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tème lui-même continue à faire effort pour s'étendre et s'accréditer. Il a des partisans fort distingués en Angleterre ; il a cherché à en acquérir en France. On se demande si la charité telle qu'elle s'exerçait jusqu'à ce jour, ne va pas contre ce but; si, en s'étudiant à soulager le malheur, elle n'accroît pas infiniment le nombre de ceux qui le subissent. On entend quelquefois reléguer avec dédain, parmi les rêves philantropiques, le régime de secours qui avait paru le plus sage et le plus salutaire. Cette question est d'une immense gravité, et si ces doutes spéculatifs s'étendaient à la pratique, ils ne tendraient à rien moins qu'à faire fermer tous les asiles ouverts à l'indigence. En attendant, ils peuvent glacer le zèle et jeter l'incertitude dans les

mesures. >>

On doit reconnaître que si la charité publique assurait, à tous les ouvriers indistinctement, des asiles où les malades et les vieillards indigens seraient admis avec facilité et en totalité, l'excitation à la prudence et à l'épargne serait sensiblement affaiblie et détruite même chez les ouvriers les plus moraux. On a vu des exemples de ces résultats dans quelques villes où ces institutions étaient extrêmement multipliées, mais, à la vérité, administrées avec peu de discernement. Là, beaucoup d'ouvriers, accoutumés à regarder les hospices comme leur demeure future et infaillible, répondaient aux conseils de la raison et de la prévoyance : « Nous n'avons pas besoin d'épargner pendant notre jeunesse; les toits bleus ( ils désignaient ainsi les hospices couverts en ardoises), les toits bleus nous recevront quand nous serons vieux. »

Cette perspective produisait en outre un effet moral bien plus funeste, car elle semblait dégager les enfans de l'obligation de nourrir leurs parens dans leurs vieux jours, et détruisait ainsi un des devoirs les plus sacrés imposés à l'homme par la religion et par la nature.

Mais pour que de semblables résultats fussent réelle

ment à craindre, il faut supposer nécessairement et préalablement l'existence simultanée de deux circonstances habituelles. D'une part, que les hospices fussent en état de recevoir tous les malades et les vieillards indigens; de l'autre, que les ouvriers eussent un salaire suffisant pour pouvoir en consacrer une partie à l'épargne journalière. Or, ces circonstances n'existent plus aujourd'hui.

Dans les villes les mieux pourvues d'établissemens charitables, il est impossible d'y recevoir tous les malades et les vieillards pauvres de la classe ouvrière. On est obligé d'en refuser et d'en ajourner le plus grand nombre. Plusieurs n'y sont admis qu'après de longs délais et pour ainsi dire à la fin de leur carrière.

D'un autre côté, il n'est que trop certain que l'insuffisance des salaires est la cause la plus générale de la misère des ouvriers, et oppose un obstacle insurmontable à l'épargne accumulée. La cupidité, l'égoïsme, le système anglais d'industrie, le défaut de charité, enfin, sont de véritables causes de la misère générale, bien plus funestes encore que l'imprévoyance des ouvriers.

Dans cette situation, il est incontestable que les indigens seraient exposés à périr de misère, s'ils n'étaient pas secourus pendant leur maladie ; car, pour des ouvriers, une maladie est un double malheur, puisqu'en affaiblissant leurs forces et détruisant quelquefois pour toujours leur santé, elle les prive momentanément de leur travail personnel, et en outre, de celui de leurs femmes ou de celui de leurs enfans appelés à le soigner.

Les mêmes considérations peuvent s'appliquer aux femmes en couche, qui se trouvent dans un véritable état de maladie, aggravé par l'obligation de nourrir et de soigner leurs enfans. L'école anglaise s'oppose toutefois à ce que les secours publics s'étendent à cette situation particulière, parce qu'ils ont l'inconvénient, à ses yeux, d'exciter aux mariages imprévoyans, d'arrêter l'effet de la con

trainte morale, et par conséquent de favoriser abusivement le principe de la population.

Mais dans cette question, la charité semble devoir l'emporter dans la balance. Or, la charité ne peut jamais sacrifier à des éventualités éloignées le soulagement d'une nécessité immédiate et urgente, telle que la conservation d'une mère et de son nouveau-né. Un excès de population est sans doute un grand malheur pour la société; mais le refus de secours dans une circonstance semblable, serait une grave infraction aux lois de la religion et de la charité chrétienne; entre ces deux extrêmes, il n'est par permis d'hésiter. La loi d'humanité est au-dessus de la loi économique. Nous pensons donc que l'on ne peut refuser à une femme en couche indigente, pas plus qu'à un ouvrier pauvre et malade, des secours publics pendant son état d'impuissance au travail.

Si le principe de l'obligation d'assister un ouvrier à la fois pauvre et malade est reconnu, l'utilité et la nécessité des hôpitaux des malades se trouve également démontrée. Il est des maladies légères qui peuvent facilement se traiter à domicile : les dispensaires et les visites des médecins des pauvres suffisent pour remplir cet objet ; mais les maladies graves et longues, celles qui exigent des soins multipliés et constans, ne peuvent être soignées convenablement que dans les hôpitaux. L'économie que produisent la préparation en grand des remèdes et des alimens, l'emploi commun à un grand nombre de malades, des mêmes soins de surveillance, de chauffage et de propreté, etc., est d'ailleurs une considération qui ne saurait être négligée, sans parler de l'avantage qui résulte pour la famille de l'ouvrier malade de ne pas interrompre son industrie journalière.

Il faut donc nécessairement, dans les populations considérables, des hôpitaux de malades.

Pour obvier à tous les inconvéniens que redouterait à

cet égard l'économie politique, on pourrait décider qu'aucun ouvrier pauvre et malade, et qu'aucune femme en couche, ne seraient admis dans un hôpital qu'autant qu'ils ne pourraient être traités avantageusement à domicile, et que l'ouvrier se serait d'avance soumis à placer dans une caisse de prévoyance la portion de salaire jugée susceptible d'être économisée. L'hôpital pourrait, s'il y avait lieu, se faire rembourser tout ou partie de la dépense sur les fonds placés dans la caisse d'épargnes; il faudrait, de plus, établir en principe qu'aucun indigent, homme ou femme, ne serait admis dans un établissement public, s'il était convaincu d'avoir formé une union illégitime.

La question de l'utilité des hospices pour les infirmes estropiés ou impotens, est moins susceptible de controverse; il n'est pas à craindre que le désir d'être entretenu dans une maison de charité pousse un indigent à se priver d'aucune des facultés qu'il a reçues de la nature. De tels accidens sont des malheurs imprévus pour le soulagement desquels la charité a été surtout créée par l'auteur de l'univers. Les infortunés qui en sont frappés peuvent, il est vrai, être soignés dans leurs familles toutes les fois que cela est possible; il est moral et juste de l'exiger, sauf à indemniser, par des secours à domicile suffisans, la famille qui est affligée d'une telle charge; mais combien d'impotens et d'infirmes sont privés de parens, ou dont les parens ne peuvent leur donner des soins que réclame leur état! Il faut donc aussi, pour cette classe de malheureux, des asiles spéciaux.

La morale exige que les enfans soignent leurs parens dans leur vieillesse : la charité publique ne saurait, à cet égard, avoir un principe différent. Toutefois, on voit beaucoup de vieillards indigens dénués de famille et de soutiens, quelquefois même sans asile, et qu'on ne peut placer dans des familles étrangères. Ceux-là doivent nécessairement encore être accueillis dans des hospices.

Pour concilier sur ce point la charité avec l'économie, on pourrait décider, 1o qu'aucun vieillard indigent ayant des enfans ou petits-enfans ne serait admis dans aucune maison de charité; 2o que, si l'indigence notoire des enfans ne leur permettait pas de supporter la charge de l'entretien du vieillard, il leur serait accordé des secours convenables; 3° que les vieillards sans soutiens naturels, et qui auraient placé des épargnes dans la caisse de prévoyance (en cas de suffisance habituelle de salaire), pourraient seuls être placés dans les hospices publics. Les ministres de la charité seraient, dans cette circonstance, comme dans toutes les autres, juges des exceptions particulières à faire aux règles générales.

Quant aux enfans, ils ne sont admis dans les maisons de charité que comme orphelins ou enfans trouvés. Nous parlerons ailleurs de ces derniers.

Relativement aux soins à donner aux orphelins, l'économie politique ne peut être en opposition avec la charité chrétienne. Aucune classe d'infortunés n'est en effet plus digne de pitié, et les secours qu'on leur accorde sont exempts de toute conséquence fâcheuse. La religion, la justice, l'humanité réclament pour eux une tutelle et un asile où ils puissent recevoir la nourriture physique et l'éducation morale. Les hospices, pendant l'enfance de ces malheureux, semblent réunir à leur égard tous les avantages charitables et économiques. Nous examinerons dans un chapitre spécial le régime préférable à adopter.

Les aveugles, les sourds-muets et les aliénés indigens forment une classe de malheureux dont l'existence infortunée ne justifie que trop bien les institutions spéciales dont elle est l'objet. L'analyse économique n'a produit, à leur égard, aucune objection précise. Nous ne nous arrêterons donc pas sur la nécessité des institutions consacrées à ces tristes victimes de la rigueur du sort.

En nous résumant sur ces différentes questions, nous

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