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la mesure de la grâce qui lui a été donnée, d'enseigner purement sa parole, tant dans ses sermons que dans ses écrits, et d'exposer fidèlement l'Écriture Sainte; et même que, dans toutes les disputes qu'il a soutenues contre les ennemis de la vérité, il n'a point usé de « cautèle ni de sophisterie, mais qu'il a procédé rondement à maintenir sa querelle. » Il s'accuse d'avoir montré trop peu de zèle et de bonne volonté, assurant que sans la bonté de Dieu, «< toute son affection ne serait que fumée; » que les grâces mêmes que Dieu lui a faites le rendraient encore plus coupable. « Il a donc pour toute ressource, dit-il, qu'étant père de miséricorde, Dieu se montrera père d'un aussi misérable pécheur. » Au reste, il désire d'être enseveli, après son décès, à la manière accoutumée, en attendant le jour de la résurrection.

En ce qui concerne « le peu de biens que Dieu lui a donné pour en disposer, » le réformateur institue son << bien-aimé frère Antoine Calvin » pour son unique héritier, mais seulement honoraire, « lui laissant, pour tout bien, la coupe qu'il a eue de M. de Varannes, et le priant de s'en contenter, car il n'ignore pas que cette disposition est toute dans l'intérêt de ses enfants. » Il lègue dix écus au collége; autant à la bourse des pauvres ; autant à Jeanne, fille de Carle Constant et de sa demi-sœur du côté paternel; à Samuel et à Jean, fils de son frère Antoine, à chacun quarante écus. Quant à son neveu David, leur frère, « pour ce qu'il a été léger et volage, il ne lui donne que vingt-cinq écus. Calvin estime que c'est là toute la valeur de son bien, « tant en livres qu'en meubles, vaisselle et tout le reste. »

Des deux parties qui composent ce testament, la profession de foi du réformateur et la disposition de son bien, la première mérite surtout d'être examinée. A travers une grande affectation d'humilité, on y découvre l'orgueilleuse

sécheresse du cœur de Calvin. Ce réformateur qui se vante d'avoir enseigné la pure parole de Dieu, n'a jamais compris la charité. Calvin, le raisonneur, qui connaît toutes les ruses des rhéteurs et des sophistes, affirme dans son testament <«< qu'il n'a point usé de cautèle ni de sophisterie, » en disputant contre les ennemis de sa doctrine, qu'il qualifie d'ennemis de la vérité. Qu'on lise ses livres de controverse, ou seulement sa lettre au cardinal Sadolet, et l'on verra si, en vantant sa rondeur et sa bonne foi, il ne veut pas en imposer au monde. Ce pécheur qui prétend s'humilier devant Dieu, ne s'accuse que d'une chose, d'avoir montré trop peu de zèle et de bonne volonté pour son service. Mais les calomnies et les outrages dont il a poursuivi les hommes les plus honorables; mais le sang qu'il a répandu pour satisfaire sa haine et sa vengeance, il ne s'en accuse pas. Non-seulement il n'a pas un mot de regret et de repentir pour le tort qu'il a fait à son prochain; mais il ose implorer la miséricorde divine, sans pardonner à ses ennemis.

Le 27, le mal augmentant, Calvin voulut faire ses derniers adieux aux membres du conseil; « mais les bons seigneurs, dit Bèze, firent response qu'à cause de sa débilité et indisposition si grande, ils le prioient bien fort de ne point prendre cette peine; mais qu'eux-mêmes tous ensemble l'iroient voir. Ce qu'ils firent, partant de leur chambre du conseil, et allant selon leur ordre accoutumé jusqu'à son logis. » (4). Quand ils furent réunis autour du réformateur, il leur retraça dans un long discours toutes les phases de la lutte qu'ils avaient soutenue ensemble, les dangers qu'ils avaient courus, les grâces que Dieu avait répandues sur la

(1) Bèze, VIE DE CALY.

cité. « Persévérez, leur dit-il en terminant, persévérez dans la voie du Seigneur et à la lumière de sa sainte parole. >>

Le 28 avril, les ministres de Genève et de la campagne s'étant assemblés dans sa chambre à coucher, Calvin les exhorta à continuer de suivre la voie qu'il leur avait lui-même ouverte, à ne point perdre courage, et à résister aux assauts du démon. «< Dieu maintiendra, leur dit-il, la ville et l'église et les doctrines que je vous ai prêchées. Voyez, je suis de ma nature timide et craintif, et pourtant, le Seigneur aidant, je suis venu à bout des ennemis du dedans et du dehors, car Dieu m'a fortifié pour toujours tenir bon. » Il ajouta « que chacun se fortifiat en sa vocation et à tenir bel ordre; qu'on prit garde au peuple, pour le maintenir toujours en l'obéissance de la doctrine; qu'il y avait des gens de bien, mais que ce n'estoit pas qu'il y en eust aussi de mutins, et de rebelles. » (4). Il donna ensuite sa main à baiser à tous les assistants. Le vieux Farel, malgré son grand âge et ses infirmités, lui ayant écrit qu'il se proposait de venir lui serrer la main, Calvin lui envoya la lettre suivante :

<«< Bien vous soit, très-bon et très-cher frère, et puisqu'il plaist à Dieu que vous demeuriez après moy, vivez, vous souvenant de nostre union, de laquelle le fruit nous attend au ciel, comme elle a esté profitable à l'Église de Dieu. Je ne veux point que vous vous travailliez pour moy; je respire à fort grand peine, et attends d'heure en heure que l'haleine me faille. C'est assez que je vis et meurs à Christ, qui est gain pour les siens à la vie et à la mort. Je vous recommande à Dieu avec les frères de par delà. De Genève, ce 2 may 1564. Le tout vostre, Jean Calvin » (2).

(1) Bèze, loc. cit.

(2) L'original de la lettre est en latin et se trouve dans les notes de Spon, HIST. DE GENÈVP, t. 1, p. 108.

Farel ne laissa pas de se mettre en route. Il arriva malade à Genève, et en repartit le lendemain, après avoir embrassé son ami.

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Le 49 mai, veille de la Pentecôte, les ministres, selon la coutume de l'église de Genève, devaient se réunir pour souper en commun. Calvin manifesta le désir que le repas eût lieu dans sa maison. Le malade s'assit à table dans un fauteuil qu'on lui avait préparé. « Mes frères, dit-il à ses collègues, je vous viens voir pour la dernière fois. » <«< Il bénit les viandes, mangea tant soit peu et se mêla à la conversation. » (4). Mais bientôt il voulut être seul. « On va me porter dans ma chambre, dit-il, une paroi n'empêchera pas que je ne sois conjoint d'esprit avec vous. » La nuit fut mauvaise pour le malade. l'air qu'il respirait avec peine semblait lui brûler la poitrine, tandis que le froid de la mort gagnait les jambes, le côté droit, la langue même ; l'œil seul conservait toute sa vitalité.

Le 27, Calvin perdit connaissance et l'agonie commença. A huit heures du matin, le réformateur avait cessé de vivre. « Ce jour-là, dit Bèze, le soleil se coucha, et la plus grande lumière qui fust en ce monde pour l'adresse de l'Église de Dieu fut retirée au ciel. La nuit suivante et le jour aussi il y eut de grands pleurs par la ville: le prophète du Seigneur n'estoit plus. » L'apologiste de Calvin ajoute: « Il y eut plusieurs étrangers venus de bien loin qui désiraient merveilleusement le voir, tout mort qu'il estoit, et qui en firent instance.... Mais pour obvier à toutes calomnies, il fut enseveli environ les huit heures au matin, et sur les deux heures après-midy, porté à la manière accoutumée,

(1) Spon, loc. cit.

comme aussi l'avoit ordonné, au cimetière commun appelé Plein-Palais, sans pompe ni appareil quelconque, là où il gist aujourd'hui, attendant la résurrection qu'il nous a enseignée et a si constamment opérée. »

Bèze dit-il vrai, quand il raconte qu'au milieu de ses cruelles souffrances, Calvin levait au ciel un œil résigné en murmurant doucement ces paroles du psalmiste: Gemebam sicut columba, «Je gémissais comme la colombe ?»— Et fautil appeler calomnies les bruits étranges qui couraient sur les derniers moments et la mort du réformateur?

« Il mourut, dit Bolsec, invoquant les diables, jurant, disputant et maugréant pour les très-griefves douleurs et très-aspres afflictions, lesquelles il ressentoit de la sévère et très-pesante main de Dien sur sa personne. Ceux qui le servirent jusques à son dernier soupir ont tesmoigné de cela; que Bèze ou autre qui voudra le nie, il est pourtant bien vérifié qu'il maudissoit l'heure qu'il avoit jamais estudié et escrit, sortant de ses ulcères et de tout son corps une puanteur exécrable, pour laquelle il estoit fascheux à soy-mesme et à ses serviteurs domestiques, qui encore adjoustent qu'il ne voulait pour ce subjet qu'on l'allast voir. » (4).

Le bruit courait que le corps du décédé était en décomposition; qu'il portait les signes visibles d'une lutte désespérée avec le trépas, et comme l'empreinte de la colère divine. Aussi ne laissait-on entrer personne dans la chambre du mort, sur la face duquel on avait jeté un drap noir, et qu'on s'était hâté d'ensevelir. Mais un jeune étudiant venu à Genève pour suivre les leçons du réformateur, s'était glissé dans cette chambre lugubre. Il souleva curieusement les draps de

(1) Bolsec, HIST. DE CALVIN, p. 107.

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