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nève, étaient allés acheter la bourgeoisie de Fribourg, moyennant un florin d'or par an, il ne voulut ni entrer dans la ville, ni jurer ses franchises, avant d'avoir mis la main sur Lévrier, qui fut, pour ce motif, pris et emprisonné par le vicaire de l'évêque. Mais les parents de Lévrier écrivirent en diligence aux seigneurs de Fribourg, qui envoyèrent en poste des députés pour le faire mettre en liberté. Le duc cessa dèslors, ainsi que son conseil, d'user de violence envers les Génevois, par crainte de se commettre avec les ligues des Suisses. Toutefois, ses commissaires continuèrent d'empiéter de temps en temps sur la juridiction de Genève. On envoya, pour s'en plaindre, Lévrier vers l'évêque qui était alors en Piémont, et Antoine Pecolat vers le duc; et comme l'on savait que ce dernier devait venir à Genève, Pecolat fut chargé de lui offrir, au nom de la ville, deux barils d'argent, et à la duchesse sa mère une tasse en vermeil du poids de neuf onces.

Le 6 avril 4508, le duc Charles fit son entrée dans Genève. Les syndics, excepté Lévrier, allèrent à sa rencontre avec le poële jusqu'au bout du pont de l'Arve, comme on avait accoutumé de le faire envers ses prédécesseurs. Ils avaient aussi apporté le livre des franchises et libertés de la ville, pour qu'il les jurât selon la coutume. Le duc s'y refusa d'abord, en disant qu'il prêterait ce serment dans l'église de Saint-Pierre ; mais après quelques contestations, il finit par y consentir, sur l'avis de son conseil. Du reste, son entrée dans la ville se fit avec magnificence; et pour convaincre les habitants de ses bonnes intentions, il leur donna le surlendemain une déclaration par laquelle il attestait qu'il n'avait ni pouvoir ni juridiction dans Genève. Elle était à peu près conçue en ces termes: <<< Comme ainsi soit que nos très-chers syndics et conseil de la » cité de Genève, en étant requis et nous voulant complaire, >> nous ayent permis de tenir notre conseil sous la halle, de» vant la maison-de-ville, tandis que nous y ferions rési

» dence, nous attestons que telle concession n'est point, de » devoir, mais qu'elle est procédée de la pure volonté des » syndics et conseil, laquelle nous ne voulons tirer à aucune » conséquence, ni à aucun préjudice des libertés et fran» chises d'icelle (4).»

Charles III, dans la suite, fut loin de se conformer aux sentiments qu'il avait exprimés dans cette solennelle déclaration. En 4544, il était médiateur entre Louis XII et les ligues des Suisses. Il s'imagina qu'il aurait assez de crédit auprès du roi de France pour en obtenir la restitution des foires que Louis, duc de Savoie, avait fait perdre à Genève de la manière suivante. Ce prince, ayant à se plaindre des actes de violence de son fils, Philippe-Sans-Terre, s'était retiré à Genève auprès de son autre fils, l'évêque Jean Louis. Philippe, qui ne manquait pas de partisans dans la ville, s'y introduisit, malgré son père, et vint lui reprocher en face de laisser sa mère voler le trésor de Savoie pour envoyer de l'argent à sa nièce, la reine de Chypre. Il menaça en même temps de tuer tous les Cypriotes qui étaient au service de son père, et les pourchassa dans la maison, au point que ces malheureux, pour ne pas périr sous ses coups, furent contraints de se cacher. Le duc Louis accusa les Génevois d'être de connivence avec Philippe-Sans-Terre; et pour les en punir, il alla trouver Louis XII, son gendre, et lui remit les titres des foires de Genève, dont il s'était emparé un jour que l'évêque Jean Louis lui avait ouvert les archives. Ces foires furent d'abord transférées à Bourges, et dans la suite à Lyon.

Le duc Charles, en rétablissant les foires de Genève, se proposait un double avantage : premièrement, de prélever des droits et des péages sur les marchandises qui traverseraient

(1) Spon, HIST. de Genève, t. I, p. 241.

ses états, et en second lieu, de mettre le pied dans la ville pour l'assujettir. Il insinua donc aux Génevois, que le roi de France accorderait volontiers le rétablissement des foires à sa sollicitation; mais, comme il ne pourrait l'obtenir qu'à grands frais, il voulait avec juste raison, disait-il, être dédommagé de ses dépenses. Il proposait, en conséquence, 4° qu'après le rétablissement des foires, les émoluments qui en proviendraient fussent partagés par tiers entre le duc, la ville et l'évêque; 2° que la ville fit tous les ans un don gratuit au duc; 3° que la garde de la ville appartint au duc pendant les foires; 4o qu'il eût dans la suite la seigneurie directe avec les lods des maisons qu'on bâtirait dans la ville pendant les foires.

Le conseil général, appelé à délibérer sur ces quatre propositions, les rejeta à l'unanimité, par le motif qu'il fallait conserver à Genève sa liberté, plus précieuse pour des citoyens que tous les avantages qu'ils pourraient retirer des foires. Quatre députés furent chargés de porter cette réponse au duc de Savoie, qui, bien loin de retrancher quelque chose à ses prétentions, en ajouta d'autres encore plus odieuses. Il demanda que les syndics, au nom de la communauté, lui prêtassent serment de fidélité et qu'on lui accordât la seigneurie directe, et par conséquent les lods de toutes les maisons qu'on bâtirait à l'avenir dans Genève.

Le conseil répondit aux envoyés du duc que les Génevois aimaient mieux être pauvres, mais libres, que de s'enrichir en devenant esclaves; que pour le serment de fidélité qu'il demandait, les syndics n'en avaient jamais prêté à aucun prince de la terre, et qu'il voulût bien les en dispenser. Cela se passa en 1512. Il y eut cette même année, à Genève, une grande émotion contre le vidomne qui s'appelait Consilii ; et ce fut une nouvelle occasion pour le duc de Savoie de manifester ses projets de domination sur la ville. Il y avait à Ge

nève deux prisons, l'une pour les clercs à l'évêché, l'autre pour les laïques au château de L'Isle, dont le vidomne était gouverneur, ayant le geôlier sous ses ordres. Ce geôlier avait été excommunié pour n'avoir pas voulu payer une certaine somme d'argent dont il était débiteur. Le créancier, ayant fait aggraver et réaggraver la sentence d'excommunication, eut recours, pour l'exécuter, à l'autorité de l'évêque. Le procureur fiscal du prélat alla donc au château de L'Isle, se saisit du geôlier et le conduisit dans les prisons de l'évêché. Le vidomne estimant que les officiers de l'évêque n'avaient aucun droit sur les ducaux, alla demander son geôlier à celui de l'évêque; mais ce dernier refusa de mettre son confrère en liberté, disant qu'il ne l'oserait, sans le consentement de son maître.

Ce refus irrita le vidomne qui le fit saisir par des sergents et conduire aux prisons de L'Isle. Mais le procureur fiscal, en étant bientôt averti, s'en alla criant par la ville comme un insensé : « A l'aide à l'aide, Messieurs, contre le vidomne qui <«< emprisonne les officiers de notre prince, parce qu'ils exécu» tent ses ordres ! » Grande est alors l'émotion du peuple, qui devient furieux et court en foule vers la maison du vidomne, dont il veut enfoncer la porte. Heureusement pour Consilii, des hommes d'autorité interviennent et le protégent contre la fureur populaire. Il eut le bon esprit de se remettre entre leurs mains et de se laisser mener dans les prisons de l'évêché, où il n'eut plus rien à craindre. Bientôt après, tout s'arrangea, et les prisonniers furent délivrés.

Cependant le duc, averti de ce qui se passait à Genève, s'y rendit de Chambéry avec l'évêque Charles de Seyssel pour châtier ceux qu'il appelait des mutins, et contre lesquels il était fort en colère. L'évèque, de son côté, ayant pris des informations, trouva que le vidomne avait tort, et fit au duc un rapport dans lequel il donnait raison à ceux qui avait soutenu

son autorité, en emprisonnant Consilii. Le duc, au contraire, prétendait qu'ils étaient coupables, parce qu'il s'estimait luimême prince de Genève. Il demandait, en conséquence, que l'évêque fit mourir les auteurs de la sédition qu'il disait être ceux qui avaient obtenu la bourgeoisie de Fribourg, ne voulant le faire lui-même, de peur d'irriter ce canton avec lequel il ne voulait pas se brouiller. Indigné de voir le prélat résister à sa volonté: « Je vous ai fait, dit-il, évêque, mais je vous » déferai et vous rendrai le plus pauvre prêtre de votre dio» cèse.» Il n'eut pas la peine d'exécuter ses menaces; car peu de temps après, en revenant d'un pèlerinage à Notre-Dame du Puy, Charles de Seyssel mourut à Moiranc. Il fut vivement regretté des habitants de Genève. Il n'avait ni beaucoup d'instruction, ni beaucoup d'intelligence; mais il était d'humeur facile et d'un caractère plein de douceur et d'honnêteté. Aussi était-il aimé du peuple qui lui savait gré d'avoir défendu les libertés de Genève, et de les avoir fait confirmer, en 4510, par l'empereur Maximilien. Les Génevois le regrettèrent bien davantage dans la suite, quand ils virent son successeur s'entendre avec le duc de Savoie pour leur enlever leur indépendance.

Après la mort de Charles de Seyssel, le pape voulut disposer du siége épiscopal, comme il avait fait d'autres fois; mais le peuple et le clergé tenaient à leur droit de postulation et d'élection. Ils fermèrent les portes de la ville, se mirent sous les armes et s'assemblèrent dans l'église de Saint-Pierre, selon la coutume, pour élire leur évêque. Le choix du chapitre tomba sur Aymé de Gingins, abbé de Bonmont. C'était un chanoine de Saint-Pierre, d'une très-noble et ancienne maison, et de plus, bien apparenté et fort aimé chez les Suisses, qui étaient en bonne intelligence avec le pape Jules II. Il était trèszélé pour les libertés de Genève; mais à des qualités louables il joignait un défaut qu'on lui pardonnait aisément dans ce

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