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245

DE PHILOSOPHIE

CHRÉTIENNE.

Numéro 16. Avril 1861.

Histoire ecclésiastique.

DIVERSES PIÈCES OFFICIELLES

RELATIVES AU RETOUR DES BULGARES DANS LE SEIN DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE.

Dieu qui veille toujours sur son Eglise a soin, quand elle souffre persécution, de lui envoyer des consolations inattendues qui soutiennent ses espérances et sa fot. C'est ce qu'il vient de faire en faisant rentrer dans l'unité une partie considérable de l'Eglise grecque schismatique, c'est-à-dire la nation bulgare. On lira avec intérêt les principales pièces de cette réunion.

Voici d'abord une notice préliminaire que nous empruntons à la Revue de Louvain.

DU RETOUR DES BULGARES A L'EGLISE CATHOLIQUE.

Comme le retour des Bulgares à l'unité catholique est un des événements les plus mémorables de notre époque, nous voulons présenter à nos lecteurs un petit aperçu historique de ce mouvement providentiel.

Tandis que la Révolution s'efforce en Italie de renverser le trône pontifical, il se fait en Orient un grand mouvement de retour vers l'Eglise catholique. La rentrée de la nation bulgare dans le sein de l'Eglise catholique, que la Russie a depuis longtemps redoutée, contrecarrée et arrêtée, est aujourd'hui un fait accompli.

Les Bulgares, qui depuis l'an 679 de l'ère chrétienne conquirent le pays qui s'étend du Dniester au Danube et du Danube au Balkan, apprirent d'abord à connaître le christianisme par des prisonniers grecs; le prince des Bulgares, Bogaris, se V SÉRIE. TOME III. · No 16; 1861. (62o vol. de la coll.} 16

fit baptiser avec un grand nombre de ses sujets, en 863. Le célèbre apôtre des Slaves, Méthodius, continua l'œuvre de leur conversion avec le plus grand succès. Mais la Bulgarie fut bientôt enveloppée dans le schisme du patriarche de Constantinople, Photius; des faux docteurs partis de plusieurs contrées y vinrent semer et implanter le désordre. Alors Bogaris se tourna, en 865, vers le pape Nicolas I, et le pria de lui envoyer des évêques et des prêtres. Le pape lui envoya deux évêques, Paul et Formose, avec une réponse aux différentes questions et demandes faites par le prince. C'est ainsi que des prètres latins entrèrent dans le pays et achevèrent en peu d'années la conversion de tout le peuple. C'était une épine dans l'œil des Grecs. Photius réclama la soumission de l'Eglise bulgare à son patriarcat et fut soutenu dans ses prétentions par la cour de Byzance. Depuis cette époque, tous les efforts des papes pour faire disparaître les divisions furent stériles, les prêtres latins furent chassés du pays, et l'Eglise bulgare fut entraînée de force dans le schisme grec.

Toutefois les vœux et les tendances pour être de nouveau réunis à l'Eglise catholique ne cessèrent point parmi les Bulgares. Les efforts réunis des Grecs et surtout des empereurs de Russie avaient empêché jusqu'ici par toutes sortes de moyens l'explosion du mouvement. Dans les dernières années, ce mouvement s'accrut, et on entama des négociations avec Rome. Les Bulgares souhaitaient de rentrer dans le sein de l'Eglise romaine; ils demandaient seulement de pouvoir conserver leur ancienne liturgie et leurs rites, tels qu'ils les avaient reçus de leurs pères sous les Pontifes romains. A la fin de décembre dernier, une députation de délégués des différentes provinces bulgares se rendit avec une adresse auprès du patriarche latin de Constantinople et du patriarche arménien.

Voici d'abord le texte de cette adresse, signée par plus de 2,000 Bulgares, leur clergé en tête.

23 septembre 1860.

« Le monde chrétien se souvient que la nation Bulgare a commencé par recevoir des saints apôtres Cyrille et Méthode une hiérarchie canonique nationale distincte, unie par des liens d'obéissance fidèle à la sainte Église universelle.

de Rome... Des circonstances malheureuses ont permis aux patriarches grecs de Constantinople, par des moyens criminels, de déposséder la nation Bulgare de cette institution canonique, et, en la privant de ses droits, de la soumettre à son autorité. La nation Bulgare a plus d'une fois protesté, mais vainement.

» La génération actuelle, confessant la même foi et toujours attachée à ses droits imprescriptibles, encouragée d'ailleurs par les Hatti - houmayoum qui assurent à chacun des sujets de Sa Majesté Impériale le Sultan le respect de ses convictions religieuses, proteste de nouveau contre la violence qu'elle a subie pendant des siècles, violence qui met en péril ses mœurs mêmes, lui interdit tout développement intellectuel et la livre sans défense aux persécutions et aux abus d'un haut clergé étranger et anti-chrétien. Pour juger ce que sont les évêques grecs auxquels on nous livre, il suffit de rappeler que plusieurs sont en ce moment traduits devant les tribunaux pour crimes, tels que viol et infanticide!

» Brûlant du désir de conserver cette foi pure comme elle l'a reçue des apôtres, la nation Bulgare a résolu de rompre les liens qui l'unissent au patriarcat anti-chrétien de Constantinople, et entend replacer la sainte Église Bulgare de Constantinople, sa vraie mère spirituelle, sous l'autorité et la protection de la sainte Église romaine.

» A cette fin, nous soussignés, chargés par la nation Bulgare de renouer ses liens avec la sainte Église de Rome, par l'entremise du saint et vénéré successeur de saint Pierre, chef suprême de l'Église chrétienne, déclarons solennellement que nous reconnaissons pour saints les dogmes de l'Église de Rome, et que nous promettons une pleine et sincère fidélité à Sa Sainteté le Pape Pie IX, à ses successeurs et à ses délégués apostoliques.

» La nation Bulgare, s'appuyant des décrets de la sainte Église de Rome pour la conservation des rites des Églises orientales, est persuadée que ses rites et sa liturgie resteront intacts, comme il fut décidé au concile de Florence, en ce qui touche les rites des Églises orientales. Par conséquent, nous soussignés, prions humblement Sa Sainteté Pie IX, qu'en recevant dans le sein de l'Église universelle et catholique notre Église Bulgare, elle daigne reconnaître notre hiérarchie distincte et nationale pour canonique.

>> Enfin, nous prions humblement Sa Sainteté de daigner inviter S. M. l'Empereur des Français, comme fils ainé de l'Église, à intervenir auprès de S. M. le Sultan pour que notre hiérarchie soit par lui reconnue conime indépendante, et qu'il nous protége contre toute intrigue, tant de la part des Grecs, que de toute autre part. Et nous prions aussi le gouvernement français de daigner nous accorder sa protection, comme il la donne aux autres nations de l'empire ottoman, qui reconnaissent l'Église de Rome. »

(Suivent les signatures.)

Cette pièce fut adressée à l'archevêque primat catholique de Constantinople, Mgr Hassun, par le clergé et les délégués des Bulgares-unis avec la lettre suivante:

« Excellence,

Constantinople, le 23 novembre 1860.

› L'Église romaine a eu de tout temps une sollicitude paternelle pour les chré

tiens d'Orient et pour la conservation de leurs cérémonies religieuses, de leurs coutumes et autres institutions adoptées de temps immémorial et conservées jusqu'à nos jours. A cet effet, nous avons l'assurance qu'en faisant l'union avec la sainte Eglise romaine, conformément aux décisions du Concile œcuménique de Florence, notre liturgie, nos rites, nos cérémonies et coutumes religieuses institués par les Saints Pères, et conservés religieusement, ne seront nullement modifiés, mais que, bien au contraire, ils seront respectés, et que notre hiérarchie nationale et notre clergé national seuls nous administreront. De cette manière, tous nos compatriotes seront tranquillisés sur les mauvaises suggestions qu'on ne cesse de faire à cette occasion.

» Nous demandons votre sainte bénédiction et nous sommes.

>> Vos enfants spirituels. »

Mgr Hassun s'empressa de leur répondre la lettre sui

vante:

« Nous Antoine Hassun, archevêque primat de Constantinople, assistant au trône pontifical, etc., aux très-révérends archimandrites Macarios et Joseph, et au respectable clergé et peuple Bulgare-uni à Constantinople.

>> Très-Chers fils en Jésus-Christ, salut et bénédiction.

» C'est avec une vive satisfaction que nous nous empressons de répondre à la lettre que vous avez bien voulu nous adresser en date d'hier, au sujet de l'union que vous venez de faire avec l'Église romaine, conformément aux décisions du Concile œcuménique de Florence.

>> Cette union n'étant qu'un retour à l'Église-mère (dont vous avez reçu dès le commencement votre hiérarchie), votre liturgie, vos rites, vos cérémonies et coutumes religieuses, institués par les Saints Pères et conservés religieusement jusqu'à nos jours, non seulement ne seront pas changés, mais ils seront respectés et recevront une nouvelle consécration, ainsi que le proclame solennellement le Souverain-Pontife actuel, S. S. le Pape Pie IX, dans son encyclique du 6 janvier 1848 adressée aux Orientaux.

conformément à la » Nous nous empressons de vous assurer également que, même encyclique, votre clergé, avec sa hiérarchie nationale, sera respecté et confirmé dans ses honneurs et ses dignités; en conséquence, le clergé et la hiérarchie qui devront vous gouverner, seront votre clergé et votre hiérarchie nationale, sous l'égide de la suprématie des Souverains Pontifes, qui ont tant aimé votre Église et votre nation, si florissantes dans les anciens temps, avec ses rites et sa langue.

>> Chers enfants de Notre-Seigneur Jésus-Christ, soyez donc entièrement rassurés à cet égard, ne prêtez aucune foi aux suggestions de ceux qui, comme écrit saint Paul aux Philippiens, « cherchent leurs propres intérêts et non ceux de Jésus-Christ' », et continuez à rester fidèles sujets de notre auguste souverain S. M. I. le Sultan, qui, outre tant de grâces, a si généreusement accordé à ses sujets la liberté du culte dans tout son empire. Vous devez, comme nous tous, reconnaître le prix d'une si grande faveur, et plus que jamais servir loyalement 'Aux Philipp., 11, 21.

son gouvernement impérial, conformément aussi aux saintes paroles de notre Sauveur, qui a dit dans le saint Évangile : « Reddité ergo quæ sunt Cæsaris Cæ» sari, et quæ sunt Dei Deo 1; - donnez donc à César ce qui appartient à César, » et à Dieu ce qui appartient à Dieu. » Rappelez-vous que, suivant ce même précepte divin, saint Pierre, le prince des apôtres, prescrit aux fidèles, surtout dans sa première lettre : « Respectez-vous tous, aimez la fraternité, craignez Dieu, honorez le roi 2. »

"

» Sur ce, nous vous accordons la sainte bénédiction, et nous prions le bon Dieu de vous combler de toutes ses faveurs.

⚫ Donné en notre résidence, à Constantinople, le 24 novembre 1860.

» A. HASSUN. »

Le 30 décembre 1860, dimanche matin, avant la grand' messe, deux archimandrites bulgares, trois prêtres et une vingtaine d'esnafs ou chefs de corporation, munis de deux -mille signatures, et suivis des principaux membres de chaque corporation, sont arrivés à l'archevêché latin, au nombre d'environ deux cents. Ils ont été reçus par l'archevêque, Mgr Brunoni, et par Mgr Hassun, archevêque primat des Arméniens catholiques.

Mgr Brunoni leur a demandé ce qu'ils voulaient. Un des chefs, nommé Manoli Ivanoff, qui avait été choisi pour porter la parole, a répondu qu'ils étaient venus pour demander l'union avec l'Eglise romaine. Sur quoi Mgr Brunoni a répliqué: « Croyez-vous au dogme de l'Eglise romaine, la seule vraie?» Nous croyons au dogme, mais nous voulons conserver notre >> liturgie. - Etes-vous prêts à signer un tel acte de foi? » Nous sommes prêts, et nous vous prions, Monseigneur, de » vouloir bien présenter notre demande au Saint-Père. » -Làdessus les Bulgares ont signé, leur clergé en tête.

Après la signature, l'archimandrite Macarios a prononcé en langue bulgare un discours plein de chaleur. Citant l'histoire, il a rappelé qu'autrefois les Bulgares étaient catholiques, et qu'ils remplissaient un devoir sacré en adoptant leur ancienne croyance. «Mais en changeant d'Eglise, a-t-il ajouté, il ne faut » pas oublier que nous restons fidèles sujets du sultan, et que » nous devons aimer un souverain qui nous accorde la liberté » de conscience. » A ces paroles les Bulgares ont répondu par le cri de Vive Abd-ul-Medjid!

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1 Math., XXII, 21.

2 Epist. II, 17.

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