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et répare les forces; mais du moins on pourrait s'efforcer de le procurer à bas prix et tout préparé, dans les cuisines publiques, aux familles pauvres qui ne voudraient pas y renoncer.

Quoi qu'il en soit, chercher à procurer aux classes pauvres une nourriture abondante et économique, sera toujours une des meilleures applications de la charité volontaire.

En général, le prix des loyers est très élevé dans toutes les grandes villes, et même pour le plus petit asile, il est hors de la portée des pauvres ouvriers. Ceux-ci sont donc forcés d'habiter des réduits privés d'air, étroits, malsains, souvent infects et éloignés de leurs ateliers : leurs femmes sont obligées d'y passer leurs journées tout entières, soit pour garder les enfans, soit pour préparer le chétif repas de la famille. Il faut pour cela, comme nous l'avons déjà fait observer, du charbon, du bois et divers ustensiles de ménage que souvent les pauvres ouvriers ne peuvent se procurer qu'en s'endettant. Pour améliorer sensiblement leur situation, des personnes aussi généreuses qu'éclairées avaient conçu le projet de faire construire dans les principaux quartiers manufacturiers de Paris, et à l'aide d'une association de bienfaisance, de vastes maisons capables de loger cinq à six cents ménages d'ouvriers d'une manière à la fois saine, propre et commode. On aurait placé dans ces maisons, outre un mobilier suffisant, des cuisines communes économiques, des boutiques à bon marché, des calorifères capables de chauffer convenablement chaque habitation, des écoles et salles d'asile pour les enfans, etc., etc.; on eût enfin mis à la portée des ouvriers tous les avantages résultant de la vie commune et de l'association. Une surveillance exacte et paternelle, et de sages réglemens, auraient prévenu les désordres que pouvait faire craindre une agglomération considérable d'individus. Le prix des loyers eût été calculé de manière à

assurer aux fondateurs de l'établissement l'intérêt de 3 pour 100 des fonds placés dans l'entreprise. Une telle institution eût sans doute compté de nombreux coopérateurs et trouvé des imitateurs dans les principales villes manufacturières de la France et de l'Europe. Les événemens politiques n'ont pas permis encore de réaliser cette grande et noble pensée, qui doit se développer tôt ou tard, lorsqu'on s'occupera sérieusement de l'amélioration réelle du sort de la classe ouvrière pauvre (1).

Depuis long-temps des amis de l'humanité, imitateurs de la prévoyance de Joseph en Egypte, ont proposé la formation de greniers de charité qui, remplis dans les années d'abondance, s'ouvriraient au peuple dans les années de disette et obvieraient pour lui aux fàcheux effets du renchérissement de cette denrée de première nécessité.

M. le comte de Marolles, agronome distingué, s'est attaché à étudier et à développer ce système, et dans un écrit qui offre la preuve de beaucoup de talent uni à une grande modestie, il a exposé les moyens de l'appliquer à la France, sans obliger l'état à ces dépenses, devant l'énormité desquelles tous les gouvernemens modernes ont

(1) La première idée d'un pareil établissement est due à une jeune personne dont la perte a laissé d'éternels regrets et les plus profonds souvenirs dans le cœur de tous ceux qui ont eu le bonheur de la connaître. Douée à la fois d'un esprit supérieur, de talens les plus rares et d'une âme angélique, mademoiselle Amélie de Vitrolles, détachée de bonne heure d'un monde dont elle faisait le charme et l'ornement, s'était consacrée à étendre les bienfaits de la religion et d'une charité éclairée. Entre autres bonnes œuvres achevées ou commencées, elle avait elle-même tracé tous les plans, rédigé tous les réglemens d'une maison modèle destinée à recevoir des familles indigentes. La vie de cet ange de charité a été courte, mais bien remplie, Dans plus d'une contrée, les pauvres bénissent sa mémoire et invoquent son intercession. On a pu dire d'elle, comme de son divin modèle, qu'elle a passé en faisant le bien, pertransivit benefaciendo. Mademoiselle de Vitrolles est morte à Florence, à l'hôtel de l'ambassade française, en août 1829.

reculé jusqu'à ce jour. M. le comte de Marolles veut, avec raison, faire de cette grande opération une mesure de charité; il y appelle la population entière du royaume, qui est en effet toute intéressée à prévenir la disette, quoique par des motifs différens; une partie pour ne pas en souffrir, l'autre pour ne pas avoir les inquiétudes qui en sont inséparables. Il ne s'agirait point de créer à grands frais des greniers d'abondance dans chaque département, ni une nombreuse administration pour les surveiller, il faudrait seulement obtenir qu'au moyen des dons de la charité, des octrois, des ressources des établissemens charitables et d'autres fondations que l'on pourrait créer, il fût établi, dans chaque commune, un approvisionnement de réserve proportionné à sa population ouvrière et qui servirait, soit à maintenir le prix du pain à un taux modéré, soit à fournir la subsistance aux malheureux.

Dans une suite de chapitres, M. de Marolles fait connaître différens modes de fondation et d'entretien perpétuel des greniers de charité. Une des considérations les plus importantes sur lesquelles il appuie son système, c'est que les sacrifices qu'exigeraient ces établissemens, non seulement d'humanité, mais de haute prévoyance, n'atteindraient pas même le taux actuel des secours bien insuffisans de la bienfaisance spontanée et individuelle. « La nouvelle destination que nous proposons, dit-il, de donner aux greniers d'abondance ne change point l'ancienne, sous le rapport de l'approvisionnement. Ce sont toujours des grains que la population doit trouver au jour de la disette, et qui, lorsqu'ils seront livrés, feront baisser les prix. Mais au lieu d'être emmagasinés à grands frais par l'état, ils le seront dans chaque localité par la population même qui devra les consommer; et au lieu d'être revendus en totalité au profit de l'état, la moitié en sera distribuée gratuitement aux indigens. Nous rendrons ainsi à

ces établissemens la destination qu'ils eussent dû toujours

avoir. »>

Ces idées généreuses ne sauraient être perdues pour une charité éclairée. Sans doute le conseil général de la grande-aumônerie dont nous avons proposé la formation, s'empresserait de les examiner et d'en faire l'essai (1). On trouverait peut-être des avantages non moins importans à former des magasins de pommes de terre et de farine de ce tubercule. Les procédés nouveaux qui en assurent la conservation, assignent désormais un très grand rôle à l'emploi de cette substance alimentaire, si économique et si saine, dans toutes les mesures de prévoyance qui auront pour objet d'assurer la subsistance des classes pauvres.

Mais ce n'est point assez pour la charité de garantir à l'ouvrier indigent une nourriture économique. Il est plus moral encore de la lui assurer au prix du travail. Procurer de l'ouvrage aux pauvres valides sera toujours en résultat la meilleure de toutes les charités. Celle-là devrait être plus spécialement l'apanage des chefs de l'industrie manufacturière. Malheureusement l'expérience prouve

(1) « On doit comprendre, parmi les magasins de secours analogues à ceux que nous avons proposés, les greniers de charité dont M. le comte de Marolles a demandé l'établissement pour toutes les communes, dans un écrit qu'il a publié sur les moyens de procurer des secours à la classe indigente pendant les années de disette. Il voudrait, ce qui serait impossible, qu'on formât partout de petits greniers d'abondance, quand les grains sont à bas prix, pour les distribuer ensuite, gratuitement, aux pauvres des paroisses où les greniers seraient établis, quand les grains seraient chers. Cette spéculation philantropique pourrait, sans doute, être utile, dans quelques grandes cités, si elle était d'une exécution facile, et si les fonds destinés à soulager les indigens étaient fournis long-temps par avance. Mais il serait à craindre que son application présentât, presque partout, et dans les petites communes surtout, des difficultés insurmontables, résultant de la conservation des grains pendant plusieurs années, de la peine que l'on éprouverait à les garder en présence des misérables qui les demanderaient par avance, et de celle de les défendre, dans les temps de disette, contre les attaques des gens affamés des villes voisines, » ( Le baron de Morogues, du Paupérisme et de la Mendicité. )

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que ce n'est pas toujours chez eux qu'on peut espérer de la trouver le plus souvent dans les momens de crise, dont il est vrai qu'ils ont à souffrir plus que les autres classes riches (1).

Dans ces circonstances fàcheuses, la charité publique, par l'organe des magistrats, emploie la ressource des ateliers de travaux publics (2). La charité volontaire pourrait la seconder efficacement en multipliant, sous toutes les formes, les travaux agricoles. Chaque propriétaire, suivant ses facultés, peut établir un atelier de charité et faire ainsi aux pauvres des avances dont il retirera un jour l'intérêt. On ne peut calculer le bien que produirait cet ensemble de secours dont le but serait le soulagement moral de la misère et le résultat doublement précieux, puisqu'il aurait amélioré l'industrie agricole.

Un autre genre de secours souvent précieux aux ménages d'ouvriers, en cas d'accidens imprévus, sont des

(1) Parmi les moyens de secours que quelques administrations munici pales ont conçus en faveur des ouvriers indigens, on doit citer l'exemple donné par la ville de Toulouse, en 1823. Cette ville a offert deux primes d'encouragement de 12,000 fr. à celui ou à ceux qui établiraient, dans chacun des deux faubourgs, une fabrique ou tout autre atelier industriel, d'un genre nouveau pour Toulouse, mais avec une garantie de durée, et susceptible d'occuper journellement deux cents ouvriers de tout âge et de tout sexe. Sans doute, la ville aura prévu toutes les conditions relatives à la fixation du salaire, à l'instruction, à la santé et surtout à la moralité des ouvriers. Sous ce rapport, on ne saurait qu'applaudir à un tel acte de munificence. Peut-être eût-il atteint un but plus efficace, s'il avait été dirigé spécialement vers des travaux agricoles.

(2) « Les travaux de charité, exécutés dans les grandes villes, ont l'inconvénient, quand l'esprit public est agité, de réunir, en grand nombre, des gens peu attachés à l'ordre public. Pour atténuer le plus possible ce danger, il est bon de diviser les ateliers de charité trop nombreux, et de les porter sur des points différens, quand on ne peut pas les éloigner des grands centres de la population. »

<«< Les ateliers de charité, bien que très préférables aux aumônes gratuites, manquent ordinairement leur but vis-à-vis des mendians de profession qui se gardent toujours de s'y rendre. » (Le baron de Morogues, du Paupérisme et de la Mendicité. )

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