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Cet exemple, donné par une ville soumise exclusivement au régime municipal, qui exerce sa charité dans les bornes circonscrites d'une population bien connue, serait peut-être difficile à imiter complétement dans un vaste royaume. Néanmoins, il nous semble que l'on peut établir pour les classes ouvrières de la France un système analogue de secours.

Dans notre projet d'amélioration, nous prendrons aussi l'indigent dans son enfance pour ne le quitter qu'au déclin de la vie. Nous nous efforcerons de lui donner, d'abord un appui vigilant, ensuite des principes religieux assurés, et une instruction suffisante. Successivement, il acquerra l'aptitude au travail, il acquerra le travail lui-même, et enfin la possibilité de se ménager des secours pour la vieillesse.

Tel est l'ordre que nous allons suivre, ou plutôt que nous indiquerons à la charité volontaire,

CHAPITRE XV.

DES ENFANS DE LA CLASSE OUVRIÈRE.

Filii tibi sunt? Erudi illos et curva illos a pueritià illorum.

(Eccles.)

PUISQU'IL est vrai que, dans les sociétés modernes les plus avancées en industrie, le travail ne présente plus, aux classes ouvrières, un salaire qui leur permette d'entretenir suffisamment leurs familles et de faire des épargnes pour l'avenir, il faut que la charité supplée à cette insuffisance par des secours propres à donner, au travail plus de valeur, et à l'ouvrier, plus de force et d'intelligence.

Ces secours doivent se diriger sur l'enfance de l'ouvrier, car cette époque est décisive pour son avenir. Nous avons vu que l'économie politique ne veut pas qu'on accoutume les familles ouvrières à compter sur la charité publique pour les soins et l'entretien de leurs enfans; elle craint que ce genre d'aumône n'encourage la population et n'étouffe le sentiment de la prévoyance. Mais nous avons reconnu aussi combien ces théories sont contradictoires, incomplètes, opposées à la nature de l'homme et à la loi de charité. Nous ne pouvons donc les prendre pour guide dans cette circonstance. Il nous semble que l'état a encore

plus d'intérêt à posséder une population saine, robuste, morale et intelligente, qu'à arrêter l'essor de la population. En négligeant l'enfance de l'ouvrier, on s'expose à le voir un jour tomber à la charge de la société en lui donnant des soins attentifs, on peut espérer qu'il pourra se suffire à lui-même. L'abandonner, ne rendra pas l'ouvrier père de famille plus prévoyant et plus moral. Ce sera seulement le rendre plus malheureux. Ecoutons donc la voix de la charité, c'est un guide qui ne saurait tromper per

sonne.

Dans notre système, le bien est immédiat, positif, évident; le mal est douteux et éloigné. Dans le système économique, le mal est immédiat, positif, évident; le bien, éloigné et douteux. La raison ne permet donc pas d'hésiter.

Nous demandons, par conséquent, à la charité libre, d'entourer l'enfance de l'ouvrier indigent des soins les plus complets et les plus constans. Nous désirerions qu'il pût se former dans toutes les villes manufacturières et même dans chaque commune, une association spéciale dont l'objet serait de veiller à l'éducation physique des enfans de la classe indigente.

Nous supposons qu'avant tout, le nombre et la situation des ménages d'ouvriers indigens eussent été bien constatés, et que l'on en eût formé une liste exacte d'après laquelle l'association dirigerait ses efforts et chercherait à étendre ses ressources.

Voici le cercle des devoirs que la société pourrait s'imposer:

1o Veiller à ce que chaque femme indigente en couche fût convenablement soignée pendant le temps nécessaire.

20 Assurer la bonne nourriture de l'enfant. Si la mère est d'une complexion faible ou malsaine, si elle n'a pas de lait, si elle est malade, lui indiquer et faciliter les moyens

de faire nourrir son enfant, soit par une nourrice robuste, soit par une chèvre, soit enfin au biberon.

30 Exiger et vérifier que l'enfant soit vacciné, tenu proprement, fréquemment lavé, qu'il n'habite pas de lieux bas, humides, insalubres; que ses vêtemens soient propres, suffisamment chauds; qu'il soit couché à part; qu'on ne le laisse point errer dans les rues ni exposer à ces accidens que fait naître un défaut de surveillance, et qui rendent tant d'enfans débiles, infirmes ou estropiés pour le reste de leur vie.

40 Enfin, si l'enfant est malade, faire appeler sans retard le médecin des indigens ou tout autre homme de l'art.

Lorsque l'enfant aurait atteint l'âge où ces premiers soins deviennent moins urgens, il est un autre genre de surveillance que la mère est appelée à exercer, mais dont elle ne peut s'acquitter sans sacrifier des momens que réclament le travail ou des soins domestiques.

La société formée pour veiller à l'enfance de la classe ouvrière, peut facilement faire remplacer, à cet égard, la vigilance maternelle, par l'établissement des salles d'asile dont nous avons déjà iadiqué le but, et sur lesquelles nous donnerons quelques nouveaux détails.

« On a judicieusement observé en Angleterre, dit M. Gustave Degérando (1), que, jusqu'à l'époque où ils peuvent entrer dans les écoles publiques, les enfans en bas âge de la classe indigente sont exposés à beaucoup de dangers physiques et moraux, lorsque les journées de leurs parens sont employées au travail, ou bien que la surveillance dont ils ont besoin empêche souvent leur mère d'acquérir ou d'accroître, par un travail assidu, des moyens de subsistance. Ces réflexions, et quelquefois des vues d'intérêt particulier, ont fait établir dans les campagnes, et même dans les villes, de petites écoles connues sous le nom

(1) Tableau des sociétés de bienfaisance de Londres.

d'asylums ou de dames'-schools, où une femme âgée ordinairement, reçoit et garde auprès d'elle les enfans en bas âge, moyennant quatre à huit sous par semaine, tandis que les parens se livrent à un travail qui peut leur procurer un gain de 6 ou 7 francs durant le même espace de temps. Jusqu'à présent, la plupart de ces maîtresses d'école n'ont guère eu la pensée ou la faculté de pousser l'instruction de leurs élèves au-delà de l'alphabet; mais on sent combien il est facile de leur enseigner un peu à lire, à calculer, de leur donner des notions élémentaires sur la religion, sur les arts, sur quelques branches de l'histoire naturelle, en suspendant aux murs, par exemple, comme on l'a fait avec succès, des tableaux où sont figurés divers objets que l'on montre et que l'on fait nommer aux enfans. On comprend surtout l'importance des habitudes de moralité, d'ordre', de propreté, etc., qu'on peut inculquer ainsi, de bonne heure, dans ces jeunes esprits encore simples et novices. Ces considérations, que l'on peut voir développées et complétées d'une manière aussi judicieuse qu'intéressante dans un ouvrage de Thomas Pole et dans un article de la Revue d'Edinbourg (mai 1823), ont amené la formation d'une société nouvelle qui s'est constituée à Londres, en juillet 1824, sous le nom de Société des écoles pour les enfans en bas âge (infant school society). Elle annonce que son but est de concourir à l'établissement d'asylums pour les enfans des pauvres qui n'ont pas encore atteint l'âge où ils peuvent gagner quelque chose par leur travail ou être admis dans les autres écoles, pour les enfans des deux sexes, par conséquent, de l'âge de deux à sept ans. Elle propose de fonder un asylum spacieux, bien aéré, avec une cour et une salle pour jouer, capable de recevoir deux à trois cents enfans, où ils passeraient les heures pendant lesquelles leurs parens sont à l'ouvrage, et seraient formés à des habitudes de propreté, de subordination, de douceur et

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