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CHAPITRE III.

DES COMMISSIONS ADMINISTRATIVES DES HOSPICES E1

DES BUREAUX DE BIENFAISANCE.

Le véritable administrateur de la charité, c'est le visiteur du pauvre.

Le choix des membres des commissions administratives des hospices et de charité est d'une haute importance dans le système des secours publics.

Des qualités rares à réunir et à rencontrer sont, en effet, indispensables dans les hommes auxquels un état relevé et une fortune indépendante permettent de consacrer une partie de leur temps à des intérêts aussi sacrés que ceux des pauvres. Ils doivent être recommandables non seulement par leur conduite et par leur probité, mais encore par un caractère particulier de générosité et de bienveillance, et surtout par l'habitude de la charité en action. L'homme le plus régulier dans ses affaires, mais d'une régularité tellement austère qu'elle ne se dément jamais par aucun sacrifice pécuniaire dans les momens qui les sollicitent le plus vivement, n'est pas celui qui compatira aux misères éventuelles des affligés. Sans doute il gérera les affaires de l'administration avec une droiture et une fermeté inaltérables; mais ce stoïcien ne sera sensible

à aucun événement extraordinaire. Il suivra la règle sans jamais permettre aucune exception. Il faut aux malheureux une âme plus compatissante. Mais s'il faut des hommes animés d'un véritable esprit de charité, il faut aussi des hommes à la hauteur des lumières, disposés à accueillir les vues d'amélioration qui leur sont suggérées, empressés à profiter des découvertes nouvelles de l'industrie économique, et surtout convaincus de la nécessité de répandre, dans les classes ouvrières, les bienfaits de l'instruction, le goût et l'amour du travail.

Dans quelques villes considérables une seule commission est ordinairement investic de l'administration des établissemens hospitaliers et des autres secours à distribuer à l'extérieur. Cette double attribution a ses avantages; mais elle offre des inconvéniens: les membres de ces administrations, suffisamment occupés de la direction et de la surveillance des maisons de charité, n'ont point assez de temps à donner à la distribution individuelle des secours publics. Dans les lieux où il existe un grand nombre de pauvres, ils s'en rapportent en général presque exclusivement à la police municipale pour la formation des listes d'indigens et à quelques hommes charitables et officieux pour la distribution des secours à domicile, qui consistent presque toujours en argent ou en pain, périodiquement réclamés par les pauvres chez chaque distributeur.

Nulle investigation, nul discernement ne président en général à ces distributions qui ne procurent qu'un soulagement momentané et donnent quelquefois lieu à des abus.

Pour suppléer, sur ce point, à l'insuffisance des commissions charitables, il a été établi, dans plusieurs villes importantes, à Paris, à Lille et autres, des bureaux de charité pour chaque paroisse, composés du curé, président, et de quelques personnes charitables. Ce bureau correspond avec la commission administrative, et est chargé de

la répartition, de la distribution des secours entre les pauvres de la paroisse. Cette organisation, si utile, indispensable même, dans les villes où se trouvent beaucoup de pauvres, particulièrement dans les villes manufacturières, devrait être prescrite dans toutes celles où la population s'élève au-dessus de cinq mille habitans; mais, pour la rendre complétement efficace, et en même temps pour faciliter les travaux des commissions administratives, il nous paraîtrait nécessaire de l'accompagner de deux institutions propres à propager l'esprit d'association et de charité, et qui offriraient d'autres avantages sociaux et politiques incontestables. L'une serait la création de jeunes auditeurs ou membres adjoints près des commissions administratives; l'autre, la création de visiteurs des pauvres.

La première de ces institutions aurait pour objet de former en quelque sorte une pépinière d'administrateurs charitables. Elle consisterait à adjoindre, à chaque commission administrative des hospices, un certain nombre de jeunes gens de dix-huit à trente ans, recommandables par leur conduite honnête, leurs vertus et leurs principes. Nommés par le préfet, sur la présentation des commissions administratives, ils assisteraient tour à tour aux séances de la commission, inspecteraient, suivant la mission qui leur en serait donnée, les salles des hôpitaux et des hospices, les écoles, les ateliers de travail et la tenue de la comptabilité; ils pourraient être chargés de vérifier et de contrôler périodiquement la liste des indigens secourus à domicile, de vérifier les demandes d'admission aux hospices ou aux secours; ils s'initieraicnt ainsi, par des travaux utiles, et surtout par de bonnes œuvres, à la science de la charité administrative.

La seconde institution se composerait de toutes les personnes charitables des deux sexes, âgées de trente ans au moins, qui consentiraient à se dévouer à la charité active et aux nobles, mais souvent pénibles fonctions de visiteur

des pauvres. Leur nombre serait indéfini: elles seraient nommées par le préfet, sur la proposition des administrateurs charitables.

Les visiteurs des pauvres recevraient de leur bureau de charité une liste des indigens qu'ils seraient chargés de visiter, de soigner et de surveiller à domicile. Ils devraient étudier la situation physique et morale de chacun d'eux, leurs besoins, leurs vertus, leurs défauts; s'attacher à les secourir, non seulement dans leur misère matérielle, mais aussi dans leur indigence morale; ils feraient, sur chaque famille, sur chaque individu, un rapport raisonné, dans lequel ils indiqueraient la nature et la quotité du secours nécessaire. Lorsque le bureau aurait fixé ce secours, les visiteurs des pauvres seraient chargés d'en faire l'application la plus utile dans l'intérêt de l'indigent. Ils en surveilleraient l'emploi ; ils tiendraient note des progrès de l'indigent vers une amélioration physique et morale, comme de sa persévérance à demeurer dans la dégradation et les vices dont on veut le faire sortir (1).

Ou nous nous laissons aller à une grande illusion, ou ces deux institutions opéreraient l'amélioration la plus heureuse dans la théorie et la pratique de la charité. Il est facile d'entrevoir d'ailleurs quel avantage on trouverait à placer sur un pareil terrain l'activité et les passions généreuses de la jeunesse.

Nous sommes d'autant plus fondés à avoir foi dans l'excellence d'une telle création, que l'idée première, due à plusieurs philantropes distingués, et entre autres à M. le baron de Woght, se trouve recommandée et appuyée du suffrage précieux de l'auteur du Visiteur du pauvre, ouvrage qui, au mérite littéraire et de la spécialité, réunit

(1) Une institution analogue existe à Leipsik, auprès de l'institut des pauvres; mais elle est particulièrement appliquée au soulagement des personnes malheureuses qui séjournent dans cette ville avec l'agrément de l'autorité.

tant d'onction, de douce sensibilité, d'ardente charité et de spiritualité religieuse, qu'à chaque page on croit lire dans l'âme de l'écrivain, et que l'on s'écrie involontairement: Voilà la véritable philantropie chrétienne !

Le Visiteur du pauvre ne saurait en effet être trop lu, trop médité. Nous avons regardé comme une heureuse inspiration celle d'un grand nombre de bureaux de bienfaisance de la Belgique, qui ont fait imprimer cet ouvrage dans un petit format, à très bon marché, afin de le répandre parmi tous les hommes appelés à s'occuper du ministère de la charité. Cet exemple devrait être suivi en France et dans toute l'Europe chrétienne : on ne saurait offrir de meilleur code de la charité à nos auditeurs et à nos visiteurs charitables (1).

Dans les villes où la population ne s'élève pas à cinq mille habitans, et qui n'ont qu'un canton ou une paroisse, la commission administrative des hospices, s'il y en existe, ou le bureau de bienfaisance, pourraient suffire à la fois à l'administration des établissemens et à la distribution des

(1) Dans cet écrit, M. le baron Degérando a voulu surtout montrer combien il est nécessaire d'établir une entière harmonie entre la bienfaisance publique et la charité privée : comment l'office du visiteur du pauvre est l'instrument le plus utile de la première, le meilleur moyen pour l'exer cice de la seconde; comment, à côté de la charité imparfaite et vicieuse qui se borne à donner, il est une charité plus vraie, une charité active, vigilante, qui apporte plus que des dons, qui apporte des soins, des conseils, des encouragemens ; comment cette charité est à la portée de tous ceux qui prennent quelque intérêt au sort des malheureux; comment cette charité active trouve en elle-même sa récompense en contribuant puissamment à l'amélioration morale de ceux qui s'en rendent les ministres.

M. Degérando a réuni dans cet écrit toutes les considérations qui peuvent engager l'administration publique à invoquer l'assistance du visiteur du pauvre, et les simples particuliers à faire, de la visite du pauvre, la condition essentielle du bon emploi de leurs aumônes. Il s'occupe en même temps de prêter à cette charité active toutes les directions qui peuvent lui être utiles; il la suit dans ses fonctions auprès de l'indigence. Il l'admet dans le scin des divers établissemens publics, appelle son concours pour ramener ces établissemens à leur destination véritable, et la met en rapport avec les

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