que c'est le contre-pied exact de la lettre et de l'esprit de la loi. Où a-t-on pris, en effet, cette prétendue violence morale, dans une incrimination dont le point de départ est précisément que la victime consent trop facilement à l'attentat? Mettre là une idée de violence, c'est faire rentrer de force dans la loi ce qu'elle a eu pour but exprès d'en faire sortir, à savoir, toute supposition d'une résistance possible de la victime; résistance, non pas physique, car il y aurait violence, mais pas même intérieure, latente, si l'on veut, car elle serait évidemment manifestée par une résistance extérieure. Ce quela loi établit comme une présomption juris et de jure, c'est que l'idée ne vient même pas à l'enfant de résister, parce qu'il ne sait pas ce qu'on veut lui faire.

Maintenant, cette situation respective de corruption d'une part, d'innocence de l'autre, veut-on l'appeler violence morale? S'il ne s'agit que de donner un nom de convention ou de fantaisie, soit; mais si les mots doivent représenter des choses, non.

Veut-on une preuve pour démontrer que cette prétendue présomption de violence n'a jamais inspiré le législateur? Qu'on lise les §§ 2 et 4 de l'art. 332, qui punissent l'attentat commis avec violence sur des enfants de moins de quinze ans, ce qui comprend les enfants de moins de treize ans. A l'égard de ceux-ci aussi bien que de ceux de quatorze ans, quelle est la violence punie? La violence physique, sans doute, et aucunement la violence morale. Cette violence physique, niera-t-on que ce soit une circonstance aggravante, et non une circonstance constitutive ? C'est une circonstance aggravante, personne ne le contestera, sans doute.

La violence, et la violence physique seulement, est donc une circonstance qui, jointe au crime d'attentat commis sur un enfant de moins de treize ans, vient en aggraver la peine et en changer le nom: quand elle manque, que reste-t-il? Le même crime, moins la circonstance aggravante. Violence physique d'un côté : absence de violence physique de l'autre, mais même définition de la violence dans l'un et dans l'autre cas, sous peine d'être obligé de soutenir que la violence a des caractères entièrement opposés selon qu'on la considère avec ou sans le crime; qu'enfin, « avec violence >> veut dire « avec violence physique » et que « sans violence >> signifie « avec violence morale. >>>

Nous devons reconnaître qu'il existe un arrêt de cassation du 9 mars 1821 qui décide que l'art. 332 ne distingue pas entre la violence morale et la violence physique; que le jury ne doit pas non plus dans sa réponse établir cette distinction, et doit s'expliquer sur la question indéfinie de violence.

Si l'on admet la doctrine de cet arrêt, il faudra l'appliquer à l'art. 331 comme à l'art. 332, où le mot de « violence >> est également employé sans distinction, avec cette seule différence que, dans ce dernier article, il est précédé du mot << avec >> et que dans l'art. 331, il est précédé du mot « sans. »

Si dans ces deux articles, « violence » a le même sens et la même portée, « sans violence » devra signifier « sans violence, soit physique, soit morale. » Ceci nous semble indéniable.

Eh bien! je demande si, étant établi qu'un attentat à la pudeur a été commis sur un enfant de moins de treize ans sans aucune espèce de violence physique,

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