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mon esprit quelques étincelles de ces lumières vives et ardentes qui les pénètrent, et qui les ravissent hors d'elles-mêmes; faites-moi sentir quelques unes de ces touches secrètes et de ces divines impressions, qui les jettent en de si doux transports aux approches de votre aimable sacrement. Serai-je toujours en votre présence comme une terre sèche et aride? Serai-je toujours lent et paresseux, lorsqu'il s'agit de paroître à votre table? Trahe me post te. Si je vous demande que vous changiez mon cœur, c'est afin qu'il s'attache pour jamais à vous, afin qu'il ne se tourne plus que vers vous, afin qu'il ne goûte plus de plaisir qu'en vous. Notre bonheur dès cette vie est de vous posséder sous de fragiles espèces, et notre suprême félicité en l'autre sera de vous posséder dans la splendeur de votre gloire, où nous conduise, etc. SERMON POUR LE VINGT-QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS

LA PENTECOTE.

SUR LE JUGEMENT DE DIEU.

Et videbunt Filium Hominis venientem in nubibus cœli cum virtute multa et majestate. Ils verront le Fils de l'Homme venir sur les nues, avec une grande puissance et dans une grande majesté. SAINT MATTH., chap. xxiv.

Ce n'est pas sans dessein que l'Église, dans l'ordre et la distribution de son année évangélique, commence et finit par la peinture du jugement de Dieu. Elle veut nous faire entendre que de toutes les pensées dont nous avons à nous occuper, il n'en est point qui nous doive être plus familière que celle de ce jugement redoutable, parcequ'il n'en est point qui nous soit plus salutaire. C'est par cette grande vue que tant de libertins ont été touchés et convertis à Dieu, que tant de Justes ont été affermis et soutenus dans les voies de la piété chrétienne : et c'est par-là même, mes chers auditeurs, que je puis me promettre, avec le secours de la grace, ou de vous retirer de vos égarements, si vous vous êtes laissé malheureusement séduire et entraîner par la passion; ou de vous établir dans une sainte persévérance, et de vous attacher plus fortement que jamais aux devoirs d'une vie pieuse et réglée, si vous avez eu jusqu'à présent le bonheur de l'embrasser et de la suivre. Et il est vrai qu'entre les motifs qui nous détachent du péché et qui nous portent à Dieu, le plus efficace est la crainte des jugements éternels, quoique ce ne soit pas le plus pur et le plus relevé. Car, étant aussi dominés que nous le sommes par l'intérêt propre, quelle impression doit faire sur nos cœurs le souvenir d'un juge qui, par son arrêt irrévocable, doit décider de notre destinée bienheureuse ou malheureuse pour l'éternité tout entière? Plût au ciel, Chrétiens, que je fusse en état un jour de prendre votre défense auprès de ce juge tout puissant, et de vous rendre son jugement favorable! Mais puis-je mieux vous disposer à y paroître avec assurance, qu'en vous apprenant à le

craindre de bonne heure et utilement? C'est ce que je me propose dans ce discours, et pour cela nous avons besoin de l'assistance du Saint-Esprit; demandons-la par l'intercession de la Vierge, que nous honorons comme l'espérance et le refuge des pécheurs, et disons-lui: Ave.

Comme il n'y a que Dieu qui soit absolument ce qu'il est, et qui, sans prendre d'autres qualités ni d'autres titres, se distingue de tous les êtres, en s'appelant l'Etre par excellence, Ego sum qui sum; aussi n'y a-t-il que le jugement de Dieu, je dis ce jugement où tous les hommes doivent comparoître devant le tribunal de Dieu, qui, dans le langage de l'Écriture, et même dans la manière commune de nous exprimer, s'appelle singulièrement et à proprement parler jugement. Concevez bien la raison qu'en apporte saint Chrysostome, et qui va faire tout le partage de cet entretien. C'est qu'il n'y a, dit ce Père, que le jugement de Dieu qui soit parfait. Tous les autres jugements sont des jugements défectueux, c'est-à-dire ou faux, ou incertains, ou lâches, et capables d'être affoiblis par la passion : ce qui faisoit dire à saint Paul qu'il lui importoit peu d'être jugé par les hommes: Mihi autem pro minimo est ut à vobis judicer (1. Cor., 4); ajoutant que quelque soin qu'il eût d'examiner toute sa vie, il n'osoit pas se juger soi-même, Sed neque meipsum judico (Ibid ); parceque les jugements qu'il pouvoit faire de soi, ou que les hommes en faisoient, n'étoient que des jugements trompeurs, et qu'être jugé de la sorte, c'étoit ne pas l'être. C'est donc Dieu seul qui juge, poursuivoit ce grand apôtre, Qui autem judicat me, Dominus est (ibid.); parcequ'il n'y a que Dieu dont le jugement soit accompagné de ces deux qualités qui font les jugements certains et irréprochables, savoir, d'une vérité infaillible et d'une équité inflexible. D'une vérité infaillible, en sorte que Dieu, comme souverain juge, ne peut être trompé : et d'une équité inflexible, qui dans l'exercice de cette fonction de juge le rend incapable d'être gagné. Or voilà, Chrétiens, ce qui nous doit inspirer une sainte horreur du jugement de Dieu. Tout le reste en comparaison, quelque affreux d'ailleurs qu'il puisse être, n'est rien : mais d'avoir à soutenir le jugement d'un Dieu essentiellement véritable et inviolablement équitable, ou plutôt d'un Dieu qui est la vérité et l'équité même, c'est ce que je ne puis jamais assez craindre, parceque je ne puis jamais assez le comprendre. Telle est néanmoins l'idée que j'entreprends aujourd'hui d'imprimer fortement dans vos esprits: et parcequ'un contraire ne paroît jamais mieux que lorsqu'il est opposé à son contraire, je veux, pour l'édification de vos ames, vous représenter le jugement que Dieu fera de nous, par cpposition à celui que nous faisons maintenant de nous-mêmes, ou que nous donnons sujet aux autres d'en faire. Ainsi, la vérité infaillible du jugement de Dieu opposée à nos erreurs et à nos hypocrisies, ce sera la première partie. L'équité in

flexible du jugement de Dieu opposée à nos foiblesses et à nos relâchements, ce sera la seconde partie. La conséquence infinie de l'une et de l'autre demande toute votre attention.

PREMIÈRE PARTIE.

Il est de la Providence, Chrétiens, que nous paroissions un jour ce que nous sommes, et que nous cessions enfin de paroître ce que nous ne sommes pas et j'ose dire que Dieu manqueroit au premier de tous les devoirs dont il se tient comme responsable à soi-même, s'il souffroit que la vérité demeurât éternellement obscurcie, cachée, déguisée. Il faut qu'il lui rende une fois justice, et qu'après s'être lassé, pour ainsi dire, de la voir dans les ténèbres de l'aveuglement et du mensonge où les hommes la retiennent, il l'en fasse sortir avec éclat, suivant cette admirable parole de Tertullien: Exurge, veritas, et quasi de patientiâ erumpe (TERTULL.). Or c'est pour cela que le jugement de Dieu est établi. Nous l'outrageons, cette vérité, et s'il m'est permis de m'exprimer de la sorte, nous lui faisons violence en deux manières. Car, au lieu d'user avec fidélité des lumières qu'elle nous présente, nous la corrompons au-dedans de nous par des erreurs criminelles, et nous la falsifions au-dehors par des hypocrisies affectées : c'est-à-dire que nous ne voulons ni nous connoître, ni être connus; qu'un de nos soins est de nous tromper, et l'autre de tromper le public. Voilà l'état de notre désordre; et Dieu, par une conduite tout opposée et par le zèle de la vérité, entreprendra de nous detromper de nos erreurs, et de lever pour jamais le masque à nos hypocrisies; d'effacer les fausses idées que nous aurons données aux autres de nous, et de détruire dans nous celles que nous aurons conçues de nousmêmes; de dissiper malgré nous ces nuages par où la passion nous aura ôté la vue salutaire de ce que nous étions, et de répandre dans tous les esprits une évidence plus que sensible de ce que nous aurons été. Voilà ce que Dieu se proposera, et ce qui nous rendra son jugement souverainement redoutable. Ne perdez rien, s'il vous plaît, d'une ma tière si importante.

Nous nous aimons, Chrétiens, jusqu'à être idolâtres de nos vices : mais ce qui est bien étrange, et ce qui paroîtroit d'abord incroyable, si l'expérience ne le vérifioit; par le même principe que nous nous aimons, nous craignons mortellement et nous évitons de nous connoître; pourquoi? en voici la belle raison qu'en donne saint Augustin: parceque nous savons que nous connoissant nous serions obligés de nous haïr; et que si nous venions à pénétrer le fond de notre misère, nous ne pourrions plus soutenir l'amour-propre qui nous possède, et qui règne dans notre cœur. De là vient que, par un instinct secret de cet amour, nous nous éloignons de cette connoissance de nous-mêmes, et que dans la vie il n'est rien pour l'homme de plus fâcheux ni de plus importun que de rentrer dans soi-même, de faire réflexion sur

soi-même, de s'étudier et de se juger soi-même, parceque tout cela ne peut aboutir qu'à l'humilier, et par conséquent qu'à troubler la possession où il est de se flatter et de se complaire en lui-même. Tout cela néanmoins est de l'ordre; et c'est une chose monstrueuse, dit saint Chrysostome, qu'une créature intelligente ne se connoisse jamais, et un déréglement énorme que ne se connoissant jamais, elle s'aime toujours injustement.

Qu'arrivera-t-il donc? appliquez-vous, mes chers auditeurs, à comprendre le mystère de la vérité de Dieu. Le premier effet de son jugement sera de nous rappeler à cette connoissance odieuse et mortifiante de nous-mêmes, et de nous forcer enfin à convenir avec nous de ce que nous sommes, pour s'autoriser ensuite à agir contre nous dans toute l'étendue de ce qu'il est. Dans le cours d'une prospérité humaine, dira-t-il à ce mondain, dans le tumulte et le bruit du monde où mille objets t'éblouissoient, te charmoient et occupoient toute ton attention, tu ne te voyois pas; et parceque tu ne te voyois pas, tu n'avois pour toi-même que de vaines complaisances. Mais parceque pour ne te pas voir, tu te plaisois à toi-même et tu nourrissois dans ton cœur une secrète estime de toi-même, je déchirerai le bandeau qui t'aveugloit, et il est de ma justice que je te confonde par toimême en te représentant à toi-même. Tu verras ton crime, non plus pour y remédier, mais pour te le reprocher; non plus pour l'expier par la pénitence, mais pour le ressentir par le désespoir; non plus pour en faire le sujet de ta contrition, mais de ta confusion: Videbis factum tuum, non ut corrigas, sed ut erubescas (AUG.).

Or cette vue, Chrétiens, est ce qu'il y aura de plus insupportable à l'homme pécheur, c'est ce qui l'accablera et ce qui le consternera. Et voilà pourquoi les réprouvés s'adressant, ainsi que le marque expressément saint Matthieu, aux collines et aux montagnes pour implorer leur secours, ne leur diront point, selon l'observation de saint Chrysostome, aussi solide qu'ingénieuse: Montagnes, cacheznous le visage de ce Dieu de gloire qui nous doit juger; collines, empêchez-nous d'apercevoir ces esprits qui doivent nous tourmenter : mais seulement, Montagnes, tombez sur nous, couvrez-nous, serveznous d'un rempart éternel contre nous-mêmes. Car c'est de nousmêmes que nous avons aujourd'hui à nous défendre, et qu'il est de notre intérêt d'éviter l'aspect : Tunc incipient dicere montibus, Cadite super nos; et collibus, Operite nos (Luc., 25). Et en effet, si dans ce jugement nous pouvions être à couvert de nous-mêmes, ni la présence de Jésus-Christ quoique majestueuse, ni celle des démons quoique effrayante, ne seroient plus capables de nous troubler.

Mais venons au détail; et, pour tirer de cette première partie tout le fruit que j'en espère, entrons dans la discussion des choses. Nous avons, Chrétiens, deux sortes d'erreurs en ce qui regarde Dieu et le salut des erreurs de fait et des erreurs de droit. Des erreurs de fait,

qui nous ôtent la connoissance de notre propre action; et des erreurs de droit, qui nous font même ignorer notre obligation. C'est à quoi se réduisent tous les désordres d'une conscience erronée. Or, à ces deux genres d'erreurs, Dieu, qui est la vérité éternelle, et qui, par un privilége de son être, n'est pas moins infaillible pour le fait que pour le droit, opposera cette double infaillibilité de son jugement. Infaillibilité dans les faits, pour nous confondre sur mille péchés auxquels peut-être nous n'avons jamais bien pensé. Infaillibilité dans le droit, pour nous condamner sur mille points de précepte et d'obligation dont nous nous sommes obstinés à ne vouloir jamais convenir. Ah! Chrétiens, que n'ai je le zèle et l'éloquence des prophètes, pour vous proposer ici l'un et l'autre dans toute sa force!

Nous entassons tous les jours péchés sur péchés; mais avec cela nous vivons tranquilles, nous accusant à peine devant Dieu, et ne nous avouant presque jamais coupables devant les hommes. Pourquoi? parceque nous ne cherchons qu'à nous aveugler sur tout le mal que nous commettons, parceque nous ne nous le reprochons que très rarement, parceque nous ne l'envisageons que très superficiellement, parceque nous ne l'approfondissons jamais, et que nous en perdons très volontiers et très aisément le souvenir. Que fera Dieu ? Parlez, mon Dieu, par vous-même, et fates-nous connoître, par les oracles que vous avez prononcés, quel doit être le procédé de votre justice, afin que nous le prévenions, ou que nous soyons inexcusables. Car ce ne sont pas mes raisonnements, mais vos révélations toutes divines, qui en doivent instruire cet auditoire chrétien. Dieu, mes chers auditeurs, suppléera là-dessus à votre défaut; il recherchera ce que vous aurez négligé; il approfondira ce que vous n'aurez fait qu'effleurer; ce qui manquera au compte que vous vous en serez rendu, il l'ajoutera; ce qui étoit demeuré comme enveloppé dans l'embarras de vos consciences, il le débrouillera. Ainsi nous l'a-t-il formellement déclaré dans ses saintes Écritures, et en des termes dont l'infidélité la plus endurcie ne peut désavouer qu'elle ne soit émue.

Oui, mes Frères, ce jugement de Dieu succédera au nôtre, et réformera le nôtre sur quoi? je le répète, sur tant de péchés que notre légèreté, que notre vivacité, que notre dissipation continuelle, que notre précipitation dans l'examen de nous-mêmes, que notre ignorance volontaire fait disparoître à notre vue. Car rien de plus commun que ces péchés inconnus ; je dis inconnus même au pécheur qui les a commis, et qui s'en trouve chargé devant Dieu. Je n'en voudrois point de preuve plus sensible que ce qui se passe au tribunal de la pénitence, s'il m'étoit permis de le révéler. Nous y voyons venir des mondains et des mondaines, après avoir été des années entières sans en approcher; ils s'accusent au ministre de Jésus-Christ, et toute cette accusation se termine à quelques faits dont le récit est presque aussitôt achevé que commencé. Est-ce que ces pécheurs sont moins cri

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