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autres que ceux placés dans les maisons de charité, est à peu près abandonné aux soins des administrations charitables locales qui agissent selon leurs lumières, leurs inspirations et les ressources dont elles peuvent disposer. Les bureaux de bienfaisance des petites communes n'existent guère que de nom.

Le gouvernement ignore le nombre et la situation des indigens dans les différentes provinces de la France. Il ne connait pas même le véritable nombre des mendians vagabonds.

Le clergé est à peu près étranger à la direction et à l'administration des secours publics. Chose étrange! Les ministres d'une religion fondée sur la charité sont à peine tolérés dans les réunions où se règlent le mode et l'application des secours charitables.

Sans doute beaucoup de bien, un bien infini s'opère chaque jour; mais à quoi est-il dû, si ce n'est au zèle et aux lumières de quelques hommes animés d'un ardent esprit de charité chrétienne? nulle part, en ce qui concerne la charité, on ne trouve l'institution forte et générale qui doit communiquer à tout le mouvement, la vie et les lumières.

Il existe à Paris des conseils supérieurs pour l'agriculture, le commerce, les haras, etc., et des comités pour les principales branches d'administration. Toutes les notabilités du royaume sont appelées à leur fournir un tribut de talens, d'expérience et d'autorité. Cependant l'amélioration du sort des pauvres est reléguée, avec une sorte de dédain, dans un modeste bureau, le dernier de l'une des divisions du ministère des travaux publics. Serait-elle donc placée au dernier rang des affaires publiques?

Un tel abandon explique suffisamment combien la science administrative de la charité est encore peu avancée, pourquoi les efforts sont isolés, les résultats imparfaits, les améliorations sans progrès; pourquoi enfin la charité in

dividuelle ne prête pas complétement sa confiance et son appui à l'administration.

Il nous semble cependant que sous les rapports les plus importans de la morale, de la justice et de la politique, l'amélioration du sort des pauvres ne saurait être placée trop haut dans la hiérarchie de l'administration publique. A nos yeux ce ne serait pas trop, même, du patronage le plus élevé dans l'état. Nous voudrions donc que ce patronage présentât à la fois l'image de la religion et de la monarchie, présidant de concert au soulagement de l'indigence, accomplissant ensemble leur principale et plus touchante mission, et répandant de leurs mains réunies, sur les pauvres, des bienfaits qui seraient payés par la reconnaissance et par l'amour.

Ainsi, nous instituerions à Paris un conseil supérieur de charité, sous la protection de l'héritier présomptif de la couronne ou du premier prince du sang royal; le conseil serait placé dans les attributions du ministre des cultes, et sous la présidence d'un membre de l'épiscopat, avec le titre de grand-aumônier de France. Il serait composé de tous les hommes connus par leur esprit de charité, leurs lumières et leur expérience. Des membres correspondans, avec droit d'inspection des établissemens charitables, seraient nommés dans toutes les parties du royaume. Un administrateur spécial, sous le titre de directeur général de la grande-aumônerie de France, serait chargé de l'administration des établissemens de charité, de la correspondance et des rapports à soumettre au conseil. Le conseil serait autorisé à correspondre avec les divers ministres, les préfets et les évêques, les procureurs généraux, les recteurs d'académie, etc. Il ferait publier périodiquement un bulletin de ses travaux et de ses recherches qui deviendraient les annales de la charité universelle. Toutes les fonctions exercées pour l'administration de la charité publique seraient gratuites; les em

ployés nécessaires à la tenue des écritures recevraient seuls un traitement.

Un conseil, correspondant au conseil supérieur, serait institué dans chaque département et dans chaque arrondissement. La présidence des conseils de département serait accordée à l'évêque ou à son délégué.

La nomination des membres résidans et correspondans du conseil supérieur de charité serait faite par le roi. Pour la première fois, les membres du conseil supérieur seraient nommés sur la présentation du ministre de l'intérieur. La présentation en appartiendrait ensuite au grand-aumônier. Les membres des conseils de département et d'arrondissement seraient nommés par le grand-aumônier de France sur la présentation des évêques (1).

Les préfets, les sous-préfets et les maires conserveraient leurs attributions en ce qui concerne l'administration des établissemens charitables; ils correspondraient à cet effet avec le directeur général de la grande-aumônerie. Les membres des conseils de charité de département et d'arrondissement auraient droit d'inspection et de visite dans les établissemens hospitaliers. Chaque conseil se réunirait au moins une fois par mois. Un comité permanent d'administration et de correspondance serait choisi dans son sein pour l'expédition des affaires courantes. Les recteurs d'académie, les présidens des cours et tribunaux, les procureurs généraux, les procureurs du roi, les curés et les supérieurs de congrégations hospitalières des deux sexes, les pasteurs des différens cultes et les médecins des hôpitaux et des indigens, seraient également membres ou correspondans des conseils de charité. Un architecte serait attaché à chaque conseil. Les préfets, sous-préfets et maires assisteraient, lorsqu'ils jugeraient convenable, aux séances

(1) On pourrait accorder aux membres des divers conseils de charité quelques distinctions honorifiques, propres à fortifier le respect dû à leur ministère de dévouement.

des conseils, auxquels ils seraient exactement convoqués ; ils exerceraient près de ces conseils les fonctions de commissaires du roi, donneraient leurs avis et leurs observations, et les feraient, s'il y avait lieu, consigner dans les registres des délibérations.

Les évêques nommeraient dans chaque paroisse rurale un conseil particulier de charité, présidé par le curé, et désigneraient parmi les ecclésiastiques de la paroisse un prêtre chargé des fonctions d'aumônier paroissial. L'organisation actuelle des commissions administratives des hospices et des bureaux de bienfaisance serait conservée; les membres sortans seraient de droit membres du conseil de charité; ils en recevraient le titre du grand-aumônier, sur la proposition des préfets.

Si nous ne nous abusons pas, cette organisation nouvelle, ou toute autre analogue, de l'administration générale des secours publics, appliquée avec la sagesse et le discernement que l'on doit désirer dans une matière si importante, ne saurait manquer de produire les plus heureux résultats. Elle procurerait, avec la connaissance exacte du nombre, de la situation et des véritables besoins de chaque classe de pauvres dans les diverses contrées du royaume, celle des ressources que peuvent offrir chaque ville, chaque commune, chaque hameau. Dans la réunion des hommes charitables et éclairés qui feraient partie des conseils, on examinerait mûrement les moyens les plus convenables, les plus moraux et les plus sûrs de soulager et de prévenir la misère. De toutes parts abonderaient les lumières, les conseils, la vérité. Désormais tous les efforts isolés, réunis et fortifiés par l'association et par la confiance, éclairés par l'expérience et les faits, concourraient à un même but; l'aumône recevrait la destination la plus utile, la véritable misère serait soulagée, la charité et le travail, la religion et le pouvoir civil, désormais étroitement unis, parviendraient tôt ou tard, nous en avons

l'espérance, à résoudre le grand problème de l'extinction de la misère, autant du moins qu'il est permis aux institutions humaines d'y prétendre.

Nous n'avons pas cherché à présenter ici un projet complet dans tous les détails. Si l'idée principale était admise, son examen et sa rédaction définitive pourraient être confiés à une commission d'hommes d'état (1).

(1) Nous ne nous dissimulons point qu'un système qui tend à replacer la direction principale de la charité publique entre les mains des ministres de la religion, paraîtra étrange, dans les temps où nous sommes. Est-ce notre faute ou celle de l'époque actuelle? Nous laissons aux hommes de bonne foi à décider cette question. Il nous paraît éminemment raisonnable, cependant, que l'administration de la charité soit dirigée et appliquée principalement par les hommes dont l'existence tout entière est consacrée à l'exercice de cette vertu sublime. Il nous semble absurde qu'il en soit

autrement.

Du reste, nous n'avons pas écrit seulement pour la France et pour le moment présent. Dans les pays catholiques, ou même sincèrement chrétiens, l'organisation que nous proposons ne saurait éprouver aucun obstacle, ni aucune objection fondée, du moins, quant à son principe. La France l'adoptera certainement, ou toute autre analogue, lorsqu'elle sera régie par un gouvernement qui voudra fortement améliorer le sort des pauvres, et qui osera avouer et appliquer franchement les principes du christianisme, dans son langage comme dans ses actes.

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