m'en peussent aucunement guérir. . . . .ellement qu'il ne me demeuroit d'autre soulas et confort, sinon de me tromper moy-mesme en m'oubliant.» (1). Mais ce « soulas et ce confort,» s'il faut l'en croire, lui arrivèrent par une conversion subite. On a le droit de demander à ce nouveau converti, si c'est par une illumination divine qu'il suit une prévoyance mondaine, en ne renvoyant pas à son évêque ses lettres cléricales, sa prébende de la Gesine et sa cure de Pont-l'Évêque. Nature timide et pusillanime, c'est lui-même qui l'avoue, il a peur de la misère et il se précautionne contre l'avenir, comme si Dieu ne devait pas y pourvoir. Calvin prêchait sa doctrine dans Paris et dans les villages voisins; il y faisait des prosélytes, et le succès de sa prédication l'étonnait tout le premier. « J'estoy tout esbahi, écrivait-il, que devant que l'an passast, tous ceux qui avoyent quelque désir de la pure doctrine se rangeoient à moy pour apprendre, combien que je ne fisse quasi que commencer moy-mesme. De mon costé, d'autant qu'estant d'une nature un peu sauvage et honteuse, j'ai toujours aimé recoy et tranquillité, je commençai à chercher quelque cachette et moyen de me retirer des gens; mais tant s'en faut que j'en vinsse à bout de mon désir, qu'au contraire toutes retraites et lieux à l'escart m'estoyent comme escholes publiques. Brief, cependant que j'avois toujours à but de vivre en privé, sans estre cognu, Dieu m'a tellement proumené et fait tournoyer par divers changements que toutesfois il ne m'a jamais laissé de repos en lieu quelconque, jusqu'à ce que maugré mon naturel, il m'a produit en lumière et fait venir en jeu, comme on dit.>> (1) Réponse de Calvin a la lettre DU CARDINAL SADOlet aux Génevois, A Paris, c'était ordinairement dans la boutique d'un marchand, nommé Étienne de la Forge, ardent luthérien, que les religionnaires se réunissaient le soir pour entendre prêcher Calvin, dont les sermons se terminaient toujours par cette formule: Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ? <«< Il prêchait aux jeunes gens, dit Audin (1), le mépris de la confession, l'inutilité des œuvres, le danger des pèlerinages; et livrait à ses moqueries les moines, les couvents, les prêtres catholiques. Il déclamait contre le luxe des évêques, les richesses des églises, l'ignorance du sacerdoce. Il flétrissait le faste des successeurs de Léon X, les profusions des indulgences et les redevances de la cour de France envers la papauté. Il annonçait une parole qui devait, disait-il, changer le monde, moraliser la société, détruire la superstition, et faire luire la lumière.» Les néophytes, exaltés par ces prédications clandestines, se croyaient inspirés de Dieu, bravaient les poursuites de la justice et couraient au martyre. Calvin essaya de protester contre les supplices des nouveaux sectaires, par la publication de son commentaire latin du traité de Sénèque sur la Clémence. Cette œuvre, où les citations abondent, n'est pas indigne d'un lettré de XVIe siècle, quoiqu'il ait confondu les deux Sénèques, le rhéteur et le philosophe. Le jeune auteur fixa sur lui l'attention des savants et des humanistes; mais son commentaire n'eut aucun retentissement dans le public. « Voilà mes livres, écrivait-il à ses amis, voilà mes livres de Sénèque sur la Clémence, imprimés à mes dépens et par mes soins! Il faut les vendre maintenant et attraper l'argent qu'ils m'ont coûté.» Les éloges qu'il reçut de plusieurs lettrés auxquels il envoya (1) Audin, HIST. DE CALVIN. son ouvrage, les félicitations de Bucer, de Capiton et d'Ecolampade durent le consoler de l'indifférence de la foule. En 4534, le 44 février, Calvin donna procuration à son frère Charles, de vendre la part qui lui revenait dans l'héritage paternel, et quelque temps après il résigna sa prébende de la chapelle de la Gésine à Antoine de la Marlière, moyennant un prix convenu, mediante pretio conventionis, dit l'acte de cession, et sa cure de Pont-l'Évêque à Dubois, Bosio. On le voit, l'apôtre se souvient qu'il est fils de procureur, il vend ses bénéfices et soigne ses intérêts en homme d'affaires. Est-ce par l'inspiration du Saint-Esprit qu'il pratique la simonie? Nanti désormais d'un capital qui le met à l'abri du besoin, Calvin peut faire la guerre à l'Église, mordre la main. qui l'a nourri; car il ne craint plus qu'elle lui coupe les vivres. Cependant, soit par prudence, ou bien à cause de cette pusillanimité dont il s'accuse, quand il frappe, il a soin de cacher le bras qui donne les coups. C'est ainsi que le recteur de la Sorbonne, Nicolas Cop, un partisan de sa doctrine, devant prononcer son discours ordinaire le jour de la Toussaint, Calvin lui en composa un dont les propositions hérétiques étonnèrent les assistants. « Il lui bastit, dit Bèze, une oraison tout autre que la coustume n'estoit.» Deux cordeliers qui avaient entendu le recteur, le dénoncèrent au parlement. Nicolas fort embarrassé eut de nouveau recours à Calvin, qui lui fit un autre discours qu'il prononça devant l'université. Le recteur y désavoua formellement toutes les propositions déférées à la justice, sauf une seule, la justification sans les œuvres. Les vieux sorbonnistes frémissaient d'indignation sur leur banc, et l'infortuné Cop, banni de toute l'assemblée, n'eût pas manqué d'être conduit en prison, s'il n'eût pris la fuite au plus vite. Pendant que le recteur se sauvait à Bâle, pays natal de son père Guillaume Cop, homme de mérite, qui avait été médecin du roi de France, le lieutenant Morin, ayant découvert ses relations avec Calvin, les conférences secrètes qu'ils avaient ensemble, les excursions nocturnes de ce dernier, de maison en maison, pour dogmatiser et accroître le nombre de ses prosélytes, alla cerner avec ses archers le collége du cardinal Lemoine, où demeurait le réformateur. Mais lorsqu'il pénétra dans sa chambre pour le prendre au gîte, Calvin avait disparu. Au moyen de ses draps de lit il était descendu par la fenêtre dans la rue, et s'était sauvé dans le logis d'un vigneron du faubourg Saint-Victor. Ensuite, ayant changé d'habit, revêtu la jupe de son hôte, mis sur ses épaules une besace de toile blanche et une herse, il avait pris le chemin de Noyon. Le lieutenant Morin s'empara de tous ses papiers, de sa correspondance avec ceux qu'il avait convertis à Bourges et à Orléans; ce qui mit bien des gens dans la peine (1). De Noyon, Calvin alla à Nérac, où il trouva un refuge auprès de la reine de Navarre, qui le prit sous sa protection et fut assez heureuse pour le réconcilier avec la cour et l'université. Pendant son séjour chez Marguerite, Calvin répandit sa doctrine en Saintonge et fit de nombreux prosélytes parmi les ouvriers. C'est dans une de ses courses qu'il se lia à Chaix avec le chanoine du Tillet qui en était curé. Il commença dans la maison de ce chanoine, frère du célèbre Jean du Tillet, greffier au parlement de Paris, son Institution chrétienne, le plus sérieux de tous ses ouvrages. Le temps qu'il ne consacrait pas à cette composition, il l'employait à prêcher dans les villes voisines, principalement à Angoulême, qui était comme le foyer de sa propagande. Pendant ce temps-là il (1) Maimbourg, HIST. DU CALVINISME, p. 52. vivait des deniers de cette Église catholique qu'il avait reniée, qu'il insultait en la traitant de « marâtre et de prostituée, » et des bienfaits d'une reine galante, dont il vantait les mœurs et la piété. Ses écrits et ses prédications lui attiraient un grand nombre de disciples, qui singeaient leur maître dans leur démarche et leur maintien. Ils avaient l'air austère, l'œil baissé, les joues pâles et creuses. Ils allaient peu dans le monde, évitaient la conversation des femmes, la cour et les spectacles. Ils faisaient de la Bible leur lecture habituelle, le sujet de leurs études et de leurs méditations. Ils voulaient, disaient-ils, suivre dans leur vie, les préceptes de l'Évangile, et comme le Christ, ils parlaient en paraboles. On les surnommait les chrétiens de la primitive Église. Tous prétendaient adorer Dieu en esprit et en vérité; mais loin de conserver l'unité de foi des premiers chrétiens, chacun avait son symbole. L'un croyait au sommeil des âmes après cette vie jusqu'au jugement dernier ; l'autre à la nécessité d'un second baptême. Celui-ci était luthérien, et admettait la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, celui-là Zwinglien, et la rejetait. Il y avait des défenseurs du libre arbitre, et des apôtres du serf-arbitre et du fatalisme; des partisans d'une hiérarchie ecclésiastique, à l'exemple de Mélanchthon, des ennemis de cette hiérarchie, qui soutenaient comme Carlostadt, que tout chrétien est prêtre; des réalistes, esclaves du mot, des idéalistes qui ployaient le mot à l'idée ; des rationalistes, qui rejetaient tous les mystères de la religion; des mystiques, qui se perdaient dans les nuages; des anti-trinitaires, qui croyaient, comme Servet, qu'il n'y avait que deux personnes en Dieu. Enfin, chacun de ces sectaires, prenant ou retranchant certains dogmes de l'Église catholique, se forgeait une religion qu'il disait conforme à la parole divine. Cependant, comme le parlement de Paris redoublait de |