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de concert pour améliorer un état de choses que tant de circonstances défavorables s'accordent à rendre de plus en plus alarmant et affligeant. Auparavant, il nous faut jeter de nouveau un regard rapide sur quelques principes que nous avons cherché à établir.

La misère, ainsi que nous l'avons déjà dit, est une des punitions infligées à l'homme depuis la chute originelle. En prononçant son arrêt, Dieu a indiqué le moyen qui pouvait adoucir la rigueur de son châtiment. C'est ainsi que le travail fut imposé à l'homme comme condition de son existence et comme épreuve nécessaire. Successivement, lorsque les sociétés étaient formées, et à mesure que de nouveaux besoins se faisaient sentir aux hommes, Dieu promulgua la loi de la charité. Le christianisme fut la grande consécration de cette loi. Dès ce moment, toute l'économie sociale reposa sur les deux bases données aux sociétés par le Créateur suprême de toutes choses. De l'accord de la charité et du travail devaient découler tous les biens que l'on peut goûter sur la terre. Pris isolément, ces moyens de bonheur sont incomplets; réunis, ils sont infaillibles. On comprend ici qu'il ne s'agit que du rapport temporel; car, dans l'ordre moral ou religieux, la charité seule serait encore toute-puissante.

Il existe donc pour l'homme deux lois éternelles d'où dérivent toutes ses obligations envers lui-même et envers la société. La loi du travail, dont l'infraction produit la misère; la loi de la charité, dont l'inobservation produit non seulement la misère, mais des conséquences plus fatales encore. Le travail, accompagné d'intelligence, de sobriété, de vertus, conduit à l'aisance et à la richesse. Arrivé à ces degrés de la hiérarchie sociale, l'homme qui désormais peut se passer de travail matériel, doit à la société des travaux intellectuels et charitables. S'il ne travaille plus par lui-même, il procure, il dirige le travail ; il doit contribuer à répandre et à propager l'aisance et la

richesse qu'il a acquise. C'est ainsi qu'il devient un ministre de travail et de charité; c'est par ce mouvement progressif et constant du travail vers la richesse et de la richesse vers la charité, que l'inégalité des conditions humaines s'efface ou s'adoucit, que l'équilibre social se maintient, et que s'accomplissent les vues de la Providence sur les hommes.

La faculté et la puissance du travail ne sont pas égales pour tous les individus : beaucoup d'entre eux sont privés de travail, de la possibilité de travailler et même de se procurer du travail; il faut donc que d'autres les fassent travailler ou travaillent pour eux la charité leur en impose le devoir.

L'accumulation des produits du travail forme la richesse: l'épargne est un moyen d'accumulation: pour pouvoir épargner, il faut un salaire suffisant. Il est donc nécessaire que celui qui fait travailler accorde ce suffisant salaire.

Pour pouvoir assurer l'existence à tous les hommes, le travail doit être accompagné de tempérance, de besoins bornés, de modération dans les désirs, et par conséquent dans les besoins. L'industrie, qui s'applique à satisfaire les besoins réels, est la plus naturelle et la plus féconde. Sous ces rapports, l'agriculture est placée au premier rang. Les sociétés étant jusqu'ici circonscrites dans des territoires distincts, et se trouvant divisées d'intérêts, de politique, de mœurs et de besoins, l'industrie qui s'exerce dans leur sein est généralement la plus favorable à ses membres. L'agriculture, et la mise en valeur de ses produits par les manufactures et par le commerce intérieur, forment donc l'industrie nationale, et par conséquent la première base de la prospérité des états.

La véritable économie sociale est celle qui excite à la fois au travail et à la charité, qui conseille bien moins la production des richesses que la répartition et la diffusion générale du bien-être, qui prescrit de borner les besoins,

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au lieu de les multiplier indéfiniment, qui assigne de justes proportions à l'extension de l'industrie, enfin, qui s'applique principalement à développer l'industrie nationale, c'est-à-dire celle qui s'exerce sur les produits du sol.

Cette économie politique, d'accord avec la philosophie chrétienne, conduit à la liberté, à la dignité, à l'aisance de tous les hommes, au maintien de l'ordre social, et par conséquent à la plus parfaite civilisation.

Les autres théories économiques et philosophiques, en faisant envisager les richesses et les jouissances comme le seul but de la destinée de l'homme, en excitant et multipliant les besoins factices, en étouffant l'esprit de charité, en donnant à l'industrie une extension indéfinie, parviennent à concentrer les richesses et les raffinemens du luxe dans quelques individus, mais répandent sur les masses la misère, l'abrutissement et la servitude, et se résolvent en anarchie ou en despotisme.

De grands exemples qui, malheureusement, ont le mérite de l'actualité, démontrent l'exactitude et la force de ces principes. Le christianisme, base de l'ordre et du progrès, avait réuni les sociétés et ouvert une ère nouvelle de civilisation. Sous son ombre tutélaire, les ténèbres de la barbarie faisaient successivement place à toutes les notions de la justice, du droit public, de la charité, d'une juste proportion dans tous les élémens de l'édifice social. Le progrès des lumières, de la politique, de la richesse, était lent, mais il était réel, assuré et constant; il fallait du temps, en effet, pour se dégager, sans secousse et sans effort violent, des entraves qu'opposaient à son développement des institutions grossières léguées par des siècles où la force seule avait dominé. Sous l'empire du catholicisme, néanmoins, les nations étaient de jour en jour plus heureuses et plus paisibles; l'agriculture formait leur première industrie; leur population était insuffisante, et son développement, que tout tendait à encourager, était graduel. Si des

guerres éclataient entre elles, la religion s'interposait, et parvenait souvent à les éteindre; elles n'avaient, d'ailleurs, plus pour objet l'envahissement, la conquête et l'extermination. Des droits contestés pouvaient seuls en fournir l'occasion et le prétexte. Les guerres lointaines ne s'adressaient qu'à la barbarie, et prenaient leur source dans un sentiment de piété et de justice que la philosophie elle-même n'a pu condamner. La marche de la raison, le développement des lumières, l'esprit de charité auraient infailliblement amené par degrés la suppression des anciens abus et des réformes successives en faveur des classes inférieures dont l'existence était toujours, néanmoins, garantie et protégée.

Tout à coup l'unité religieuse est rompue par des esprits audacieux et impatiens du frein que la religion catholique imposait à leurs passions et à leurs vues ambitieuses. Des guerres cruelles s'allument; l'Europe est ébranlée. Dans un royaume entraîné par le torrent des idées nouvelles, on voit disparaître le sentiment religieux,, l'esprit de charité, et toutes les institutions qu'il avait fondées. La cupidité envahit les biens consacrés à la charité et à la religion par des siècles de piété et de bienfaisance; la misère s'accroît avec une rapidité effrayante; on est obligé d'imposer des aumônes volontaires, et plus tard une taxe spéciale forcée; on espère, à l'aide de l'industrie, suppléer à l'absence de l'esprit de charité, et ouvrir aux peuples des sources inépuisables de prospérité et de bonheur. Le travail agricole est placé au second rang. En même temps, on voit surgir une philosophie, qui, s'appuyant sur le sensualisme, annonce aux hommes que leur destinée véritable les appelle à toutes les jouissances physiques, parce qu'elle est exclusivement bornée à leur passage sur la terre. L'égoïsme, l'avidité s'emparent de tous les cœurs. Aux guerres de religion succèdent les guerres de commerce.

Les richesses s'augmentent, mais se concentrent dans un petit nombre de familles. La population, excitée par une industrie manufacturière indéfinie, s'accroit rapidement; des théories d'économie politique se formulent en science pour diriger le mouvement donné à la civilisation nouvelle, et multiplier le travail manufacturier en excitant de nouveaux besoins. Pendant quelques années, de grands succès encouragent la nation, excitent la jalousie des peuples voisins, et leur font adopter les doctrines qui avaient produit tant de merveilles. Une fièvre universelle d'industrie se répand comme une vaste contagion ; la concurrence encombre tous les marchés de la terre: la production dépasse toutes les limites de la consommation; elle ne peut se soutenir que par le bas prix des salaires et par des procédés de plus en plus économiques. Le royaume cité comme le modèle de la civilisation était arrivé à l'apogée de la richesse et de la puissance; il s'aperçoit alors qu'un abîme immense est creusé dans son sein! La population ouvrière, démesurément augmentée, sans travail ou sans salaire suffisant, est livrée à la plus affreuse misère : le vide de l'esprit religieux se fait sentir amèrement; les crimes se multiplient dans une effrayante proportion; le colosse aux pieds d'argile est ébranlé, et l'Europe va assister peut-être à sa chute prochaine.

Les nations qui avaient laissé s'introduire les mêmes théories philosophiques et économiques, voient naître dans leur sein des révolutions sanglantes, et sont menacées à leur tour d'un excédant de population qui, dépourvue d'aliment moral, demande à grands cris des jouissances matérielles.

. Toutefois, comme ce n'est plus désormais à la charité et aux vices des institutions religieuses que l'on peut attribuer la misère publique, on s'en prend au principe de la population elle-même, et tous les effets de l'économie

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