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Croyances primitives.

ESSAI

SUR LA PHILOSOPHIE DES CHINOIS,

OU

DOCUMENTS ORIGINAUX SUR LEUR MONOTHEISME PRIMITIF, ET SUR L'EXPLICATION QU'ILS ONT DONNÉE DE L'ORIGINE ET DE - LA FORMATION DE L'UNIVERS.

Les rapports nouveaux qui vont s'établir entre l'Occident et le plus grand empire de l'Orient et du monde, celui de la Chine, rendent nécessaire une connaissance plus profonde et plus authentique des croyances anciennes ou nouvelles des Chinois. Pour le diplomate, pour l'historien, pour le philosophe, pour le théologien ou le missionnaire, il est nécessaire de connaître, d'après les textes authentiques, ce que ce peuple pense de ce monde et de son auteur, de l'homme et de la raison qui le guide. Il faut savoir quel est son dieu, quelle est sa foi, quelles sont ses espérances pour l'autre vie, et sur quoi elles sont fondées. Jusqu'à présent, il n'a presque pas figuré dans l'histoire de la philosophie, et c'est là une lacune que les Annales tiennent à combler.

En voulant parler des croyances chinoises, il est impossible de passer sous silence la célèbre discussion qui eut lieu au siècle dernier entre les PP. jésuites d'une part et les autres missionnaires. Exposer l'histoire de cette controverse, cela ne peut entrer dans notre plan; mais nous devons à nos lecteurs, de leur en donner les points principaux en mettant sous leurs yeux les pièces principales de la dispute. Or, pour cela, nous pouvons dire que nous tenons en main les documents les plus authentiques et les plus importants.

1° Il y a plusieurs années que M. Pauthier, le seul peut-être qui se soit occupé sérieusement de la philosophie des Chinois, découvrit parmi les manuscrits de la Bibliothèque impériale, une Lettre où le savant P. Prémare exposait très au long, texte

en main, la croyance des Chinois, et s'efforçait de prouver qu'ils ont connu le vrai Dieu, et que bien loin d'être un peuple d'athées, ils connaissaient et adoraient le même Dieu que nous. Cette dissertation a été publiée récemment dans la Revue orientale et américaine, qui se fait distinguer par la publication de documents intéressants, ayant pour but de faire connaître les sciences et les croyances des peuples antiques. C'est cette Lettre que nous allons reproduire, mais en y ajoutant les textes originaux fournis par le P. Prémare, et qui, à notre prière, ont été traduits par M. Pauthier, littéralement et mot à mot, de manière que chaque caractère chinois a au-dessous son mot latin correspondant. C'est la seule manière de connaître le sens précis des caractères chinois, sens que l'on a de la peine à retrouver dans les textes traduits librement par la plupart des missionnaires.

Nous ferons suivre cette Lettre de quelques observations qui prouvent que les opinions de ces peuples de l'extrême Orient ne sont pas aussi étrangères qu'on le croirait aux systèmes philosophiques des philosophes occidentaux.

Mais ce ne serait remplir que la moitié de notre tâche, si en faisant connaître les appréciations du P. Prémare nous ne reproduisions pas en même temps les raisons que les Missionnaires qui lui étaient opposés alléguaient en faveur de leur opinion. Or, pour cela, nous avons entre les mains le Traité même que Mgr Maigrot, évêque de Conon, légat du Saint-Siége en Chine, celui-là même qui a porté la sentence qui condamnait, les PP. jésuites avait composé pour éclairer Rome sur cette question. Cette dissertation nous a été communiquée par MM. les directeurs du Séminaire des missions étrangères, qui possèdent tout l'ouvrage, en 4 gros volumes in-4°, dans leur bibliothèque. Cette dissertation, toute en latin, n'a jamais été publiée. Nous la traduirons et la ferons paraître après la Lettre du P. Prémare.

3o Enfin M. Pauthier a bien voulu nous permettre de publier, à la suite de ces deux dernières dissertations, l'extrait qu'il a donné d'un grand ouvrage, où un des plus fameux philosophes chinois expose lui-même, et à sa façon, sa philosophie sur l'origine des choses et sur la première formation du monde.

Après ces trois Dissertations, nous espérons que nos lecteurs seront les premiers et peut-être les seuls en état de se faire une idée claire et distincte de l'esprit philosophique des Chinois, et de les classer, à leur rang dans l'histoire de la philosophie. Comme nous l'avons déjà dit, on verra de nombreux rapprochements avec les systèmes philosophiques de l'Inde et de la Grèce.

Voici d'abord les observations préliminaires de M. Pauthier.

Essai sur le Monɔthéisme des Chinois.

A: B.

Lorsqu'en 1844 nous publiâmes l'Esquisse d'une Histoire de la philosophie chinoise, puisée aux sources originales, nous avions pensé que, pour mieux prouver notre impartialité et notre bonne foi, dans une question aussi grave que celle de savoir si l'idée de Dieu et de l'âme a été connue et admise en Chine dès l'antiquité et avant l'arrivée des missionnaires chrétiens, c'était un devoir pour nous de publier, à la suite de notre propre travail, la Lettre suivante du P. Prémare, restée inédite jusqu'à ce jour, que personne n'avait citée avant nous, et dans laquelle le savant missionnaire a traité la même question, sinon peut-être avec toute l'impartialité désirable, au moins avec une connaissance des textes qu'il est difficile, même aujourd'hui en Europe, de surpasser 1.

Divers motifs, qu'il est inutile de rapporter ici, nous empêchèrent alors de donner suite à ce projet.

Il est vrai qu'aujourd'hui aussi, ces questions, qui passionnèrent si vivement, du temps de Leibnitz, le monde philosophique et le monde religieux, attirent à peine l'attention de quelques esprits d'élite. Ces peuples, que nous traitons tous les jours de barbares, et qui étaient déjà parvenus à une civilisation très-avancée bien des siècles avant l'époque où nos ancêtres vivaient encore dans les forêts de la Gaule et de la Germanie, ne nous inspirent maintenant qu'un profond

1 Le P. Prémare avait acquis une connaissance approfondie de la langue chinoise. Un de ses ouvrages, publié en 1831 à Malakka, un siècle après sa mort, sous le titre de Notitia linguæ sinicæ, 1 vol. in-4°, en est la meilleure preuve. Ce grand ouvrage grammatical a été traduit depuis en anglais par M. J. G. Bridgman, et publié à Canton en 1847, 1 vol. in-8°.

dédain! On entend tous les jours ces civilisés d'hier, vanter leur sagesse profonde, leurs lumières supérieures, et manifester pour tout ce qui les a précédés, le plus souverain mépris. On dirait que notre planète a attendu leur arrivée pour circuler dans l'espace, et le soleil pour éclairer le monde !

Le Journal asiatique a publié, dans les numéros de févriermai 1859, un mémoire très-remarquable de M. Renan sur « La tendance au monothéisme des peuples sémitiques. » Ce mémoire a soulevé au sein de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dont M. Renan fait partie, de nombreuses objections plus ou moins fondées. En ce qui concerne la Chine, nous pensons qu'après avoir lu la lettre du P. Prémare, le savant auteur de l'Histoire générale des langues sémitiques ne soutiendra plus que le monothéisme « a été inoculé aux Chinois » par des Juifs ou des chrétiens 1». Il est vrai que les preuves nombreuses apportées par le P. Prémare en faveur du Monothéisme des Chinois ont été contestées indirectement par d'autres missionnaires2; mais à plus d'un siècle d'intervalle, le mis

1

« Aucune partie du monde n'a cessé d'être païenne que quand une de ces trois religions, le judaïsme, le christianisme et l'islamisme, y a été portée, et de nos jours encore, la Chine et l'Afrique arrivent au monothéisme, non par le progrès de la raison, mais par l'action des missionnaires chrétiens et musul

mans.

Le contre-coup est toujours inférieur à la cause qui le produit, et si le monothéisme n'avait été inoculé à l'Arabie que par le contact des juifs ou des chrétiens, comme cela, par exemple, a lieu de nos jours pour la Chine, il y serait timide, indécis, mêlé de restes des anciennes superstitions.» (Journal asiatique, février-mars 1859, p. 215 et 250.)

2 Voir entre autres écrits le Traité du P. Longobardi, jésuite sicilien, imprimé en espagnol dans l'ouvrage du P. Navarrete, intitulé: Tratados historicos, politicos, ethicos y religiosos de la monarchia de China, etc., por el P. Maestro fr. Domingo Fernandez Navarrete. Madrid, en la Imprenta real, 1676, p. 246 et suiv.

Ce même traité du P. Longobardi a été traduit en français par le P. de Cicé, dominicain, et publié sous ce titre : Traité sur quelques points de la religion des Chinois, par le P. Longobardi. Paris, 1701. Cette même traduction française a été réimprimée dans les œuvres de Leibnitz (t. iv, p. 170 et suiv., édit. de Genève, 1768, 6 vol. in-4), avec des annotations nombreuses de ce grand esprit auquel rien dans la connaissance humaine ne restait étranger.

Nous possédons une Traduction portugaise manuscrite de ce même traité, réuni à plusieurs autres, également manuscrits, faisant partie de la fameuse controverse des jésuites et des dominicains sur la croyance des Chinois et sur

sionnaire catholique français a trouvé des auxiliaires importants de ses opinions dans la personne de deux missionnaires protestants anglais, qui les ont professées en Chine, à propos d'une nouvelle traduction chinoise de la Bible faite et publiée par eux. Ces deux missionnaires protestants, M. W. H. Medhurst1 et le Rév. James Legge 2, soutiennent la même thèse que le P. Prémare, sans avoir eu connaissance de ses arguments et de ses preuves à l'appui, et ils produisent souvent les mêmes autorités. Cet accord du missionnaire catholique avec les deux missionnaires protestants sur la croyance des anciens Chinois, donne aux opinions du premier une valeur dont il est difficile de ne pas tenir compte.

Nous devons ajouter, toutefois, qu'à notre avis, ce serait une grande erreur de croire que les Chinois ont eu, sur les grandes. questions qui ont toujours occupé l'esprit humain, du jour où il a commencé à réfléchir sur sa destinée, les mêmes idées que le christianisme du 18e ou 19e siècle. Une traduction fidèle et intégrale des monuments philosophiques et religieux, anciens et modernes, des Chinois, pourra seule faire connaître entièrement la vérité à cet égard; ou, du moins, en approcher le plus possible. Jusque-là, on trouvera facilement dans les monuments en question, et dans les commentateurs des différentes sectes et des différents âges, des textes isolés pour soutenir les opinions mêmes les plus opposées.

G. PAUTHIER.

leurs cérémonies religieuses. Comme dans toutes les questions de cette nature, chaque opinion ne manque pas de trouver et de produire une foule d'autorités qui la justifient.

A dissertation on the theology of the Chinese, by W. H. Medhurst. Shanghae, 1847 (278 pages in-8°).

2 The Notions of the Chinese concerning God and Spirits, by the Rev. James Legge. Hong-kong, 1852 (116 pages in-8°).

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