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lisé et qu'on peut lui céder sans conséquence fàcheuse; ils ont de même plus d'agrément près d'une maîtresse dont ils suivent les volontés, que près d'une épouse sur qui ils sentent le besoin de conserver de l'autorité. On verra qu'en Harmonie tout père ou amant peut constamment suivre ce penchant naturel, ce contresens hiérarchique, funeste en Civilisation aux pères et aux amants, dont il sera la sauvegarde quand l'équilibre passionnel sera établi.

Malheureusement pour les pères civilisés ils sont obligés d'intervertir cet ordre pendant la jeunesse d'un enfant ou d'une épouse, afin de les garantir des pièges sociaux. Dans l'Harmonie, où une femme ne peut être dupe d'aucun intrigant, où un enfant abandonné à l'attraction ne se porte qu'au travail productif et aux études avec les groupes de ses semblables, il n'a nul besoin de surveillance ni d'entremise d'une autorité paternelle. Un père, en pareil cas, n'a d'autre tâche que d'admirer et idolâtrer. Alors l'affection familiale s'établit dans l'ordre naturel, qui est l'empire du descendant sur l'ascendant.

L'absence de cet ordre engendre, chez les civilisés, l'indifférence des enfants pour les parents. Un père, après avoir lutté contre les vicieux penchants du fils, la manie de paresse à 10 ans et de dépense à 20 ans, est payé d'ingratitude pour ces services réels qui ont indisposé et attiédi l'enfant. Bientôt le besoin de fortune, auri sacra fames, pousse l'enfant à désirer la mort du père devenu vieux.

Dans cette circonstance, comme dans toute autre, le mécanisme civilisé est une trahison méthodique de la nature, tendant à traverser les jouissances de l'homme et l'armer en tout sens contre lui-même par des spéculations de morale, de prudence, qui, selon les termes philosophi ques, mettent l'homme sage en état de guerre avec lui-même et avec ses passions. On n'aura nul besoin de connaître ce [ ] dans l'Harmonie, où l'essor direct des passions ne pourra nous entraîner que dans les voies du bonheur collectif et individuel, et maintiendra chaque groupe dans l'exercice régulier de ses fonctions et attributions, qui, dans l'ordre civilisé, sont confondues en tout sens et transférées d'un groupe à un autre comme la réprimande qui est fonction du groupe d'amitié, et que la Civilisation transfère au groupe de famillisme.

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Pour débrouiller provisoirement cette confusion, il est à propos jouter un article sur les contrastes de propriétés dans les divers groupes. Je me bornerai à un très petit nombre, le sujet étant peu intelligible tant qu'on ignore le mécanisme des séries passionnelles, avant l'étude duquel il faut préalablement bien connaître les 12 passions radicales.

PUBLICATION

DES

MANUSCRITS DE FOURIER.

COSMOGONIE.

(21 section, 9 mineure.)

SOMMAIRE.

Préambule.

CHAP. I. Du Clavier Polyversel, ou Série des touches d'harmonie générale. CHAP. II. Sur l'harmonie aromale des Astres.

CHAP. III. Du travail des planètes, ou des mobiliers de créations.

CHAP. IV. Des créations faites et à faire sur la planète : - Règne minéral, Règne végétal, Règne animal, Règne aromal.

PREAMBULE.

Parvenu à cette 21° section, je sens la même tentation que Montesquieu à son 24o livre. Il voulait adresser aux muses une invocation: je l'ai lue dans un journal qui s'étonnait avec raison de cette faiblesse. Montesquieu, entre autres doléances, disait aux vierges du Pinde: « Je cours

TOME I.

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» une longue carrière et je suis accablé d'ennuis. » Cependant il avait pour étayer ses travaux et distraire ses ennuis 25,000 fr. de rente, valant plus de 50,000 fr. d'aujourd'hui. Il avait en outre les partisans qui s'attachent à la fortune, au rang, à la renommée, à la faconde oratoire. Peut-on avec tant d'appuis manquer de cœur à l'ouvrage, surtout quand on est sous tous les rapports assuré de la faveur du siècle et qu'on se voit au chemin de l'immortalité?

Ah! Montesquieu! n'insultiez-vous pas les doctes sœurs, quand vous osiez, tout gorgé des faveurs de la fortune, des ressources du génie, demander encore! Les muses pouvaient vous répondre : « Vois ce que >> nous avons fait pour tant de grands hommes depuis Homère jusqu'à >> J.-J. Rousseau. Nous les avons exposés aux assauts de l'indigence, du >> zoïlisme, de la persécution; mais nous leur avons donné le feu sacré >> qui aide à surmonter tous les obstacles, à souffrir mille morts pendant » la vie, pour ne vivre qu'après la mort. Et toi, Montesquieu, favori » de la fortune et des muses, tu n'es pas satisfait! tu demandes en>> core ! >>>

Au lieu de tant de secours qui étaient prodigués à Montesquieu, j'ai à soutenir toutes les disgrâces opposées. Ce serait à moi d'exprimer de l'impatience, d'appeler à mon aide les neuf sœurs, et de leur dire : « Je >> cours une longue carrière et je suis accablé d'ennuis. >> Ce n'est pas par le nombre des tomes à remplir que ma carrière est fatigante: c'est par les recherches qu'elle m'a coûtées, les [ ] qu'elle m'a causés et me causera encore. La fatalité m'a poursuivi chaque fois que j'ai voulu mettre la main à l'ouvrage; toujours des déplacements imprévus et contre-temps bizarres, perte de manuscrits et de notes précieuses dont quelques-unes contenaient des solutions cherchées plusieurs années. Les problèmes de mouvement passionnel semblent des amusettes quand ils sont résolus. Chacun en dit comme des vers de Racine: Je l'aurais fait ainsi, mais la difficulté est de le faire. J'ai cherché onze ans la distribution du clavier général des caractères, et je ne croyais pas qu'on pût la trouver sans l'expérience d'une génération d'Harmonie. J'ai échoué sur le calcul de la diffraction passionnelle, malgré quatorze ans de recherches peu suivies, à la vérité, mais encore fréquentes et entravées à la fin par la perte de la note qui fut égarée dans un déplacement.

Souvent un chapitre qui n'est qu'ébauché (diffraction) m'a coûté des années. Les solutions de problèmes ne se livrent pas à la toise comme les articles de bel-esprit ou les systèmes de politique. En calcul d'attraction on ne tranche pas une difficulté par une décision arbitraire. Le problème de la gravitation passionnelle, en raison directe des masses et inverse des distances, me coùta deux mois d'insomnie, il n'est pas un ouvrage, pas une source où j'aie pu puiser une ombre de renseigne

ment. Montesquieu en trouvait dans mille auteurs qui avaient couru la carrière avant lui; il n'avait que l'embarras du choix, et moi je suis dans la position de Robinson qui, jeté seul dans une île déserte, est obligé de tout fabriquer. Chaque progrès m'obligeait à changer quelques dispositions, à refondre les chapitres et les parties. En pareil cas, un Montesquieu a des scribes à ses ordres, et l'ouvrage avance tandis que l'auteur [compose]. Pour moi, quand je veux accélérer les transcriptions, je souffre d'une foulure du pouce qui m'a plus d'une fois arrêté une quinzaine entière; je n'ai pour tout appui [que moi-même]. J'ai éprouvé des contrariétés sans nombre, j'ai la perspective de travailler pour des zoïles qui, après m'avoir harcelé pendant ma vie, tenteront de me spolier après ma mort, ou bien m'assigneront la fâcheuse récompense d'Homère: des autels dans l'autre monde et point de pain dans celui-ci. Poursuivons malgré tous ces dégoûts; et qu'on ne s'étonne pas si mes apostrophes aux favoris, aux coryphées du siècle se ressentent de l'accueil que le siècle m'a fait.

Nous en sommes à la Cosmogonie, science qui paraît en vogue, surtout en France, où les sciences comme les parures sont des objets de mode. La Cosmogonie maintenant y prend faveur. Souvent on remet en scène les maladies des astres et le chapitre des comètes si faiblement traité en 1841. Tout faiseur de systèmes se croit obligé en conscience de donner une cosmogonie, comme en 1788 une constitution. Notre siècle est accusé d'avoir à lui seul plus de cosmogonies que tous les autres ensemble. On en peut dire autant des traités d'économie politique. Malheureusement, dans l'un et l'autre genre, plus la science est féconde en systèmes, plus elle est stérile en bienfaits. Aussi, voit-on les peuples réduits à vivre d'orties et à émigrer par milliers, même dans le pays de Bade, qui est le mieux cultivé.

La Cosmogonie est du nombre des sciences qui pouvaient découvrir le remède à ces misères croissantes. On la croit bornée à divaguer sur les astres, à s'occuper, comme feu de Lagrange, de la formation des comètes et autres inutilités. Elle a des attributions de toute autre importance, principalement celle de déterminer la destination des astres, et par suite celle de leurs habitants; mais sa tâche primordiale est de remédier aux maladies sidérales qui vicient la température, détruisent les récoltes et appauvrissent rapidement notre globe. La cosmogonie est donc la science médecin de la planète. C'est à elle à délivrer le globe d'une foule de fléaux matériels dont il souffre depuis 5,000 ans : entre autres, de la paralysie des extrémités ou congélation des pôles. Voilà des fonctions dont ne se doutent guère les beaux esprits qui se mêlent de ce genre d'études. Un cosmogone, s'il est versé dans la science, doit se charger d'opérer à jour fixe le dégagement de l'un des pôles sous cinq

ans, et plus tard celui du pôle sud, et de faire croître à cette époque l'oranger au Spitzberg aussi bien qu'à Lisbonne. Quiconque ne souscrirait pas cet engagement est ignorant en cosmogonie (1).

Je ne connais les nombreux systèmes de ce genre que par quelques articles de journaux. Je n'en ai lu qu'un seul très ancien pour notre siècle c'est la plaisante fable de Buffon, qui suppose qu'une impertinente comète vint heurter le soleil et en fit jaillir 32 éclats, d'où se formèrent nos planètes. C'est fabriquer les mondes à coups de hache; il faut que l'âge moderne soit bien indulgent pour les beaux esprits s'il leur passe de pareilles sornettes. Une comète heurter le soleil! elle ne heurterait pas même le plus petit satellite. On en a vu passer une dans les nefs ou le sanctuaire de Jupiter; pour peu qu'elle se fût dirigée à l'encontre du point de passage d'un satellite, Jupiter et le Soleil, par une chiquenaude aromale auraient fait dériver d'orbite la comète. A quoi servirait donc l'harmonie sidérale, si 32 astres pivotés et unitaires ne se soutenaient pas contre un corps incohérent!

On fait de nos jours des cosmogonies et des géologies qui ne sont guère moins invraisemblables que le choc de comète imaginé par Buffon. J'ai lu dans les journaux de 1816 (Biblioth. Britannique) une réfu¬ tation d'un système de M. Cuvier sur la formation des vallées, dont il attribue l'excavation aux courants diluviens: opinion aussi bizarre que celle des sophistes qui supposent que ces mêmes courants ont charrié vers le pôle des ossements d'éléphant ramassés sous la zone torride. Je passerai en revue quelques-unes de ces hypothèses absurdes; elles naissent communément d'une manie qu'ont nos savants de refuser à Dieu un talent égal à celui de nos ouvriers. Je réclamerai souvent pour lui cette légère concession, et pour peu qu'on veuille accorder à Dieu autant d'habileté qu'à nos charpentiers, maçons et forgerons, l'on verra combien il lui a été facile, sans le secours du déluge, de former des vallées par toute la terre, acclimater des éléphants au pôle, etc.

Nous allons traiter d'une cosmogonie plus intéressante, plus étendue que celles qu'on a débitées jusqu'à présent, et plus flatteuse pour l'espèce humaine; elle nous enseignera que les humains titrés de vers de terre, exclus d'initiation aux lois de la nature par la philosophie et la superstition, sont au contraire de hauts et puissants personnages, co-sociétaires de Dieu dans la direction des astres, et investis par lui d'une influence colossale sur ces énormes créatures. La philosophie, pour nous ravaler, se fonde sur notre petitesse corporelle, mais en vertu de la loi du contact des extrêmes, cette exiguïté est le gage de notre haute puissance.

(1) En marge de ces cinq lignes est écrit de la main de Fourier le mot : corriger.

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