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CHAPITRE II.

DES LOIS RELATIVES AU SOULAGEMENT DES PAUVRES.

Res sacra miser.

« La société doit des secours à l'homme privé des moyens de pourvoir à son existence. Mais dans quelles limites ces secours doivent-ils être restreints? suivant quel système doivent-ils être administrés pour ne pas grever la société d'une charge trop pesante, et pour ne pas encourager l'oisiveté? C'est un problème qui, depuis long-temps, a fixé l'attention des hommes d'état, des personnes vouées au bien public, et dont la solution est loin d'être complète. »

<< Il ne suffit pas, pour la résoudre, d'examiner, en remontant à l'origine de la société, quels sont les droits du pauvre. Des principes vrais en eux-mêmes, des théories spécieuses et très brillantes, peuvent conduire, dans leur application, à des conséquences funestes et à des résultats tout-à-fait contraires au but proposé. »

« L'assemblée constituante avait chargé un de ses comités de lui présenter un plan pour l'extinction de la mendicité et l'administration des secours publics. Les rapports de ces comités, ainsi qu'on a pu en juger par ce que nous

avons cité, sont dignes d'intérêt. Ils respirent l'amour de l'humanité. Ils renferment des documens précieux, de judicieuses observations, des vues utiles et lumineuses; mais le comité y posa pour premier principe, et comme base de tout son système, que le soulagement de l'indigence était une dette nationale que l'état devait acquitter directement. Ce principe est développé avec éloquence dans les rapports du comité, et il était facile de l'appuyer sur des considérations puisées dans les sentimens les plus nobles et les plus patriotiques. Mais quelles étaient les conséquences que le comité lui-même en déduisait? Le soulagement de l'indigence étant une dette nationale, tous les fonds destinés à secourir les pauvres étaient remis entre les mains de l'état, et l'état devait pourvoir, sur les revenus publics, aux secours nécessaires pour assurer l'existence des enfans, des vieillards et des malades, et pour suppléer, à l'égard des pauvres valides, au manque du travail ou à l'insuffisance de son produit. >>

peu

« Quelque audacieuse qu'elle ait été dans ses créations, l'assemblée constituante redouta les suites de son système. Ce ne fut que sous la convention que des lois furent rendues sur des bases analogues. Les orages révolutionnaires permirent à peine d'en essayer l'exécution, et bientôt après elles furent rapportées. Mais un semblable système, eût-il été adopté dans des temps de tranquillité, que ses résultats en auraient été funestes. On aurait vu peu la charité renoncer à des bienfaits dont elle n'aurait plus eu le pouvoir de déterminer l'application; le pauvre, assuré d'obtenir du gouvernement des moyens d'existence, ne plus les chercher dans l'emploi de ses forces et de son industrie; le nombre des indigens s'accroître progressivement, les demandes de secours se multiplier dans la même proportion; l'urgence et l'étendue des besoins entraîner le gouvernement malgré lui à augmenter les ressources destinées à y faire face, et enfin cette dépense toujours crois

sante menacer d'absorber les revenus de l'état et de le conduire à sa ruine. »>

« En Angleterre, on est parti d'un point différent, et les suites n'en ont été pas moins fâcheuses. On a posé en principe que chaque paroisse devait pourvoir aux besoins de ses pauvres. Ce principe n'avait rien que de juste en soi; mais on en a conclu que si les contributions volontaires des paroissiens n'étaient pas suffisantes pour subvenir à ces besoins, il fallait suppléer à cette insuffisance par une taxe forcée. Les administrateurs des pauvres ont été chargés d'imposer et de régler cette taxe, de concert avec le juge de paix. Aucune limite n'a été fixée, et toutes celles que la prévoyance n'a pu poser ont été franchies. »

Ces observations appartiennent au judicieux traducteur des rapports présentés, en 1817 et 1818, à la chambre des communes d'Angleterre par le comité chargé de l'examen des lois relatives aux pauvres (1). On les trouve dans la préface dont il a fait précéder sa traduction, et où il établit le parallèle de l'administration des secours publics en France et en Angleterre.

Nous regrettons que ce publiciste éclairé, auquel nous avons emprunté des notions précieuses, n'ait pas donné à son travail tout le développement dont il était susceptible. Nous nous sommes efforcés d'y suppléer dans l'exposé historique de la législation française et anglaise sur les pauvres. Nous chercherons à traiter ici les questions qu'il n'a que légèrement indiquées.

Il existe en ce moment deux systèmes de secours à l'égard des pauvres.

Le premier admet le droit légal des pauvres à l'assistance publique ; il entraîne la nécessité d'une organisation générale et complète de secours en faveur de tous les individus, sans exception, qui éprouvent les rigueurs de

(1) Rapports sur les lois relatives aux pauvres en Angleterre, traduits de de l'anglais. Paris, chez Delaunay, 1818.

l'indigence. C'est celui que l'on a adopté en Angleterre, et qui s'applique au moyen d'une contribution forcée, prélevée en faveur des pauvres. Le second ne reconnaît qu'une obligation de charité toute volontaire et facultative, qu'il s'agit plutôt d'exciter et de diriger que d'imposer légalement.

Ce système est, en principe, celui qui domine la législation actuelle française. Cependant, il est sensiblement et tacitement modifié, par le fait, dans son application générale, et semble participer, à quelques égards, du principe qui forme la base des lois anglaises.

L'économie politique moderne réunit l'un et l'autre système dans une commune réprobation. Ecartant les motifs religieux et charitables de cette question, elle n'aperçoit, dans les secours accordés à l'indigence, qu'un encouragement à la population, à l'oisiveté et à l'imprévoyance. Elle veut que, dans l'ordre social, chaque individu fasse lui-même sa destinée, et que des secours ne soient accordés que dans des circonstances rares et tout-à-fait exceptionnelles.

Pour nous, qui pensons, avec Malthus, que la véritable économie politique n'admet aucun principe absolu et ne vit que de justes proportions, et qui reconnaissons, d'ailleurs, le travail et la charité comme les premières lois sociales de l'univers, nous donnerons sans hésiter, lors même que les résultats ne viendraient pas forcer notre choix, nous donnerons, disons-nous, une juste préférence à la législation française, par cela seul qu'elle nous semble plus conforme aux principes d'une véritable charité. Toutefois, elle est évidemment incomplète dans ses dispositions et abusive dans la pratique. Ce vice tient, selon notre opinion, à ce que l'on n'a pas assez distingué les diverses catégories des pauvres, leurs besoins et le degré auquel ils méritent d'exciter la charité; à ce que l'on a trop accordé à l'esprit de système, et séparé le droit de la nécessité, qui,

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dans cette matière, constitue le droit. Nous croyons donc qu'un nouveau système, qui serait un moyen terme entre des principes absolus, pourrait être proposé avec confiance et employé avec succès.

La principale question à approfondir est sans doute celle du droit des pauvres à l'assistance légale. La solution de celle-ci doit, en effet, jeter de grandes lumières sur toutes les autres.

Examinons cette question sous ses rapports religieux et

civils.

Aux yeux de la religion et de la morale, tout homme est tenu, lorsqu'il en a la puissance, de pourvoir, par son travail, à sa subsistance et à celle de sa famille. L'ordre et la nature des sociétés comportent la même obligation.

Mais puisque la Providence a permis que certains hommes fussent frappés de l'impuissance de travailler, il fallait à leur égard d'autres lois religieuses et sociales. La loi religieuse s'est révélée dans la charité, dans cette obligation de secours qui doit être donné en premier lieu par le père, le fils, le proche parent, et, à défaut, par le prochain; secours qui doivent, à la vérité, être accordés d'une manière libre, volontaire, fraternelle, pour devenir un mérite devant Dieu, mais qui n'en sont pas moins obligatoires et sacrés devant les hommes.

La loi civile pourrait-elle n'être point d'accord à cet égard avec la loi religieuse? Nous ne le pensons pas.

«< A parler rigoureusement, dit M. J.-B. Say, la société ne doit aucun secours, aucun moyen de subsistance à ses membres. En se réunissant à l'association, en lui apportant sa personne, chacun est censé lui apporter ses moyens d'existence. Celui qui se présenterait à elle sans ressources serait obligé de les réclamer d'un autre membre de la société celui-ci serait fondé à demander en vertu de quel titre on lui impose cette charge. Telle est la rigueur du droit. Mais, indépendamment du sentiment de charité, il

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